Le Bon Gros Géant, Warcraft, Alice au Pays des Merveilles, le cinéma de divertissement est-il en crise profonde ?

Jacques-Henry Poucave | 27 juillet 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 27 juillet 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Jamais les super héros, les franchises, les remakes, les reboots, les suites et les univers étendus n’ont jamais été aussi présents ni attirés autant de spectateurs. Mais si derrière les chiffres faramineux de ces grosses machines se cachaient les premiers symptômes d’une crise hollywoodienne sans précédent ?

 

L’odeur du dollar au petit matin…

Lorsqu’en 2013, George Lucas et Steven Spielberg évoquent une future « implosion » de l’économie du cinéma grand public, l’industrie et les cinéphiles les écoutent avec attention. Preuve que le sujet est sensible, producteurs, journalistes et cinéastes vont commenter durant des mois cette prise de position de deux maîtres en matière de blockbusters (qu’ils ont quasiment inventé), que ce soit pour abonder dans leur sens ou critiquer sévèrement cette prédiction.

 

Photo Ultron

 

Un regard superficiel sur l’état de santé d’Hollywood tendrait à leur donner tort. Il suffit de jeter un œil à l’encombrement actuel de superproductions sur les écrans, aux chiffres étourdissant des franchises super-héroïques, au succès planétaire d’un Star Wars sérialisé ou tout simplement à la ferveur de millions de fans surexcités à la moindre annonce sortie des studios Disney pour se convaincre de la toute-puissance du 7ème Art.

Ainsi, 2015 a vu les licences les plus commerciales régner sur le box-office, occasionnant des pluies torrentielles de dollars. Fast & Furious 7, Avengers : l’Ere d’Ultron ou encore Jurassic World ont dépassé allègrement le milliard de dollars, tandis que d’autres plus « modestes », comme 50 Nuances de Grey ou Les Mignons ont tout de même amassé centaines de millions de dollars. Et Pourtant…

 

Photo Marvel Congrats

 

Panique à bord ?

Et si Disney fait indiscutablement la course en tête, grâce aux succès planétaires de Captain America, Star Wars ou encore son Livre de la Jungle, l’industrie du recyclage a toussé et subi une vilaine poussée de fièvre depuis le début 2016. C’est bien simple, quasiment toutes les suites dotées de budgets importants, sur lesquelles les studios avaient misé se sont plantées violemment.

Le Chasseur et la Reine des Glaces, Zoolander 2, Tortues Ninja 2 (sur le sol américain), Divergente 3, Mise à l’Epreuve 2, Alice au Pays des Merveilles 2, Nos Pires Voisins 2 (et assez probablement S.O.S Fantômes) ont grandement déçu. Qu’il s’agisse de suite de film culte ou de continuation de succès, le public semble pour la première fois se désintéresser massivement des suites à répétition.

 

Warcraft - Le commencement

 

 

Signe qui ne trompe pas, Universal a décidé de repousser en catastrophe son Pitch Perfect 3, pourtant suite de deux énormes hits. Comme si soudainement, le projet sentait le roussi...

Plus inquiétant pour Hollywood, même certains succès se révèlent décevants ou insuffisants au vu des sommes investies par les studios. Batman V Superman, en dépit d’un score que lui envierait nombre de productions plus humbles, n’aura pas atteint le milliard à l’international et même pas les 350 millions de dollars sur le sol américain, une performance très en deçà des projections de Warner qui comptait sur le film pour projeter en orbite sa collection de blockbusters DC.

Et l'été a continué dans la veine catastrophique. Sans être un flop total, Tarzan a déçu, Le Bon Gros Géant s'est avéré le pire bide de l'été et de la carrière de Spielberg, tandis que Star Trek démarre beaucoup plus faiblement que les deux épisodes précédents et que se profile un Ben Hur dont une grande partie du public se moque gentiment.

 

bande-annonce 2

 

Pour Toi Public

Une situation qui pourrait n’être qu’un toussotement passager, si le public se répartissait sur d’autres productions (et encourageait donc « naturellement »), studios et producteurs à changer progressivement leur fusil d’épaule. Mais plusieurs facteurs indiquent que le public n’a pas changé de salle, il a peut-être changé de loisir.

Si la tendance observée aux Etats-Unis sur les six premiers mois de 2016 se poursuit, Hollywood aura vendu cette année un nombre extrêmement bas de tickets. En volume, les plus faibles ventes depuis 20 ans, pour un résultat carrément inquiétant, puisqu’on n’avait pas connu semblable désaffection depuis les années 1920, avant l’irruption du parlant.

 

Le BGG - Le Bon Gros Géant

 

Le très sérieux site The Numbers évoque ainsi des ventes de tickets pour 2016 culminant à 1 210 469 234 unités, quand elles atteignaient 1 577 038 165 en 2002.

