Star Wars : que la Force soit avec le marketing

Simon Riaux | 9 décembre 2015
Simon Riaux | 9 décembre 2015

Quand Disney rachète Lucasfilm pour 4 milliards de dollars sonnants et trébuchants, l’enjeu est de taille. Potentiel jackpot, la saga Star Wars est une matière bien plus délicate à manier que l’écurie Marvel, et pour fédérer le public à l’international, le studio va s’évertuer à toucher les fans au cœur. Analyse d’une stratégie millimétrée.

Si l’on en croit la communication massive, permanente et savamment orchestrée autour de Star Wars : Le Réveil de la Force, cet énorme blockbuster, premier d’une série de films destinés à débarquer tous les ans en salles jusqu’à épuisement du public, serait une œuvre conçue par et pour les fans de la saga.

 

 

Cette affirmation est bien évidemment fausse. Disney est une major, une société à but lucratif, qui doit répondre de ses investissements devant des assemblées d’actionnaires et leur faire miroiter des bénéfices à deux chiffres, pas remplir un agenda de cinéphilie philanthrope à l’égard de l’Internationale Geek. Rien de sale là-dedans (ou qui interdise au film d’être une réussite).

Or, on note que pour l’immense majorité des spectateurs, ces nouveaux épisodes sont reçus avec un a priori très majoritairement positif, quand certains n’annoncent pas déjà qu’il s’agira du meilleur film de l’année. Pourtant, les derniers longs-métrages de la saga, la prélogie de George Lucas, ont laissé un goût amer dans la bouche de nombreux spectateurs.

Et malgré cela, les fans sont souvent les premiers à glapir de joie à chaque nouvelle annonce relative au film. Comment donc le studio est-il parvenu à se les mettre dans la poche ?

 

 

J.J. ABRAMS, FAN FATAL 

Choisir un réalisateur était une tâche essentielle, symbolique, décisive. A ce titre l’embauche d’Abrams est un coup de maître, tant le metteur en scène fait figure de candidat parfait, à tous les niveaux.

Figure cool du geek moderne, branché plus que retranché, son expérience hollywoodienne a prouvé qu’il savait dirigé des projets d’envergure. Ces derniers ont été largement soutenus par le public et la critique. Il jouit d’une image (justifiée) de fan boy absolu (il a entamé sa carrière en restaurant des films de jeunesse de Steven Spielberg) et n’a jamais travaillé sur une œuvre originale au cinéma, mais toujours sur des suites/remakes/reboots voulus par l’industrie, à l’exception de Super Huit – néanmoins un hommage appuyé à Amblin.

 

 

En outre, et comme l’ont prouvé ses Star Trek, il a toujours su composer avec les exigences des studios, et n’a jamais défendu une posture de gardien du temple. Enfin, c’est un authentique adorateur de la saga de George Lucas.

Disney propose donc un metteur en scène respecté du public, techniquement d’une très grande compétence, tout à fait soluble dans le dispositif d’un énorme blockbuster.

 

 

LAWRENCE KASDAN, FAN FIDELE 

George Lucas disparu, Abrams aux commandes, la nouvelle boss de Lucasfilm, Kathleen Kennedy a besoin pour légitimer Star Wars : Le Réveil de la Force, de dégoter un symbole fort. Ce sera Lawrence Kasdan scénariste du Retour du Jedi, mais surtout de L’Empire contre-attaque.

Considéré, même par les sceptiques de la série, comme l’artisan du meilleur épisode à ce jour, il joue ici le rôle porte-drapeau. Celui dont la seule présence doit signifier au fan méfiant que décidément, non, Disney prend tout cela très au sérieux et demande à un glorieux ambassadeur de reprendre le flambeau. C'est exactement la même logique qui préside au retour du compositeur John Williams.

 

 

LA DIRECTION ARTISTIQUE 

Aliens cartoonesques et grotesques, fonds verts déficients et hideux, manque d’effets physiques, maquillages portés disparus… les reproches les plus cinglants contre la prélogie ont souvent été adressés à la direction artistique pour laquelle a opté George Lucas.

Du coup, Disney a décidé avec J.J. Abrams de revenir « au maximum » aux truquages à l’ancienne, pour beaucoup dans la nostalgie entourant le mythe de Star Wars. Dès la toute première vidéo promotionnelle annonçant le début du tournage du Réveil de la Force, J.J. Abrams apparaissait d’ailleurs aux côtés un alien prosthétique du meilleur effet.

