Star Wars : et si la prélogie de George Lucas n'était pas aussi mauvaise qu'on le pense ?

Christophe Foltzer | 23 mai 2023 - MAJ : 24/05/2023 10:31
Christophe Foltzer | 23 mai 2023 - MAJ : 24/05/2023 10:31

Star Wars est vraiment un cas unique dans l'univers du cinéma, un phénomène qui est quasiment devenu une religion pour beaucoup. Et si la saga de George Lucas a été relancée pour le pire et un peu de meilleur par Disney, il est peut-être temps de se pencher à nouveau sur sa période sombre : la fameuse prélogie.

Considérée par beaucoup de fans comme une immense déception et une trahison de ce qui a été fait avant, la prélogie Star Wars connait une légère revalorisation maintenant que Disney a pris les choses en main et enchaîne les projets de films et séries. Avec la nouvelle trilogie débutée par Star Wars : Le Réveil de la Force, ou encore The Mandalorian, AndorSolo : A Star Wars Story, la postlogie a plus que jamais divisé les fans, notamment à cause d'une production chaotique qui s'est ressentie dans les nombreux projets, et un Mickey un peu trop hâtif d'exploiter la licence aux Jedi.

Il nous paraissait donc intéressant de jeter un oeil en arrière pour se demander si nous avions vraiment compris ce que George Lucas avait essayé de nous dire à l'époque avec La Menace fantôme, L'Attaque des clones et La Revanche des Sith

 

Photo Jake Lloyd, Liam Neeson, Ewan McGregorChaque génération a sa trilogie

 

UNE GALAXIE LOINTAINE

Ce n'est un secret pour personne, George Lucas a toujours eu un rapport plus que conflictuel vis-à-vis de Star Wars. Clairement dépassé par l'ampleur du succès de la saga originale, il s'est retrouvé enfermé, étouffé par sa création alors même qu'elle le rendait extrêmement riche et l'inscrivait au panthéon des artisans du 7ème art. Une contradiction qui s'est manifestée à plusieurs reprises et qui trouve son plus bel exemple dans le remaster vidéo de la première trilogie, les fameuses et décriées Editions Spéciales. Si tout le monde y a vu là à l'époque un acte de sabordage, la raison première serait plus à chercher du côté de la réappropriation.

 

Photo George Lucas"L'univers que j'ai créé s'étend jusque là-bas"

 

Limité par les moyens dont il disposait dans les années 70, Lucas n'était pas entièrement satisfait du résultat et après avoir boosté la technologie pendant 20 ans via sa société ILM, il pouvait enfin retranscrire une partie de sa vision initiale. Insatisfait et exigeant, Lucas a aussi compris très vite que Star Wars lui appartenait moins qu'à ses fans érigés en gardiens du temple et devait probablement s'étonner qu'il n'ait plus vraiment son mot à dire sur sa propre création.

D'un naturel froid et légèrement paranoïaque, Lucas s'est donc enfermé dans sa tour d'ivoire, avec pour seul but de reprendre son bébé. Comme il n'est pas l'homme le plus doué du monde pour la communication, il a très mal géré ce virage qui a démarré la grande scission qui conduira à la vente de la licence à Disney, au grand soulagement de pas mal de monde. Un comble. Mais ce ne sont là que les germes d'une plus grande bataille.

 

Photo George LucasLa vieille garde, contre la nouvelle

 

RETOUR AUX SOURCES

Lorsque Lucas annonce au milieu des années 90 qu'il compte nous donner une nouvelle trilogie, les esprits s'échauffent et perdent immédiatement de vue l'essentiel : Star Wars appartient à Lucas et il a un plan en tête depuis longtemps. L'histoire est connue de tous : à l'origine personne ne croyait au potentiel de Star Wars et Lucas a commencé par l'Episode IV parce qu'il était le plus simple à faire en regard des moyens dont il disposait. Il avait déjà un arc précis en tête, centré autour de la destinée d'Anakin Skywalker, et il comptait bien le mener à son terme un jour ou l'autre.

