Casting Sauvage : Rencontre avec le réalisateur Galaad Hemsi

Christophe Foltzer | 15 février 2015
Christophe Foltzer | 15 février 2015

On l'a déjà dit dans notre critique, mais nous avons beaucoup aimé Casting Sauvage. Par son principe mais aussi par le défi qu'il représente au moment où le cinéma français semble tourner en rond. Comment réaliser un film et faire parler de soi alors qu'on n'a pas de moyens ? Comment monter un projet aussi original de nos jours ? Le réalisateur Galaad Hemsi a répondu à nos questions. Interview making-of.


Tout d'abord, est-ce que tu pourrais te présenter à nos lecteurs ?

Je suis réalisateur et producteur, et un peu tout en fait puisque je suis aussi monteur. J'ai créé ma société de production, Les Productions du Désert, où on fait beaucoup de bandes-annonces pour le cinéma, beaucoup de films institutionnels pour gagner des sous et aussi parce qu'au final on réussit à faire des films intéressants et des rencontres. Là, on développe un nouveau long-métrage et on a également une commande pour un court-métrage de l'agence locale de l'énergie du climat sur la Seine St-Denis en 2035, pour le Forum du climat qui se tiendra en décembre 2015.


Comment est né Casting Sauvage ?

La transition vers le long-métrage a été assez naturelle puisque l'objectif avec Les Productions du Désert était d'avoir tout le matériel pour faire ce qu'on voulait quand on le voulait. Si l'idée n'était pas de réaliser un film à petit budget, on voulait parler des castings parce que j'ai pas mal travaillé dans cet univers pour des émissions télé. J'ai travaillé avec deux directeurs de casting (Clément Vieu et Raphaël Delétang, également comédiens et co-auteurs du film) qui ont tout préparé, on a écrit le scénario ensemble et, vu que ce n'était pas une commande, il n'y avait pas de pression sur le temps, d'ailleurs c'est pour ça qu'on l'a fait en 4 ans, ça a été une matière vivante qu'on a fait évoluer pendant tout le tournage, jusqu'à janvier dernier où on a encore rajouté une scène. L'idée du scénario était d'avoir une histoire la plus simple possible et qui nous fasse en même temps vivre des choses. Donc, le road-movie s'y prêtait le mieux.

Pour la forme du film, on a d'abord eu une grande discussion pour trouver LA bonne idée. On ne savait pas ce que ça allait donner pour être honnête : on avait fait une petite pré-sélection de 300 comédiens parmi les 1600 qui avaient répondu à l'annonce, on a tourné sans qu'ils soient au courant de ce qu'on faisait vraiment et j'ai attaqué le montage tout seul pendant deux mois. Nous avions décidé de ne tourner que la première moitié du film, 40 minutes, pour pouvoir se faire une idée. On a été super contents du résultat, et assez étonnés en fait. On est donc reparti en écriture pour affiner l'histoire et faire en sorte que le film ne s'essouffle pas, parce que c'était le grand risque.

Sur quels critères as-tu choisi les comédiens qui apparaissent au final dans le film ?

Il n'y a pas eu de choix réel parce qu'il y a de très bons comédiens qu'on n'a pas mis. On voulait des comédiens différents, qui n'aient pas la même couleur de jeu. L'idée de Casting Sauvage, justement, c'est de ne pas dire qui on garde. On a fait très attention à la façon dont ils se répondaient entre eux et on s'est rendus compte que beaucoup de couples ne fonctionnaient pas. Certains comédiens étaient bons dès le départ, d'autres à partir de la troisième prise, ça nous a obligé à refaire les couples.

 

Comment ont réagi les comédiens quand vous leur avez révélé la vérité ?

C'était assez délicat. Les réactions au départ étaient évidemment négatives. Déjà, on les a rappelé 9 mois après pour leur dire qu'ils étaient sélectionnés et que le casting, c'était en fait le film qu'on tournait, mais qu'on ne pouvait pas le leur dire avant parce qu'on avait besoin de leur spontanéité, de la pression du casting, ils ont pris ça un peu comme une trahison. On leur a alors proposé de voir une première version du film et, si ça leur plaisait, ils signaient. Ca n'a pas plu à deux comédiens : un qui n'est pas venu à la projection parce qu'il trouvait que c'était dégueulasse, que c'était de la manipulation, ce qui n'est pas totalement faux, et un autre qui n'a pas aimé sa prestation parce qu'on avait gardé qu'une scène de mobylette.

 

Comment, avec un tel sujet et dans de telles conditions, as-tu créé ta mise en scène ?

Ce qui était sûr, c'est que pendant le casting personne ne nous poserait de question. Au départ, on a un son un peu pourri, parce qu'on tournait avec deux micros et deux caméras, et puis on a commencé à tourner avec trois caméras. J'ai préparé avec mes cadreurs chaque scène à l'avance. Ce n'était pas très compliqué puisqu'on tournait quand même sur une scène frontale, donc sans mouvements de caméra incroyables, même s'il y en a quelques uns. Mais il y avait surtout un gros travail de dérushage. Il n'y avait pas de découpage prédéfini mais une intention de ce que l'on voulait raconter avec l'image : commencer avec une caméra frontale et avancer petit à petit vers une vraie réalisation.

