Un Doigt dans le Culte : Don Bluth, l'anti-Disney

Christophe Foltzer | 29 janvier 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 29 janvier 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec Un Doigt dans le Culte, la rédaction profite de son temps libre, de son salaire mirobolant et de sa mégalomanie galopante pour partager avec vous des œuvres importantes, cultes, adorées, en dehors de toute actualité. Films, séries, livres, bandes-dessinées, sculptures en crottes de nez, tout va y passer. Aujourd’hui c’est le tour de Don Bluth, à l'occasion de la ressortie en salles de son chef-d'oeuvre Brisby et le secret de NIMH.

 

Lorsque l'on demande aux gens s'ils aiment le cinéma d'animation, ils répondent généralement "oui". Quand on leur demande qui ils aiment dans le cinéma d'animation, ce sont à peu près tout le temps les mêmes noms qui reviennent : Walt Disney, Hayao Miyazaki, Pixar, Dreamworks... Que des valeurs sûrs qui alignent les énormes succès en salles quasiment à chaque fois. Pourtant, les fins connaisseurs en ajoutent le plus souvent un autre, de moins en moins connu malheureusement : Don Bluth. Un artiste exceptionnel, l'un des meilleurs animateurs du monde, qui a connu une carrière en dents de scie en proposant un cinéma d'animation plus profond et plus adulte que le tout venant en n'oubliant jamais qu'il s'adressait avant tout à des enfants. Un réalisateur qui aura traumatisé beaucoup d'enfants dans les année 80 et sur lequel nous revenons aujourd'hui. Mais plutôt que de transformer ce dossier en vulgaire page Wikipedia, nous avons de revenir sur les quelques étapes importantes de sa carrière, en n'en gardant que le meilleur. Préparez-vous à plonger dans le monde merveilleux et ténébreux de Don Bluth...

 

Photo Don Bluth

 

Les années Disney

Comme bon nombre de ses contemporains occidentaux, Don Bluth a commencé sa carrière comme simple animateur dans les studios Disney. Profondément marqué par Blanche-Neige et les Sept Nains lorsqu'il avait 6 ans, Don Bluth fut engagé comme intervalliste lors de la préparation de la Belle au Bois Dormant.

Après un hiatus de quelques années durant lesquels il a été missionnaire en Argentine puis directeur avec l'un de ses frères d'un théâtre de Santa Monica spécialisé dans les comédies musicales, il décide de revenir à sa passion. Il revient chez Disney pour travailler en tant qu'animateur sur différents films tels que Peter et Elliott le DragonRobin des Bois ou encore Rox et Rouky où la sensualité de son trait et son style si particulier font déjà des merveilles. Car oui, le style Don Bluth est reconnaissable entre mille. Spécialiste du mouvement et de la retranscription des émotions, il donne une grande fluidité à ses dessins. Ses animations souples et complexes peuvent confèrer un panel d'émotions purement humaines à des animaux. Caractéristique que l'on retrouvera dans ses films suivants.

Limité dans sa création et nourrissant d'évidentes ambitions de réalisation, Don Bluth décide de quitter Disney à la fin des années 70 avec deux collègues, Gary Goldman et John Pomeroy pour fonder le studio Don Bluth Productions. Leur objectif : retrouver à travers leurs propres films la magie qu'ils estiment avoir disparu des studios du grand Walt. Et non, contrairement à la croyance populaire, Don Bluth n'a rien à voir avec Taram et le chaudron magique.

 

Photo Rox et Rouky

 

Brisby et le secret de NIMH

Après quelques courts-métrages, le petit studio se lance enfin dans un vrai film et décide d'adapter le premier tome de la trilogie littéraire de Robert C. O'Brien, Les Rats de NIMH pour en faire le cultissime Brisby. Dans ce film, tout l'univers de Don Bluth peut enfin s'exprimer et il n'est pas franchement joyeux. S'il n'oublie pas qu'il s'adresse à un jeune public, le réalisateur nous livre un métrage des plus noirs, où la maladie côtoie la mort, la destruction, la mélancolie et les expériences scientifiques cruelles. A travers le parcours de son héroïne, c'est à une véritable plongée dans les abîmes de l'être humain que nous invite le metteur en scène avec, pour seul but, de trouver la petite lumière qui se trouve au fond et qui ne demande qu'à jaillir. Si le film marque par son ambiance poisseuse et mélancolique, à des années-lumière des productions contemporaines, et par son excellence technique et esthétique, il ne rencontre pas le succès public espéré et menace de faillite la jeune société. (retrouvez notre critique toute fraiche du chef d'oeuvre ici).

