Exodus censuré en Egypte et au Maroc : pourquoi Ridley Scott énerve les intégristes

Jacques-Henry Poucave | 29 décembre 2014
Jacques-Henry Poucave | 29 décembre 2014

Précédé par une polémique au sujet de son casting jugé trop blanc et de critiques globalement négatives, Exodus n’arrive pas en terrain conquis. Mais le nouveau film de Ridley Scott pourrait bien faire face à un autre problème au moins aussi grave : la colère des religieux.

Metteur en scène à tout le moins agnostique, voire profondément athée, Ridley Scott ne s’est pas contenté de nous offrir un super blockbuster de fin d’année. Sa fresque biblique est aussi une profonde remise en cause des mythes de l’Ancien Testament.

Moïse le guerrier

Celui qui parviendra à faire sortir les Hébreux d’Egypte n’apparaît pas ici comme un croyant, et encore moins comme un leader spirituel. Christian Bale interprète ici un général qui n’accepte que difficilement sa destinée et lutte ouvertement contre les projets de dieu.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Moïse troque dans Exodus son légendaire bâton contre une épée qui ne le quittera jamais.

American Psycho ?

Si Exodus se garde bien de trancher totalement la question de la santé mentale de Moïse, Ridley Scott laisse plusieurs indices significateurs quant à son opinion sur le leader hébreux.

Ainsi dieu ne lui apparaît-il qu’en vision, systématiquement lorsqu’il est seul. Il ne fait d’ailleurs pas grand doute que le personnage de Joshua (Aaron Paul) le prend pour un fou. La rédaction des Tables de la Loi est à ce titre d’une ambigüité funèbre. Utile à sa cause, mais un fou tout de même.

Au final, dieu apparaît comme le dérivatif qu’a trouvé Moïse pour canaliser sa rage, tout en se délestant de la culpabilité engendrée par ses actions.

Le Phare à On

Traditionnellement représenté comme un tyran impitoyable, le Ramsès d’Exodus est bien différent. Meurtrier et esclavagiste sans doute, Joel Edgerton apparaît surtout comme un individu extrêmement vulnérable, incapable de s’affirmer sinon grâce aux oripeaux du pouvoir.

Terrifié et fasciné par son demi-frère devenu chef de guerre, il est tiraillé entre son admiration pour lui et sa volonté de garder la face. Enfin, l’amour débordant qu’il porte à son fils contraste cruellement avec la froide détermination de Moïse.

Un Dieu assoiffé de sang

Représenter Dieu sous les traits d’un enfant pourrait déjà prêter à polémique, mais faire delui un gosse assoiffé de sang, belliqueux et colérique, ça commence à faire beaucoup.

Comme pour symboliser une voix intérieure que le personnage de Christian Bale réfrènerait depuis toujours, ou introduire l’idée d’une inconséquence, d’une immaturité divine, Ridley Scott a pris la décision de faire de son entité divine un en enfant enragé.

Préférant le carnage à la stratégie, il est montré poussant toujours Moïse plus loin dans la violence, justifiant ses pulsions meurtrières. Une idée qui renforce encore la lecture d’un Moïse au bord de la schizophrénie, comme en témoigne la scène où il assassine froidement deux hommes après avoir appris le secret de ses origines.

Cachez ce divin que je ne saurais voir

Autre problème fondamental, qui avait coûté cher à Noé : la représentation du divin et des prophètes. En effet, nombreux sont les croyants qui s'opposent à la représentation dans l'art (à fortiori dans la fiction) de Dieu ou des prophètes et autres personnages saints.

Leur illustration, représentation, mise en scène est tout bonnement interdite en Islam, ce qui explique également que le film ait été banni des écrans Egyptions et Marocains. Ajoutons à cela que partout où l'antisémitisme a pignon sur rue, la sortie d'un blockbuster racontant la sortie des juifs d'Egypte et comment leur leader Moïse a infligé aux armées de Pharaon une peignée monumentale n'est pas particulièrement bien vu...

Les Plaies d’Egypte

Sans renier la volonté spectaculaire du récit et la dimension mythologique qui l’imprègne, Ridley Scott ouvre régulièrement la voie à une interprétation beaucoup plus terre-à-terre et scientifique des Plaies d’Egypte.

