Le Pont des espions : Spielberg et Tom Hanks réchauffent la Guerre Froide

Simon Riaux | 3 décembre 2015
Simon Riaux | 3 décembre 2015

C’est le mercredi 2 décembre que sort sur les écrans Le Pont des Espions de Steven Spielberg. Et si la critique est globalement très positive, le film est loin de bénéficier de l’élan qu’on pourrait attendre autour d’un métrage réalisé par un des artistes les plus accomplis de son temps.

Après Cheval de Guerre et Lincoln, deux films qui tranchent – en apparence – avec la figure d’entertainer de Spielberg, voici que le père du blockbuster moderne nous revient avec Le Pont des Espions. Perçu et présenté comme un hommage au cinéma d’espionnage, un exercice de style un peu ampoulé pour ne pas dire vieillot, le film ne bénéficie pas d’une attention extrême de la part des médias, et n’est d’ailleurs pas mis en avant par son distributeur avec une énergie délirante.

Il faut dire que coincé entre les Spectre et autres Star Wars, le métrage paraît à contretemps, voire à contrecourant d’une programmation qui tente en permanence de coller au plus près aux désirs du public. Pourtant Le Pont des Espions est très loin de n’être qu’une révérence rigide à une époque et un genre révolu.

S’il s’adresse bien sûr au cinéphile et à l’histoire du Septième Art, c’est aussi pour nous offrir un divertissement de très haut vol et d’une intensité devenue rarissime.

 

Le Retour du Roi

Certes, Le Pont des Espions n’a pas l’ambition d’être le Spielberg le plus spectaculaire. Bien sûr, son action est souvent verbale et son avocat de héros réfléchit plus qu’il ne tire dans le tas. Mais cela n’empêche jamais le réalisateur de nous en mettre plein les yeux.

On reste ainsi bouche bée devant l’introduction du film, pur concentré d’esprionnage avec gadgets, paranoïa, poursuite et démarrage d’une intrigue particulièrement maligne. Soit une vingtaine de minutes quasiment dénuées de paroles et pourtant limpides, où le metteur en scène nous donne une ahurissante leçon de montage. Ou comment Spielberg est encore capable de transformer une filature avec trois types en imperméable en leçon de grand spectacle.

On passera plus vite sur l’intense scène aéronautique aperçue dans la bande-annonce. Egalement réussie, elle marque le film d’une bonne dose de pyrotechnie, histoire de nous rappeler que ce bon Steven peut toujours nous coller au siège. On est en revanche beaucoup plus impressionné par une scène formidable et pour ainsi dire inédite dans l’histoire du cinéma. Situé pendant la construction du Mur de Berlin, le film choisit ce moment charnière pour introduire deux personnages porteurs de la charge symbolique de son récit.

Et la caméra de filer à travers un Berlin en pleine mutation, où civils et soldats se croisent et se toisent, alors que s’érige implacablement le fameux mur. Le temps d’une succession de travelings à la fluidité délirante, Spielberg prouve qu’il a atteint un niveau de maîtrise tout bonnement ahurissant, qu’il est toujours capable de surprendre à travers le prisme académique du récit historique et sait donner sens à l’iconographie collective comme personne. Que ceux qui craignaient donc un métrage trop « posé », dans la veine de Lincoln se rassurent, Le Pont des Espions joue constamment avec l’adrénaline du public.

 

L’inoxydable Tom Hanks

Les collaborations entre comédiens et metteurs en scène sont toujours du pain béni, pour le public comme la critique, qui apprécient de retrouver ces duos inamovibles et pourtant toujours changeant. En l’occurrence, rarement une symbiose entre un acteur et celui qui le dirige aura parue aussi évidente, simple et fructueuse. Sorte d’average american (américain moyen) parfait, Hanks évoque ici un véritable double de Spielberg, qui le laisse jouer avec la caméra avec délice. Les deux artistes apparaissent conscients de leurs effets de manche, de leurs trucs, mais sans jamais se caricaturer, ne cabotinant jamais.