Après ce coup d'essai, Don Bluth décide une nouvelle fois de prendre une direction totalement différente. Il cède les droits de Brisby pour sauver sa société, ce qui nous vaudra quelques années plus tard une suite pitoyable en DTV et il se tourne vers un média alors émergent, le jeu vidéo.

 

Photo Brisby

 

Dragon's Lair

Sorti en 1983, Dragon's Lair est une révolution à plus d'un titre. Moins un jeu vidéo qu'un film interactif, il est aussi le premier film à être distribué dans les salles d'arcade sur le support laserdisc. Son gameplay limité qui oblige le joueur à des choix  réflexe qui le feront perdre ou poursuivre l'aventure, est rendu possible par le chapitrage proposé par le disque. D'une durée de vie estimée à 20 minutes lorsque l'on connait les pattern et les choix, le titre n'offre que peu de rejouabilité, ce qui ne l'a pas empêché de rencontrer un gros succès et de se voir décliner sur toutes les plateformes possibles et imaginables avec des fortunes diverses.

La nouvelle société Bluth Group a enchainé avec la suite logique Dragon's Lair 2 : Time Warp puis avec Space Ace. Mais 1983, une crise majeure sévit dans le jeu vidéo en Occident au point qu'on s'interroge sur la survie de ce média jusqu'à ce que Nintendo arrive avec sa Nes et sauve la mise. Mais le Bluth Group ne s'en remettra pas. A noter qu'il y a quelques mois, Don Bluth a lancé une campagne Kickstarter pour financer son projet de long-métrage basé sur l'univers de Dragon's Lair. Il n'est donc pas dit que nous ne retrouverons pas Dirk the Daring très bientôt, lancé dans une nouvelle aventure pour sauver sa Daphnée.

 

Photo Dragon's Lair

 

Fievel et le Nouveau Monde

Dragon's Lair lui ayant permis de rencontrer Steven Spielberg, Don Bluth se voit proposer la chance de travailler sur un nouveau film. Sorti en 1986, ce sera Fievel et le Nouveau Monde. Fidèle à son habitude, Bluth n'épargne rien à son jeune public dans cette belle épopée encore une fois remplie d'un espoir désanchanté. Il nous raconte l'histoire du jeune Fievel, le plus jeune des enfants de la famille Souriskiewitz qui décident de quitter l'Empire Russe en 1885 pour échapper aux tyrans félins. Séparé de sa famille après une tempête, Fievel arrive seul à New-York. Il se met en quête de ses parents, croisant sur son passage des êtres plutôt colorés et toujours intéressés, preuve que l'Amérique n'est pas que la Terre Promise qu'ils espéraient. 

Pour la première fois, Don Bluth utilise le dessin animé comme métaphore du réel en l'ancrant dans notre monde à une époque historique des plus troublées. Il se nourrit de ses propres souvenirs en puisant dans son histoire familiale de descendants d'immigrés juifs. Récit profondément social et politique, Fievel n'en n'oublie pas la magie du dessin animé et trouve une formule gagnante qui lui assurera un immense succès. Il devient ainsi le dessin-animé de référence n'appartenant pas à Disney le plus rentable de l'époque. Universal en proposera plusieurs suites qui n'arriveront pas à la cheville de l'original même si Fievel au Far-West demeure encore aujourd'hui très sympathique. Avec ce film, Bluth affirme son style, trouve son icône et entre dans une période faste.

 

Photo Fievel

 

Le petit dinosaure et la vallée des merveilles

Lancé dans une belle histoire d'amour avec Spielberg, Bluth n'avait aucune raison de ne pas récidiver. Le nouveau bébé arrive en 1988 et s'intitule Le petit dinosaure et la vallée des merveilles. Avec le périple de Petit-Pied, l'apatosaure qui se retrouve orphelin suite à l'attaque de Dent Tranchante, et séparé de son troupeau après un tremblement de terre, Don Bluth approfondit la thématique de Fievel. A une différence notable toutefois : ici il n'y a aucun humain et le monde est à l'état sauvage. Une manière d'explorer davantage le thème de la recherche du bonheur dans un monde violent et impitoyable et d'affirmer qu'il est possible d'y trouver l'espoir en préservant notre part d'innocence. Une leçon de vie qui a ému le monde entier à l'époque et fait encore figure d'oeuvre culte aujourd'hui. Le succès sera tel que le film connaitra pas moins de 12 suites (!) directement sorties en vidéo jusqu'en 1997, suites avec lesquelles le réalisateur n'a évidemment rien à voir.