S’il ne tranche jamais, le sort des deux conseillers du Pharaon, un scientifique et une oracle sont éloquents. Exécutés, ils révèlent le projet du film, ni Foi ni Science, mais un entre-deux où peut se déchaîner la folie des hommes.

Modern Warfare

Peut-être le point le plus sensible. Perçu dans son camp comme un combattant de la liberté, Moïse est néanmoins présenté comme un terroriste.

Un point de vue confirmé par Christian Bale. Il faut dire que son personnage de militaire met tout son savoir au service de sa cause et entame une longue guérilla urbaine, dans laquelle les civils ne sont pas épargnés…

On le voit, Exodus a tout ce qu’il faut pour déclencher l’ire des extrémistes de tout poil. Le film n’end demeure pas moins un divertissement épique, fort d’une vision troublante et passablement noire du fait religieux.

Voilà qui devrait en remuer quelques-uns.

Tout savoir sur Exodus : Gods and Kings

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commentaires
Nawak
30/12/2014 à 15:16

"Ajoutons à cela que partout où l'antisémitisme a pignon sur rue, la sortie d'un blockbuster racontant la sortie des juifs d'Egypte et comment leur leader Moïse a infligé aux armées de Pharaon une peignée monumentale n'est pas particulièrement bien vu..."

Cette affirmation est totalement ridicule. Quiconque dispose d'un minimum de culture générale sait qu'au sein du dogme musulman, le pharaon est dépeint tel un despote et que les enfants d'Israël ont été ses victimes.
En outre, le dogme musulman et la foi musulmane sont partisans des enfants d'Israël et de Moïse dans ce que fut leurs combats contre pharaon.
Insinuer que des musulmans (égyptiens?) auraient du mal à voir Moïse mettre une rouste au pharaon est une pure idiotie.Moïse a une place très importante et est très respecté au sein du dogme musulman. Il y est décrit d'ailleurs comme le seul prophète ayant l'insigne honneur de dialoguer avec Dieu en direct (sans intermédiaire).

C'est plutôt la représentation biaisée de Moïse et le blasphème de la représentation divine qui sont faits dans ce film qui ont poussé à sa censure.

Memory
29/12/2014 à 17:43

Rappelons qu'à l'époque les Egyptiens sont en majorité noirs et métis.
Pas d'arabes à l'horizon.
Ah et les bourgeois ainsi que l'aristocratie sont des descendants des envahisseurs venus du caucase à peu près trois siècles avant l'avènement des pharaons.
Les pharaons étaient... blancs.
Ou vaguement métissés.
Et donc visuellement très proche du film.

Ninjaraph
28/12/2014 à 05:21

Moi j'aurais rajouté un alien dans le film.

T2000
27/12/2014 à 13:33

Rien de nouveau ... que du recyclé .... je passe mon tour malgré le casting et le réalisateur. Bon sang avec tous ce qu'on dispose maintenant et prendre aussi peu de risque ...

kemit
24/12/2014 à 10:44

Egyptiens encore représentés comme blanc en 2014. ce film ne m'interresse d'ors et deja plus!

Will Wayne
23/12/2014 à 20:26

Où est le slogan "attention spoilers" !!!?

DirtyHarry
18/12/2014 à 13:50

S'il avait voulu être vraiment iconoclaste, tout en restant fidèle aux textes sacrés il aurait montré dans son film que :
- les hébreux qu'on montre comme esclaves de Pharaon avaient eux-memes des esclaves (si,si)
- qu'ils sont partis avec la caisse du royaume d'Egypte (ben tiens et le veau d'or, ils vont le faire avec l'argile du Mont Sinaï ?

Simon Riaux
18/12/2014 à 12:28

On est bien d'accord, mais à l'heure où les adversaires du film n'y voient qu'un blockbuster signé Scott, il est bon de rappeler que le monsieur a une vison assez précise et personnelle de ce qu'il raconte...

Francisco
18/12/2014 à 12:07

C'est tout l'art d'un grand cinéaste de proposer une relecture des mythes fondateurs. Ridley Scott propose sa vision. Cela devrait ouvrir au débat plutôt qu'à la polémique... Repenser un mythe est la seule manière de garantir sa longévité et de prouver sa vivacité. Et pondre un remake des Dix Commandements n'a rien d'offensant. Honnêtement, la version de référence de Cecil B. DeMille (pas la muette, la couleur) est aujourd'hui d'un kitsch absolu, non?... (par décence, je passe sur la piteuse version télé de 2006)