 

Quelles ont été tes sources d'inspiration pour le film ?

Tout le vécu du casting, déjà. On n'a même pas mis un dixième de tout ce qu'on a vu parce que les gens diraient que ce n'est pas possible, que ça fait trop faux. Et puis, tout mon amour du cinéma. Pour être franc, j'ai dit qu'on allait mettre un bon scénario plat, un peu à deux balles, et voir ce que ça allait donner. Ca me faisait marrer d'entendre les comédiens nous dire que le scénario était très bien écrit et qu'ils se voyaient à fond dans le personnage alors que le scénario est ultra classique.  Un casting, c'est comme un entretien d'embauche, ils sont obligés de dire qu'ils sont dans le personnage et que c'est bien, donc on a un peu joué là-dessus. On a aussi rajouté plein de choses au scénario pour pousser les comédiens dans leurs retranchements et jouer sur une dramaturgie. Tous les films que j'ai vu m'ont forcément inspiré dans mon écriture mais ce qui comptait le plus, c'est qu'il y ait de l'humour et de l'ironie.

 

A ce sujet, la vision que tu proposes des comédiens est assez ironique. Tu voulais proposer un décryptage du métier d'acteur ?

C'est plus un hommage aux comédiens. C'est un métier où tu donnes énormément de toi-même et où, finalement, il n'y a que très peu d'élus. Il y réside une vraie fragilité. Tous les comédiens qu'on a mis dans le film sont là parce qu'ils dégagent quelque chose, certains ne jouent pas très bien mais ils ont du charisme et ça m'intéressait de les prendre à ce moment-là. C'est comme Jean Reno. Ce n'est pas un très bon comédien mais il a été très bien utilisé par Luc Besson. Du coup, c'est l'intérêt du cinéma, et la grande différence avec le théâtre où tu peux moins tricher. On voulait aussi voir leurs limites et on a compris qu'il n'y en avait pas vraiment. On parle aussi du pouvoir du réalisateur derrière la caméra, qui va demander des choses et de ce que le comédien peut accepter ou non. Mais il y a une chose très importante dans tout ça, c'est qu'il n'y a pas de perversité. Sur la scène de nu par exemple : l'objectif c'est qu'à un moment donné on y croit et, petit à petit, il y a un peu de passion qui se crée entre les deux comédiens alors qu'au départ ça fait mal au coeur, on voit que la fille serre les mains. Pareil pour la scène des claques, au début c'est un peu ridicule mais j'énerve le mec et il commence à y aller plus sérieusement et du coup ça fonctionne. En tant que réalisateur, tu dois pousser tes comédiens pour qu'ils te donnent ce dont tu as besoin et cela fait aussi partie de leur métier.

 

Parle-nous de la promotion du film qui est assez particulière...

On savait qu'on n'avait pas de budget pour faire de l'affichage, surtout comparé aux gros blockbusters avec des moyens énormes. Comment faire parler du film ? On a décidé de pousser le concept de Casting Sauvage jusqu'au bout, de lancer un concours pour faire parler de nous et pour filmer la dernière scène du film. On a eu l'idée d'un camion (ndlr : qui propose au public de passer un casting) pour suivre la promotion du film, en sachant que ça allait ramener un peu de presse. Pour la scène finale, on a eu 600 candidatures, 350.000 visiteurs uniques en deux mois et un million de pages visitées sur le site internet, beaucoup de gens avaient entendu parler du film avant de le voir dans le milieu des comédiens. Au final, c'est une bonne opération pour nous : toute la promotion s'est faite avec beaucoup d'énergie et très peu de moyens.

 

Pour conclure, quelle est ta vision du cinéma français en tant que jeune réalisateur ?

Le vrai problème du cinéma français aujourd'hui, c'est le CNC. Après, ils n'ont pas forcément tort, mais actuellement on est beaucoup dans le truc du scénariste-auteur-réalisateur. Mais un bon scénariste n'est pas forcément un bon réalisateur, et donc je trouve ça assez dommage. Et puis, si tu as envie de faire un thriller, par exemple, il y a très peu de chances que le CNC te soutienne. Mais ce qui est beau aujourd'hui, c'est qu'avec une caméra numérique tu peux faire du cinéma. Après, ça ne veut pas dire que tous les gens qui vont avoir une caméra vont faire de bons films, mais si tu as du talent, que tu travailles bien et que tu as un bon scénario, tu peux te lancer dans un film sans avoir à attendre le moindre soutien et faire parler de toi si ton film a quelque chose de fort. Moi, je n'ai eu droit à rien, mais du coup, ça veut dire que je n'ai pas le droit de faire du cinéma ? Ca veut dire que le CNC et les régions ont décidé que je ne pouvais pas faire de films ? C'est pour ça que j'ai créé ma boite et, pour le coup, ça fonctionne puisqu'on a signé avec un producteur pour un prochain long-métrage. Je ne dis pas que mon film a quelque chose de fort, mais on a poussé dans tous les sens pour qu'il existe.

 

Nous remercions évidemment Galaad Hemsi pour son accueil chaleureux et sa disponibilité ainsi que Clément Vieu et Raphaël Delétang, comédiens, directeurs de casting et co-auteurs du film.

 


 

 

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