Non seulement moins de personnes se rendent en salles, mais la portion du public qui déserte le plus rapidement les salles représente des individus entre 18 et 40 ans selon la MPAA, qui fournit un rapport détaillé et annuel chaque année. Parmi eux, les 18 / 24 ans sont ceux qui abandonnent le plus vite les salles. Problème : ce sont également les spectateurs les plus enclins à dépenser des sommes importantes pour leurs divertissements, comprendre : voir un film plusieurs fois ou dépenser plus d’argent pour le voir en 3D ou en Imax.

 

Un Colosse aux tout petits pieds d’argile

 

Ne pas prendre en compte l’inflation dans les recettes, inventer des records absurdes (le plus gros succès de la troisième semaine de novembre pour un film d’horreur avec des sandales), augmenter le prix des billets, ou s’appuyer de plus en plus sur les marchés étrangers et/ou émergeants permettent encore de sauver largement la face.

 

Insaisissables 2 Poster

 

Ainsi, Warcaft représentera sans doute une forme de succès, étant donné sa réussite historique en Chine. Mais miser sur des marchés, certes potentiellement énormes, mais dont l’insécurité juridique est une réalité – que les relations sino-américaines se dégradent et l’Empire du Milieu aura tôt fait de réviser ses quotas, déjà sujet à d’âpres discussions – représente un risque énorme.

Sans compter que la nature des gains à Hollywood a changé. Dans les années 80, Hollywood dépensait 20cts en promotion pour gagner 1 Dollars. Aujourd’hui, les studios engagent jusqu’à 60cts en marketing pour empocher ce même Dollar. Leur marge se réduit donc drastiquement, poussant à une terrible fuite en avant en matière d’investissement, mais aussi à une hausse du prix des billets.

 

bande-annonce

 

 

Netflix for the win

 

Ce que nous apprend le rapport de la MPAA, c’est que le public le plus consommateur de cinéma et de fiction en général passe désormais massivement par le biais d’applications mobiles et d’offres groupées, telles que Netflix, Hulu ou encore Amazon (et bien sûr, le téléchargement).

L’intérêt pour le cinéma, et les blockbusters, ne se tarit pas, il se déplace. On assiste donc à peu près à ce que décrivaient il y a 3 ans à peine Steven Spielberg et George Lucas. Une énorme embolie de la production, devenue trop coûteuse, transformée en paquebot impossible à manœuvrer pour des studios qui risquent de plus en plus d’essuyer des pertes phénoménales.

 

Helena Bonham Carter, Alice de l'autre côté du miroir

 

 

Si une crise majeure paraît de plus en plus inévitable, la nouvelle n’est pas forcément mauvaise en tant que telle. Après tout, c’est justement après la crise des studios des années 60 qu’est né le Nouvel Hollywood, considéré encore comme un véritable âge d’or créatif pour le cinéma américain.

Une chose est sûre, l’industrie regarde ces données d’un œil inquiet. Pour le deviner, il suffit de voir que des médias, ouvertement favorables aux studios et l’industrie, et certainement pas désireux de la voir se casser la figure (The Hollywood Reporter, The Atlantic, Variety, etc) relaient ces données et les partagent.

Reste à savoir si Hollywood fait face à une vilaine toux, ou une grosse tuberculose, voire à une bactérie résistante, mal traitée à coups de productions génériques bas de gamme.

 

Hollywood variety

 

 

Signe qui ne trompe pas, les dossiers, études et articles s’intéressant aux nouvelles formes de rentabilité se multiplient, comme celui publié par le American Film Market, qui se penche notamment sur les œuvres les plus rentables sortant des recettes hollywoodiennes classiques.

Alors que l’été ressemble de plus en plus à un champ de ruines, tout indique que Blumhouse, maison mère des Paranormal Activity et autres productions horrifiques à petit budget va encore tirer brillamment son épingle du jeu. American Nightmare 3, produit pour 10 millions de dollars, en rapportait 30 dès son premier week-end d’exploitation sur le seul sol américain.

Soit une mise de départ multipliée instantanément par trois, avec un  succès qui ne se dément pas depuis. Alors qu’absolument aucun blockbuster n’aura réalisé une performance de ce type (excepté les films d’animation), impossible de ne pas lorgner du côté de ce modèle.

De même Hollywood devrait s’intéresser au succès de Stranger Things, de Netflix. Promo minimale, univers référentiel mais inconnu du public, situé dans la lignée de productions que le cinéma de divertissement paraît regarder avec dédain… Et un public cinéphile très largement au rendez-vous…

Miniature affiche

Tout savoir sur Warcraft, le commencement

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commentaires
Cervo
29/07/2016 à 16:35

@soylentgreen

Bien essayé, sauf qu'il n'y a rien à retourner dans l'article.
Hollywood n'a jamais vendu aussi peu de tickets depuis 90 ans. Comment tu retournes ça ? J'aimerais bien savoir.

A part Disney, aucune suite en 2016, AUCUNE n'a atteint ses objectifs. D'où tu retournes ça ?

Tarzan n'est pas du tout un succès. C'est moins un bide que redouté. c'est pas vraiment pareil.

Totemkopf
28/07/2016 à 10:29

@Soylentgreen

Défendre l'argument opposé me semble bien moins solide. Se focaliser sur les quelques suites qui marchent (nettement plus rares que les flops), c'est voir les arbres qui cachent la forêt.

