Green Room : quand l'horreur rencontre la politique

Simon Riaux | 5 avril 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 5 avril 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec Green Room, le très doué Jeremy Saulnier nous offre un nouveau concentré d’horreur redneck. Son deuxième long-métrage est ainsi le digne successeur d’une des sensations de 2014, le poisseux Blue Ruin. Du bleu au vert, le réalisateur change de couleur et affirme encore son style radical.

Il met en scène un pur survival, œuvre horrifique suffocante, qui met face à face une bande de punks et un groupe de néo-nazis bien décidés à leur faire rendre gorge. De ce pitch de départ qui fleure bon le jeu de massacre, Green Room tire un récit ultra-dense et implacable, qui convoque aussi bien le film de siège que le shasher, ou le polar hard boiled, pour aboutir à un métrage d’horreur gore à souhait.

Malgré (ou grâce à) son point de départ, Green Room appartient à une certaine forme d’horreur politique, renaissante dans l’Amérique post-9/11, que nous nous proposons de décortiquer ici.

 

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En ce lieu, des tigres

Ce n’est pas un hasard si les suprématistes blancs de Green Room font un usage plus que barbares des pitbulls qui les accompagne. Il s’agit bien sûr d’une mécanique classique du cinéma de genre, qui permet non seulement de nous confronter à une peur ancestrale, mais aussi d’interroger le rapport à l’animalité des protagonistes.

Tout d’abord en renversant l’image du « punk à chien ». Accessoire-cliché-emblème, il n’appartient ici pas à nos héros, mais aux individus qui les prennent en chasse. Manière de jouer avec les attentes et les représentations du public, ces machines à mordre introduisent également un motif fondamental dans le film et dans  l'horreur politique à laquelle il appartient : la dévoration.

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Car dans la vie de la Cité comme dan sun certain cinéma de l'effroi, l'enjeu est bien de savoir qui absorbera l'autre, quelle entité parviendra à digérer son opposant. Mais comme nous l’indiquent les dernières séquences du film, les animaux ne sont qu’un vecteur et ce n’est finalement pas tant des chiens que le spectateur devait s’inquiéter, tant  ils retrouvent leur statut de banals toutous sitôt que leurs maîtres leur lâchent la bride.

 

 

Cannibales politiques

Ce sont bien sûr les fous furieux emmenés par Patrick Stewart qui représentent la véritable menace dans le coup de poing de Saulnier. Et au petit jeu de la mastication, ils nous rappellent forcément un grand classique du genre, le phénoménal Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper.

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Mètre étalon du cauchemar politique, The Texas Chainsaw Massacre relatait le calvaire d’une bande de gosses littéralement consommés par la génération précédente, au cœur d’un Texas rural et abandonné, retourné au cannibalisme. Une entropie quasi-similaire anime les extrémistes de Green Room.

La pièce qui donne son titre au film n’est en fin de compte ni une prison, ni une enclave, c’est littéralement un garde-manger. Ainsi, c’est bien en tant qu’offrande symbolique que nos héros vont affronter leurs adversaires. Victimes sacrificielles par excellence, ils ne sont pas sans rappeler les pionniers de l’impressionnant Vorace. Aventureux mais totalement dépassés par la sauvagerie du monde qu’ils investissent, ils vont devoir survivre à l’entropie, aux pulsions cannibales qui animent le microcosme social où ils évoluent.

 

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American Cauchemar

Et ce n’est pas un hasard si les frissons provoqués par ce long-métrage mettent en scène deux groupes sociaux devenus fous, se jetant littéralement à la gorge l’un de l’autre. En effet, si le spectateur prend rapidement parti pour les punks pris au piège, ces derniers ne sont pas des enfants de cœur.

Il suffit de voir le sort qu’ils réservent au plus corpulent de leurs agresseurs pour réaliser qu’eux aussi sont en proie à une forme d’hystérie carnassière. Ce modus operandi de l’horreur, un autre film, ou plutôt une franchise, en propose une représentation similaire, quoique plus putassière et moins cinématographiquement accomplie.

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Il s’agit d’American Nightmare, qui se propose aussi d’opposer progressistes et réactionnaires, en poussant leur logique jusqu’à un affrontement propice à un bain de sang. Comme si la politique avait déserté le fantastique absurde et vertigineux des zombies de Romero (en témoigne le vide conceptuel de Walking Dead) pour s’emparer du réel.

Plus besoin de cadavres putrescent pour représenter la déshérence du corps social américain. C’est dans ses campagnes que ses tensions implosent. C’est chez les rednecks que ses contradictions se règlent à coups de machettes.

Et Green Room de nous livrer une radiographie implacable des années Trump. Car ce que le film nous propose et ce qui fait in fine sa force, c’est de représenter parfaitement les tensions telluriques qui excitent actuellement une société américaine dont différentes franges s’électrisent à la simple idée de verser le sang de l’adversaire d’hier, devenu nemesis irréconciliables.

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Tout savoir sur Green Room

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commentaires
Simon Riaux
07/04/2016 à 17:38

Ravis qu'elle ait été repérée !

Atef
06/04/2016 à 10:56

J'aime beaucoup la référence à Stephen King.