Dans sa construction et sa galerie de personnages, Le petit dinosaure est d'ailleurs le premier film de son auteur à attaquer aussi frontalement Disney. Profitant de son sujet pour mettre en avant des personnages jeunes et au design irrésistible, il parvient enfin à retrouver cette fameuse magie qui faisait défaut à son ancien employeur et qui l'avait poussé à partir. Disney saura s'en souvenir quand en 2000, le studio sort Dinosaure, un fim qui entretient de nombreux points communs avec le chef-d'oeuvre de Don Bluth sans pour autant l'égaler.

 

Photo Petit Dinosaure

 

Charlie, mon héros

Changement radical d'ambiance pour le chef-d'oeuvre suivant du réalisateur, Charlie, mon héros, peut-être son film le plus aimé au sein de notre rédaction. Cette fois, nous sommes dans la fin des années 30, à la Nouvelle-Orleans et nous frayons avec le dangereux monde des gangsters animaliers. Charlie, chien escroc au grand coeur, se fait descendre. Après être monté au Paradis alors que c'est l'enfer qui l'attendait, il décide de remonter la montre qui symbolise sa vie pour redescendre sur Terre pour retrouver son ami Gratouille et se venger de son assassin, l'abominable Carcasse. Mais sa rencontre avec Anne-Marie, une jeune fille orpheline, va changer tous ses plans et l'amener vers le sacrifice désintéressé pour sauver ceux qu'il aime.

Là, on ne rigole plus, Don Bluth a décidé de nous apprendre la vie en nous faisant chialer. Au sommet de son art, il reprend tous les codes des films de gangster, clichés compris pour nous raconter au final une histoire de rédemption terriblement humaine et mélancolique. Réflexion sur l'existence, les choix, le temps qui passe et les regrets, Charlie est à ce point définitif que l'on en garde un souvenir ému même après plusieurs années sans le voir. Ce film est un chef-d'oeuvre absolu à placer tout en haut avec Brisby et Fievel. Seul problème à l'époque : il est sorti en même temps que La petite sirène qui marqua le retour en grâce de Disney et compromit le succès de Charlie en salles. Mais cela n'empêcha pas le film de connaitre une suite, un film de Noël et une série télé, tout ça évidemment sans Don Bluth aux commandes.

 

Photo Charlie

 

Anastasia

Après Charlie, Don Bluth connait un parcours plus chaotique où il semble se perdre. Fatigue ? Désillusion ? Dépression ? Difficile de le savoir mais il est évident que le Don Bluth responsable du Lutin Magique et de Youbi le petit pingouin n'a plus grand chose à voir avec celui de Brisby. Probablement lassé par une industrie changeante, de nouveau dominée par Disney, il faudra attendre 1997 et Anastasia pour que le réalisateur connaisse à nouveau un énorme succès.

Cette fois, il s'intéresse à l'Humain et à l'Histoire puisqu'il s'inspire de la saga des Romanov pendant la révolution et du massacre de la famille du Tsar Nicolas II en présumant la survie de sa fille Anastasia. Délaissant les animaux, Bluth trahit quelque peu son style et fait un petit aveu d'échec en polissant le ton de son histoire et son propos politique pour les rendre plus conformes aux canons désormais imposés par Disney. Plus simple, moins sombre et guère surprenant sur le fond et la forme, Anastasia reste cependant une belle performance, un peu désincarnée, qui connaitra un énorme succès en salles et en vidéo, devenant ainsi une référence pour toutes les petites filles ayant grandi à la fin des années 90. Fort de ce succès, la Fox commandera une suite, Bartok le magnifique, centrée sur le personnage de la chauve-souris et, pour une fois, c'est Don Bluth qui s'en chargera pour un résultat plus que moyen.

 

Photo Anastasia

 

Titan A.E.