Ils créent ainsi un espace essentiel pour le spectateur. Dans un univers composé majoritairement de manipulation et de faux-semblant, ce héros humaniste et volontaire apparaît ainsi comme un refuge formidable, autant qu’une terrible source d’exigence. Car si le public se reconnaît instantanément dans le personnage, il est forcé d’admettre que ce dernier critique et met en lumière les faiblesses collectives d’un peuple, celui-là même qui se rassemble pour le regarder.

Ainsi Spielberg et Hanks assènent-ils tranquillement un message, loin de tout patriotisme fantoche ou d’un quelconque chauvinisme. Il s’agit de l’idée très simple selon laquelle les valeurs et les principes ne sauraient être portés par des drapeaux, gravés sur des frontispices, ils ne peuvent que s’incarner, et si cette démarche est noble, elle a hélas toujours un prix.

 

Back to basics

A l’heure où il semble risqué de citer au sein d’un film des œuvres antérieures aux années 70, Spielberg n’a pas peur de nous offrir un métrage dont les références sont bien plus lointaines et peut-être plus fondamentales encore.

On pense bien sûr au cinéma de John Ford. Ce dernier a toujours interrogé la nation américaine, représentant à la fois les fractions de ses communautés et leur transcendance nécessaire (salvatrice) dans un idéal plus vaste (l’Amérique). Spielberg reprend ce questionnement – qu’est-ce qui fait de cellules disparates un organisme cohérent ? à son compte, mais élargit la perspective. C’est bien ici l’humanité qu’il questionne. Soviétiques, Allemands, Américains, tous s’opposent, s’affrontent et s’épient, mais aucun ne peut parvenir à quoi que ce soit sans les autres, sans que se dégage un fragile mais indiscutable bien commun. Une logique et une représentation qui font brillamment écho à celle de Ford.

 

Une pincée de Capra

Une des particularités de l’œuvre de Capra est son inébranlable foi en l’humanité, l’optimisme que place l’artiste dans l’avènement d’un bien commun et la capacité du progrès à advenir, quels que soient les forces qui le contrarient.

C’est dans cette optique que Spielberg place Le Pont des Espions. A l’heure des Homeland soit-disant hyper-réalistes, des séries repoussant les limites de la représentation ou du glauque, du choc des civilisations érigé comme seule perspective (coucou Marvel !) le réalisateur affirme lui, combien il croit en l’homme.

Le Pont des Espions n’est pas naïf pour autant. Le métrage est même rempli de salauds, de menteurs, d’individus dénués de toute forme de passion ou de pitié. Mais tous devront composer avec un type inébranlable, Tom Hanks. Simple citoyen droit dans ses bottes, sa capacité à appliquer simplement les principes dans lesquels il croit va lentement mais sûrement déjouer tous les pièges qui lui tendent les forces en présence.

Cet optimisme profondément humaniste, qui refuse d’admettre que les hommes de bien puissent être défaits, pour peu qu’ils n’abandonnent pas leurs valeurs, n’a rien d’une posture. C’est un acte de foi hérité du cinéma de Capra. Alors qu’après le Vietnam, le Watergate, les assassinats politiques des Kennedy, et la désillusion hallucinogène des seventies, l’Amérique ne voulait plus de ce positivisme forcené, Steven Spielberg parvient à le ressusciter le temps d’un unique film (lui qu’on a taxé si souvent d’être incapable de se détourner du happy end).

Sauf que pour une fois, on attendra au tournant les mauvaises langues et les cyniques, tant l’humanité et l’amour que parvient à transmettre sincèrement Le Pont des Espions impressionne. Lors de sa conclusion, alors Tom Hanks s’écroule sur son lit, le metteur en scène immortalise le regard de sa femme, entre surprise, tendresse et admiration. Il parvient à l’aide d’un léger mouvement de caméra à totalement extraire le contexte de cette scène – le retour au domicile du héros, qu’attendait son épouse – pour fusionner le personnage et le public, magnifier leur soulagement commun.