Si l'univers de la saga avait connu une grosse expansion grâce à ses nombreux produits dérivés, nous faisant découvrir d'autres aspects de la Galaxie, l'histoire principale restait cependant en friche.

 

Photo Jake LloydCours, Anakin, cours

 

Et si la première trilogie était mythologique, avec une relecture du monomythe de Joseph Campbell ainsi qu'un best-of de toute la culture new-age déclinante de l'époque, George Lucas n'était plus le même homme dans les années 90. Fatalement, cela allait se ressentir dans son travail. Il restait cependant contradictoire et celui qui annonçait à regrets qu'il avait débuté comme un rebelle et qu'il s'était progressivement transformé en Dark Vador souhaitait, avec cette nouvelle partie, parler du monde qui l'entourait.

La trilogie formée par La Menace fantôme, L'Attaque des clones et La Revanche des Sith ne sera pas tant une aventure mythologique qu'une analyse politique et psychologique des dérives totalitaires du monde. Rappelons quand même à tout hasard que ce n'est pas venu de nulle part puisque son premier film, THX 1138, parlait déjà d'une société déshumanisée où l'homme n'était plus qu'un produit destiné à l'exploitation. Et, dans un sens, la prélogie est plus un prequel de ce film que de Star Wars.

 

PhotoHologramme de la Force

 

UNE RATIONALISATION DE LA FORCE

Si l'on prend la trame de la trilogie à son niveau le plus basique, que voyons-nous : la destinée tragique d'un enfant appelé à sauver le monde et qui se perd en chemin, perverti par un système totalitaire en devenir qui manipule ses émotions. Si le parallèle avec le propre parcours de Lucas (l'un des Wonder Boys des années 70 et du Nouvel Hollywood) est évident, il fait aussi un état des lieux de la chute d'une république. Passionné d'histoire, Lucas sait comment se crée un empire et a probablement vu dans l'évolution de la société américaine pré-11 septembre les germes d'un danger pour tout le monde.

Entre les deux trilogies, Reagan, Bush et Clinton se sont succédés à la Maison Blanche, la Guerre Froide s'est terminée, la première guerre d'Irak a éclaté, un Président s'est fait lustrer le cigare dans le Bureau Oval et le fils Bush s'apprête à prendre le pouvoir. L'heure n'est donc plus à la magie mais à l'analyse. Et c'est peut-être le plus grand mérite de la prélogie : faire l'inverse de ce que l'on attendait.

 

Photo YodaYoda moins marionnette que jamais

 

À un niveau plus personnel, on peut supposer que Lucas a "trahi" ses fans parce qu'il voulait les faire évoluer. Voyant que son univers est devenu une religion, qu'il déclenche les passions depuis 20 ans et que rien ne semble pouvoir l'arrêter, il souhaite peut-être en profiter pour y insuffler un message qu'il mûrit depuis très longtemps, fruit de ses années d'observation et d'analyse.

Car Lucas est un cérébral, à tendance mystique certes, mais néanmoins ancré dans le réel. Et si les années 60-70 ressemblaient à une quête spirituelle pour beaucoup de réalisateurs américains émergeants, la fin de la guerre du Vietnam, l'assassinat de Kennedy et l'ultra libéralisation de la société américaine ont calmé leurs désirs d'un ailleurs magique et illuminé.

 

Photo Hayden Christensen, Ewan McGregor, Natalie PortmanLe trio de la nouvelle trilogie

 

Casser le mythe pour parler de la réalité, voilà le pari que Lucas s'est fixé. Ce qui explique pourquoi la Force est à présent un facteur génétique, pourquoi la prélogie semble plus s'intéresser aux manipulations politiques du Sénat qu'aux aventures des Jedis et pourquoi son Anakin est un héros aussi fade. Il est le symbole d'un idéal révolu et naïf piégé par un système pervers qui est en train de le digérer. Autant une allégorie de Lucas lui-même que de la société américaine.