Car avec l'inflation, et le prix des places aujourd'hui, un blockbuster qui approche du milliard reste un succès inférieur à un succès d'il y a 10-20 ans. Preuve que le public se déplace moins, et que le système a pallié ça de manière détournée.

L'article parle justement du fait que les studios se reposent désormais sur les suites. Mais "le jeu en vaut la chandelle", ça reste à démontrer, sur le long terme. Une suite est censée rapporter plus gros que l'original, ce qui n'est absolument pas automatique. Même si on prend des stars, on met encore plus de budget et de promo.
Sans parler du problème des recettes aux USA, qui sont de moins en moins fortes, et obligent à se reposer sur l'international (notamment la Chine).

Et dire que le studio est agréablement surpris par Tarzan... Sérieusement, faut pas boire leurs paroles. Un studio admet rarement un échec. Tarzan est un blockbuster, et il avait pour simple mission de marcher, et pas juste rembourser son budget énorme. Tous les experts du box-office le disent bien. Un film comme ça est censé lancer une franchise.

dmp88
28/07/2016 à 07:46

très bon article !!

Soylentgreen
27/07/2016 à 23:00

On pourrait soutenir exactement le contraire de ce qui est développé dans cet article. Les suites n'ont jamais aussi bien marché en terme de nombre de spectateurs au cinéma. Les gens veulent voir des personnes familiers, des histoires récurrentes. Voir le succès des films Marvel de Jurassic Parc, du nouveau Star War etc...

Citer quelques films pas très réussis, n'ayant, à raison, pas séduit les foules et en déduire que le public se détourne du cinéma, style le chasseur et la reine des glaces ou zoolander 2 ou encore Divergente 3, ne me paraît guère convainquant.

Contrairement à ce qui est soutenu, les studios n'ont jamais autant privilégié les suites en tout genre ( séquelles, prequel ou autre) car le jeu en vaut la chandelle. Les échecs sont largement compensés par les succès.

Enfin en ce qui concerne Tarzan, la situation est inverse à celle qui avancée. Le studio, dans ces estimations, ne s'attendait pas à un tel succès. Y compris aux USA.

Carolin
27/07/2016 à 16:31

@Pote Viens au Kinépolis de Lomme, la place est a 11 euros ...

popopopopo
27/07/2016 à 16:06

J'ai vu les derniers blockbuster chez moi : Deadpool, XMEN, BvS, etc j'ai été très content de ne pas avoir payé pour ces bouses

Fleug
27/07/2016 à 14:15

Bah le fait qu'Hollywood n'ait jamais vendu aussi peu de tickets depuis 1927, c'est peut-être effectivement signe qu'il y a une crise.
Et ça va peut-être faire réfléchir...

Parce que bon, le fait que Disney soit toujours capable d'énormes tours de force financiers ne signifie pas que l'industrie va bien.

Qualopec
27/07/2016 à 14:09

On peut parier que dans les seventies, il y avait aussi des gens qui déploraient la modernité des films qu'on adore aujourd'hui en prétextant une évolution nauséabonde, ridicule voire dangereuse.

Et pour que les financiers se réveillent, faudrait d'abord que le public n'aille pas voir (et donc cautionner) massivement certains films. Même pour un Tarzan qui marche moyennement, y'a un Livre de la jungle qui rafle un milliard et précipite une suite. Un ticket de cinéma a un pouvoir, et il faut l'assumer pour ne pas simplement accuser un studio. Qui, malgré ses efforts, ne peut pas obliger le public à aller en salles (comme le prouvent chaque année quelques exemples).

Dirty Harry
27/07/2016 à 14:00

C'est un manque de variété qui est à l'origine de pénurie de spectateurs...combien autour de moi ne vont plus au cinéma que lorsqu'il y a du "contenu" (ils estiment pour cela que les documentaires remplissent cette exigence mieux que la fiction qui est devenue un dildo à dilatation qui brosse toujours le poil). Il ne faut pas oublier aussi que c'était durant les années 70 que la forte affluence organisée en blockbuster a été mise en place et le contexte favorisait alors le pouvoir aux réalisateurs, qu'on leur laissait faire des choses inédites et risquées, que les tabous de l'ancienne époque volaient en éclats (avant que les nouveaux viennent les remplacer sous couvert "d'évolution", mot flatteur et donc suspect), donc si ces messieurs les financiers prenaient un peu plus de risques, initiaient des projets casse-gueules et casse-cou (un film comme Le Parrain, lent et durant 3 heures a bien cartonné ?) et pouvaient se réveiller et sortir de leur zone de confort où ils n'osent pas changer leurs méthodes (ce sont des métiers créatifs donc il faut aussi apprendre à recréer aussi son métier) l'avenir du cinéma s'en porterait mieux. Et je suis sur que même pour les blockbusters cela serait bénéfique...

lemon
27/07/2016 à 13:51

Si Suicide Squad pouvait se planter... c'est simple, on voit tellement de promo sur ce film qu'à un moment, je pensais qu'il était sorti.

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