 

Et de gros bouts de Coen

Le Pont des espions serait-il ainsi un néo-classique uniquement destiné aux cinéphiles hardcores spécialistes du cinéma américain ? Pas du tout, et c’est probablement en partie grâce aux frères Coen, qui signent le scénario.

Le film est en effet une comédie amère souvent trépidante, dont à peu près chaque dialogue fait mouche. Les joutes verbales entre Tom Hanks et les espions américains bas du front s’avèrent terriblement acides, quand ses échanges avec l’espion russe qu’il doit défendre révèle quelques pépites, aussi bien mélancoliques que comiques.

Ces affrontements, toujours réussis, qui rythment l’intrigue avec une énergie communicative ne sont pas sans évoquer le cinéma de Lubitsch, mais dans une perspective propre aux Coen, dont l’ironie se fait sentir derrière chaque punchline.

 

Et l’on pourrait inlassablement égrainer les strates qui font du Pont des Espions une œuvre à la richesse impressionnante. Le plus simple est sans doute de vous conseiller d’y courir, tant il est rare de voir des films manier l’histoire de leur art avec autant d’intelligence que de génie dès lors qu’il est question de divertir.

Tout savoir sur Le Pont des espions

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commentaires
Simon Riaux
17/12/2015 à 17:39

Cher, javced et Cedjav,

Etant que vous êtes une seule et même personne et que votre petit cirque est un peu fatiguant, on peut vous demander d'arrêter maintenant ?
Merci.

Cedjav
14/12/2015 à 02:35

encore toi putain c'est mon pseudo laisse moi tranquille nom d'une pipe ,laisse ce pseudo j'en ai infiniment besoin allez oups,c'est une question de vie et de mort trouve toi une femme a marier sans ce pseudo je deviendrai fou il est a moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi

javced
14/12/2015 à 02:29

exellant

Fennec
07/12/2015 à 11:03

Est-ce que Ecran Large ne pourrait pas faire quelque chose contre cet abruti de troll ? Vous n'avez pas moyen de modérer les commentaires ?

Cedjav
04/12/2015 à 16:09

Excusez moi de m'être emporté et d'avoir été vulgaire avant hier....C'est juste que je ressens en ce moment une grande insécurité dans ma vie alors cet avatar virtuel compte beaucoup pour moi, vous comprenez?!

Javced
04/12/2015 à 08:56

De plu en plus fort le mec est tellement taré qu'il me pique mon pseudo pour poster un 1 er message ridicule puis post un 2 ème message pour s'engueuler lui même en reprenant mon type d'attaque , il espère ainsi créer la confusion . Je crois que c'est le plus gros troll de l'histoire. Tu es Loic ou Mathieu ou Amélie ou Anna ....je pense que ce mec troll le site depuis des jours , il n'a que ça a foutre , lui c'est sur il a pas de meuf...

Dirty Harry
03/12/2015 à 11:49

Très bon article, on a déjà envie de revoir le film du coup...

Cedjav
02/12/2015 à 22:34

He loic le troll t'en a pas marre de me piquer mon pseudo? Toute la journee depuis ce matin je suis sur le site et tu me fatigues j'en peu plus et je suis fatigue de verifier. C'est le mien arrete ca ou ca va barder. Gros con et sale connard. C'est moi Cedjav alors trouve toi un autre pseudo

Cedjav
02/12/2015 à 22:26

Le cinema avec un grand C.
Chapeau Mr. Hanks.

bof
02/12/2015 à 16:55

Très bel article. Vivement.

Simon Riaux
02/12/2015 à 16:26

Bien le merci 8ox !

8ox
02/12/2015 à 16:09

Et un Spielberg sans John Williams! Plutôt rare.
En même temps, ils n'ont pas pris une brêle pour le remplacer...
Toujours un plaisir de vous lire Mr Riaux!

DJ Fest
02/12/2015 à 15:52

Message reçu, j'y cours (déjà bien chauffé par la superbe chronique de Yannick Dahan dans son Opération frisson).