La fin d'une innocence qui doit cependant sacrifier à quelques passages obligés pour satisfaire les fans. Car un tel message ne peut être communiqué de manière frontale. Le public ne veut pas assister à un cours magistral, il veut retrouver la magie de son enfance, bref retrouver le Star Wars qu'il aime et que sa passion a modifié avec les décennies. Lucas n'étant pas le plus doué pour jouer sur l'émotionnel (à l'inverse de Spielberg), il va commettre quelques erreurs impardonnables.

 

Star Wars Épisode II : L'Attaque des clones : Photo Hayden ChristensenDans l'ombre d'une trilogie mythique

 

L'ERREUR JAR-JAR BINKS

Quoi qu'il fasse, il sait que ses films vont cartonner. Mais, dans sa contradiction, Lucas veut aussi donner à son public ce qu'il attend tout en désirant toucher une génération plus jeune pas encore contaminée par la Force. En résultent des choix discutables, dont Jar-Jar Binks, le personnage le plus détesté de l'univers. Contenter tout le monde était chose impossible, Lucas le sait bien et il a dû faire un choix. Reprenant les codes de la fable mythologique, il commence donc sa prélogie sur un mode quelque peu naïf et enfantin pour mieux approfondir son propos dans les films suivants, se piégeant ainsi définitivement.

 

Photo Jar Jar BinksMissa dit ça cocotte pas bon

 

À trop jouer sur tous les tableaux en même temps, on perd le contrôle et Lucas, une nouvelle fois, vrille totalement de son objectif de départ. Les films suivants rétabliront quelque peu la balance mais le mal est fait, ce que les gens retiennent est l'histoire d'amour insipide d'Anakin et Padmé, très en-deça des attentes et traitée avec tellement de naïveté qu'elle en devient embarrassante à regarder. Et on voit bien d'ailleurs que cela n'intéresse pas Lucas, que la mise en scène de ces séquences n'est pas inspirée, que l'écriture est ridicule, mais c'est le prix à payer pour camoufler un pamphlet sous les atours d'une grande fresque universelle, une saga qui touchera les gens en se jouant de leurs émotions.

Car le projet est complexe et n'aurait jamais intéressé le public s'il s'était présentée de façon brute. Soumis à de grosses contraintes commerciales, Lucas doit dès la base pervertir son idée pour en faire un objet grand public. Cela ne peut pas bien se passer quoi qu'il arrive.

 

PhotoPaul

 

UNE PRELOGIE PAS SI NULLE

Si la prélogie accumule les erreurs et les fautes de goût, elle n'en reste pas moins passionnante dans ce qu'elle raconte une fois qu'on a fait le tri. A l'heure où Disney capitalise sans vergogne sur la franchise et semble décidée à la prolonger ad nauseam sans vraiment creuser le coeur de son sujet et en utilisant toujours les mêmes ficelles, Lucas nous avait fait une proposition originale et fortement subversive. Critiquer à la fois le système qu'il avait lui-même créé ainsi que le monde dans lequel nous vivons tous en utilisant quelque chose d'universel et qui emporte l'adhésion de tout le monde pour faire passer un message important.

 

PhotoUn public désappointé

 

Oui le résultat est bancal, oui Lucas n'a pas été à la hauteur de son ambition, mais c'est justement ce qui rend son travail aussi passionnant. De voir la lutte d'un homme contre lui-même, contre sa création qui l'a dépassé et un public qui pense que la saga lui appartient totalement et que son inventeur doit aller dans son sens. Quelque part nous vient l'idée que George Lucas a peut-être réussi son pari. Pas dans les films lui-même mais dans leur contexte et leur réception. Il nous a prouvé que nous étions tous des dictateurs en puissance dès lors que l'on touche à notre coeur, notre pulsionnel et notre passion et qu'il ne faut pas grand chose pour basculer du côté obscur.

Si Lucas y a plongé pour s'exorciser de son bébé avant de jeter l'éponge et de le confier à quelqu'un d'autre, nous n'avons peut-être pas compris ce qu'il a voulu nous dire puisque nous allons toujours nous déplacer en masse voir le prochain film de la saga, à présent détenu par un véritable Empire qui n'en est pas à ses premiers faits d'arme et qui nous vend peut-être du réchauffé pour mieux nous enchainer, tout en excitant notre fibre nostalgique et rebelle.