 

 

Quelques mois plus tard, on fera tout un foin du fameux BB-8, lui aussi réalisé « en dur ». Vous l’aurez compris, amis fans, on fait comme avant. Et on ne cesse de le répéter. Il faut retrouver le "feeling" des films originaux. Quitte à sacrifier la cohérence de l'univers. Car si entre l'épisode III et IV, la galaxie et son esthétique ont été totalement bouleversés, rien ne semble avoir changé d'un iota durant les 30 ans qui séparent les épisodes VI et VII...

Quant aux décors, Disney n’ira pas chercher bien loin. Tous ceux que l’on a pu découvrir dans les 15 ( ! ) bandes-annonces publiées jusqu’à aujourd’hui semblent des copies presque parfaites de ceux de la trilogie originale (Tatooine, Endor, Hoth…). Là encore, on câline le nostalgique.

 

 

FAN DE BANDE-ANNONCE 

« Chewie we’re home ». En une phrase, prononcée par Harrison Ford à l’issue du premier trailer, la philosophie du studio est explicitée. Ce n’est pas tant à Chewbacca que s’adresse Han Solo, mais bien au public.

Vous êtes ici chez vous, déclare le personnage culte. D’où une volonté, bien pensée, de dévoiler énormément d’images, beaucoup de scènes, mais pas ou peu d’éléments scénaristiques. En résulte des attentes fortes mais diffuses, une impression, un sentiment...

Celui de reconnaître des codes, de décrypter un message venu d’un temps ancien, d’un monde que l’on croyait avoir quitté, celui de l’émerveillement et de l’enfance.

 

 

UN QUASI-REMAKE ? 

Comment retrouver le feeling de la première trilogie ? On l’a vu, en en dupliquant la direction artistique. Mais surtout, en en reprenant quasiment intégralement le scénario. Bien sûr, n’ayant pas encore vu le film, nous parlons au conditionnel, mais certains éléments sont frappants.

Rencontre entre des personnages jeunes et ignorant tout de leur identité et une génération d’anciens héros, sur une planète désertique.

Un grand méchant masqué, dirigeant les troupes du Côté Obscur.

Présence d’un droïde, contenant des informations secrètes, découvert par un jeune héros innocent, dont il deviendra le copilote.

Un gigantesque vaisseau spatial utilisé comme arme par le Côté Obscur (le Star Killer remplaçant l’Etoile de la Mort).

La libération par un jeune héros et son mentor d’un second personnage principal retenu dans le camp des méchants.

Autant d’éléments qui laissent penser que Disney, afin d’entretenir la ferveur des fans, n’a voulu courir aucun risque. Au moins dans sa promotion, le studio laisse entendre qu’il a quasiment remaker La Guerre des Etoiles, préférant jouer la carte de la fidélité à celle de l’innovation. Et encore une fois, les nouveaux venus applaudissent à l’avance une recette qui a fait ses preuves, tandis que les fans de la première heure se réjouissent de retrouver leurs charentaises.

 

 

LA PRESSE DE COTE ? 

Pour que l’illusion d’un film fait par les fans pour les fans subsiste, il est vital de donner l’impression aux spectateurs que Star Wars dialogue directement avec eux, et donc, d’éloigner un filtre bien gênant : la presse. Cette dernière risquerait de sélectionner, de mettre en perspective, bref de ne pas jouer le rôle de la courroie de transmission.

Comment donc s’assurer que les médias ne gâchent pas la fête et transmettent « servilement » les éléments de langage voulus par Disney ? En raréfiant l’information. C’est bien simple, avant cet été, il n’y avait quasiment aucun élément disponible (et ce quelque soit l’importance, la popularité ou la puissance du média) concernant Star Wars : Le Réveil de la Force.

 

 

Mais l’appétit du public, lui, était indiscutablement là. La presse ayant besoin de l’audience faramineuse générée par Star Wars, elle devient ainsi rapidement dépendante (nous les premiers) du moindre spot Tv, du moindre élément de langage disséminé au gré des conventions, communiqués ou vidéos promotionnelles.

On en arrive ainsi à transformer en infos des éléments plus que maigres : voire le bruit médiatique accompagnant le record de réservations battu par le film de J.J. Abrams avant sa sortie (fait dont en réalité, à peu près tout le monde se contrefiche). Mais, à l'heure de l'instantanéité et d'Internet, tout étant question de référencement, de clic, de partage et de likes, les habitudes naissent en un instant et se transforment aussi vite en réflexes. Et des données inutiles, peu vérifiées/vérifiables ou simplement absurdes (comme le déballage ignoble qui accompagna la séance spéciale à l'attention d'un fan à l'agonie, sommet d'obscénité inédit relayé dans quasiment toute la presse).