Sorti en 2000 et bénéficiant d'une énorme promotion, Titan A.E. était la promesse du retour de Don Bluth à ses thématiques préférées et à une animation sombre et mélancolique. Avec un budget record de 75 millions de dollars, le réalisateur avait toutes les cartes en main pour nous livrer un nouveau chef-d'oeuvre, d'autant plus qu'il tentait le pari encore audacieux pour l'époque de combiner animation traditionnelle et images de synthèse.

Malgré un postulat de départ intéressant et un univers passionnant, Titan A.E. ne décolle jamais vraiment. Le film se perd dans des facilités de scénario très embarrassantes et, pire que tout, se permet même de nous offrir un design général juste moyen et une animation anecdotique en regard des réelles capacités du bonhomme. Le public ne s'y trompera pas puisqu'en dépit de la participation de Matt Damon, Drew Barrymore et Bill Pullman au casting vocal, et d'un dispositif gigantesque de promotion, le film fera un flop en rapportant uniquement 37 millions de dollars de recettes mondiales (dont 23 sur le sol américain). Il ne rembourse pas son budget et provoque la fermeture du studio Fox Animation.

 

Photo Titan AE

 

Depuis lors, Don Bluth n'a plus réalisé de long-métrage et a peu à peu été oublié du public le plus jeune. Nous vous invitons évidemment à regarder tous les films cités dans ce dossier pour découvrir le travail exceptionnel de cet artiste qui aura payé cher son audace et sa volonté d'aller toujours à contre-courant. A l'heure où l'animation oscille entre conneries niaises façon Minions et vraies oeuvres profondes à la Dragons 2, redécouvrir Don Bluth aujourd'hui, c'est se rappeler qu'il y a 35 ans, quelqu'un avait déjà tout compris à ce que le public voulait vraiment. Il était simplement arrivé trop tôt.

 

Photo Don BluthLe Maître.

 

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commentaires
Rorov94
30/07/2017 à 14:41

1983,Créteil soleil,resto'«chuck and cheese:
Je me pointe dans«la foret magique»(un faux bois bourré de jeux d'arcade dont le fameux star wars en cockpit!)entre les(magnifiques)animatroniques,les rampes d'escaliers toboggans et la piscine à boules géante je découvre DRAGONS LAIR!
Je m'y prends à 3 fois pour gérer le jeux.
Au bout de 2 heures et environ 50 francs de jetons,je le fini.
A moi la princesse ultra sexy de l'ancêtre du point and click.
Dans la soirée,après avoir composé ma pizza (particularité de ce resto/park d'attraction)je vois un technicien ouvrir l'arcade et aperçoit un LASERDISC...les cd n'arriveront dans le commerce que l'année d'après(brothers in arms)
Super article.

momo
31/01/2017 à 11:16

Merci pour ce dossier

axel aepice
30/01/2017 à 20:57

Article intéressant qui remet mon réalisateur préféré à l'oeuvre du jour ! Ceci dit je trouve que le Don bluth responsable du Lutin Magique a à voir avec celui de Brisby. C'est bien de voir que Don Bluth peut passer d'oeuvre effrayante à d'autres plus touchantes et mignonnes.

Snake
30/01/2017 à 16:27

Merci beaucoup pour cet article et de remettre en lumiere la carriere de cet artiste exceptionnel !

Markoraf
30/01/2017 à 11:08

Charlie, quelle claque! La petite chanson de celle qui l'accueille au purgatoire, je l'ai toujours dans la tête après toutes ces années! "... Car tu es.... mort!" Oh punaise cette nostalgie!

zorg274
30/01/2017 à 00:01

Article génial, merci ! J'ai toujours cru que zak et crysta etait également une oeuvre du bonhomme, alors que merde, pas du tout !

Grift
29/01/2017 à 21:08

Merci Christophe Folzer pour cet article très chouette.

Copeau
29/01/2017 à 18:24

Super l'article! Un petit focus sur Charlie comme vous l'avez fait pour Brisby ? Pleaaassseee ! :)

Ozy
29/01/2017 à 17:57

Wow merci @Ecranlarge, excellent cet article. Je les avais tous oublié, et petit le nom des créateurs ne m'intéressait pas trop. Un genie cet homme.

Christophe Foltzer - Rédaction
29/01/2017 à 11:50

Tout à fait :)

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