 

Photo Ian McDiarmidMickey Palpatine

 

Au final, on peut supposer que Lucas n'a pas fait cette prélogie pour nous, le public, mais bel et bien pour lui. Pour se libérer d'un poids et s'affranchir de quelque chose qui l'avait transformé avec les années en ce qu'il n'était pas. Tout en nous racontant ce que nous avions tous fait collectivement sans nous en rendre compte et en se permettant au passage de nous mettre en garde contre un système politique et économique global qui a prouvé depuis à de multiples reprises qu'il ne souhaitait pas forcément notre bonheur.

Pour toutes ces raisons, la prélogie mérite d'être réhabilitée, pas pour ce qu'elle est de façon effective, mais bel et bien pour ce qu'elle raconte et représente.

Tout savoir sur Star Wars : Episode I - La Menace fantôme

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commentaires
PetitJean
30/01/2024 à 11:23

Je suis désolé mais la prélogie atomise la trilogie merdique de Disney à tous les niveaux

Taovos
24/05/2023 à 12:28

Oh oui la prélogie est excellente, entre l'épisode 2 qui m'a touché avec sa romance avec un Anakin très pur dans ces sentiments, forcément inexpérimenté et tout l'aspect politique derrière on a probablement la meilleur trilogie Star Wars avec cette prélogie. Le meilleur épisode reste le 3 même si la transformation d'Anakin est trop rapide, nous spectateur il nous manque quelques scènes pour montrer à quel point cette guerre aura été dur pour lui entre l'épisode 2 et 3.

Faurefrc
24/05/2023 à 09:15

Avec un peu plus de tenue scenaristique, de bons dialoguistes, un peu moins de fonds verts et plus d’ effets pratiques et si Lucas s’était entouré de collaborateurs moins complaisants, il aurait pu élever cette prelogie au niveau des épisodes IV et V. Il en reste tout de même un spectacle assez généreux pour émerveiller les gosses.

Gilles
24/05/2023 à 07:34

C'est de loin beaucoup mieux que les films Disney, au moins Georges sait créer des univers, des formes de vies et se renouveler. Disney nous a servi un plat réchauffé sans saveur.

PatrickJammet
24/05/2023 à 07:13

Au fin fond de la galaxie boréale... le Duc Patrick de planète Vertu, le cyclothymique hyperthymique extrapyramidal... Vous observe, ironise bien et vous attend sagement en toute quiétude ! Ignorant ?! - Le Korrigan, frangin... "Une vraie mafia bretonne; Kennedy et tout le tintouin" ! Tdou Tdou Tdou ! :) N.B: "Le Comte Dooku". :)

Ghob_
24/05/2023 à 06:31

Perso, pas besoin de "réhabiliter" quoi que ce soit : la prélogie est pour moi canon au même titre que la trilogie initiale et elles forment ensemble une grande et même histoire. Certes, il y a des fautes de goût et oui, Lucas n'est pas le plus doué conteur qui soit (surtout qu'ici, contrairement à l

Johnny Cage
23/05/2023 à 22:35

J'aime la prélogie, j'ai vu chacun des 3 films à leur sortie au cinéma, même si je suis un peu moins fan de l'épisode 2 (qui arrive dernier dans ma liste de préférence des 6 films), je la trouve vraiment très bonne et Jar Jar lui ne m'a jamais déranger, au contraire, il me fait beaucoup rire, même encore aujourd'hui. A mes yeux Star Wars se sont 6 films, les autres (c'est à dire la Nécrologie de Disney) n'existe pas !

RetroBob
23/05/2023 à 22:20

Très belle analyse et donc excellent article! Bravo.

Lecon
23/05/2023 à 22:11

Sympa ce site où les journalistes réagissent parfois aux commentaires. Dommage que les commentateurs ne peuvent pas dialoguer directement entre eux. J'imagine que ça ferait trop de taf en tri à la main car le net est plombé par la haine. Moi-même j'adore insulter dans un relatif anonymat :)

TOCAP
23/05/2023 à 20:54

Juste horrible

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