 

 

Dans la dernière phase promotionnelle, la plus intensive, Disney aura veillé à ne communiquer directement qu’avec une poignée de médias prestigieux et connu pas particulièrement enclins à la critique (Empire, Entertainment Weekly, Vanity Fair).

Enfin, si Disney n’effectuera qu’une unique projection de presse, au tout dernier moment, quelques heures avant la sortie du film, ce n’est pas comme prétendu officiellement pour préserver le secret du film. Les spoilers abonderont sur tous les réseaux sociaux dès le mercredi de la sortie, sans aucun contrôle possible de la part du studio.

 

 

De plus, cela fait désormais plusieurs années que les sorties de blockbusters sont entourées de secret, exigent des journalistes des signatures d'embargo, des conditions de sécurité ubuesques, bref, Disney n'invente rien et ne se livre à aucune pratique inédite en ne montrant que très tardivement son film à la presse. Rien d'abominable en soi, le studio est évidemment tout à fait libre des pratiques qu'il met en place, les journalistes libres d'y adhérer. Tout au plus regrettera-t-on que ce mode de fonctionnement conditionne un travail accompli dans l'urgence et donc plus superficiel.

Non, si la presse ne verra le film qu’au dernier moment, c’est pour, encore une fois, donner au public le sentiment qu’il n’existe aucun filtre entre lui et Star Wars. Personne pour gâcher la fête. Car Star Wars n’est pas un produit, c’est une histoire d’amour. Mieux, c’est un doudou, que Disney vient de ressusciter pour vous.

On comprend ainsi mieux la séquence promotionnelle entourant la sortie, quelques mois avant celle du film, des premiers jouets. Car c’est bien là le concept qui sous-tend toute la stratégie du Studio. Communiquer directement avec ses spectateurs, sur le mode des sentiments, de la Madeleine de Proust.

 

 

CARON PLEIN ?

Et force est de constater que la stratégie de Disney est en passe de réussir superbement. On n’aura tout simplement pas observé de réelle fausse note. Le public paraît conquis d’avance, la presse semble presque aussi excitée que ses lecteurs et quand on se rappelle l’indulgence avec laquelle elle accueillit la prélogie, il y a fort à parier qu’elle tressera les louanges de ce nouvel épisode.

Star Wars : Le Réveil de la Force s’impose déjà comme une leçon de marketing mondial, globale et parfaitement orchestrée.

 

Tout savoir sur Star Wars : Le Réveil de la Force

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commentaires
Simon Riaux
11/12/2015 à 15:30

Bonjour Disney's Heaven,

La stratégie de Disney est comme vous le soulignez, tout à fait logique et liée à l'investissement massif du studio.
Ce qui ne dispense pas d'en analyser et d'éventuellement en critiquer le fonctionnement, ainsi que les tenants et aboutissants.

Disney's HeaveN
11/12/2015 à 15:12

Analyse que je ne partage pas à 100% mais très bien étayée ...
Le problème me paraît plus complexe ...
Les projets originaux de ces dernières années ont été mal accueillis par le public (The Lone Ranger, John Carter, tout deux étant à mon humble avis de très bons films), vu les sommes en jeu après le rachat de la franchise, il est logique qu'ils minimisent au maximum les risques ...

Bolderiz
10/12/2015 à 19:48

Vraiment bien cet article, en effet. Comme Anastriana, j'irai le voir dimanche matin aussi, en espérant qu'il n'y ai pas trop de monde (c'est pas gagné!)...

DJ Fest
10/12/2015 à 15:35

Les choses n'ont tellement pas changé en 30 ans que Solo a gardé les mêmes fringues. ^^

Anastriana
10/12/2015 à 15:31

Très bon article....
Je ne pourrais pas aller voir le film le jour de sa sortie mais le dimanche, je vais donc fermer les yeux et me boucher les oreilles :-) je ne veux rien entendre...

Yamix
10/12/2015 à 12:07

Article qui incarne la perfection.
Clair, sans chichi, juste, magnifique.

En espérant effectivement que votre dernière phrase - "quand on se rappelle l’indulgence avec laquelle elle accueillit la prélogie, il y a fort à parier qu’elle tressera les louanges de ce nouvel épisode." - soit bel et bien mis en application, l'époque souhaitant que l'ont massacre tout faux pas (je ne cible pas Ecran Large).

Mordhogor
10/12/2015 à 08:31

Article lucide et intelligent, bravo.