Johnny Depp : comment le Roi des Pirates a coulé par le fond

Jacques-Henry Poucave | 27 janvier 2015
Jacques-Henry Poucave | 27 janvier 2015

Il était le roi. Excentrique, imprévisible, polymorphe et protéiforme, Johnny Depp pouvait tout jouer avec un panache inégalé. Comment un des acteurs les plus emblématiques de sa génération s’est-il transformé en vulgaire pantin, synonyme de gamelle spectaculaire au box-office ?

Preuve de l’impasse dans laquelle s'est perdu l’artiste, sa terrible performance dans Charlie Mortdecai n’émeut quasiment plus personne. Il y a quelques années à peine, public et critiques auraient été sidérés de voir Depp nous offrir une composition si outrée et rigide.

Mais après Alice au Pays des Merveilles, Transcendance et autres Rhum Express, ce raté vient simplement s’ajouter à une liste qui devient embarrassante. Non pas que les rôles de magnifiques loosers qu’affectionne l’acteur soient passés de mode, c’est bien le comédien qui a changé.

 

 

QUAND LE PIRATE...

Edward n’était pas moins grimé que le Chapelier fou, Ed Wood pas plus équilibré que Jack Sparrow, et le William Blake de Dead Man partage quelque chose de l’apathie poétique du Kemp de Rhum Express.

Mais là où les premiers nous touchaient par la grâce maladroite que leur conférait Johnny Depp, les seconds paraissent étouffés par ce comédien qui semble plus jamais s’effacer derrière ses personnages.

Il est de bon ton de dire que Pirates des Caraïbes aura été le film du tournant, la jonction à partir de laquelle Depp aura confondu pantomime et gesticulation, grimace et mimique. Mais il convient de se rappeler que sa gestuelle, avant de faire bondir les exécutifs de Disney, efrayés par l’idée de proposer au public un héros trop « gay », fut un sabordage en règle.

Le mal semble plus ancien. Avant les Caraïbes, il y eut tout de même From Hell, Blow et Le Chocolat, trois films plus ou moins ratés, précédés de peu par un nanar de compétition : l’abominable Intrusion. Comme si déjà, la superstar ne savait plus où donner de la tête.

Comme si en remettant au goût du jour l’outrance et l’hyperbole aux antipodes de l’actor studio alors en vogue, Johnny s’était petit à petit dissout, disparaissant progressivement derrière d’infinies cabrioles.

 

 

On aurait beau jeu d’accuser Tim Burton d’avoir gâché son acteur fétiche, parfaitement consentant. Mais leurs trajectoires mêlées invitent à la réflexion. Comment le roi des univers torturés de bric et de broc et son poulain électrique se sont-ils mués en marionnettes du divertissement de masse ?

Tout semble indiquer que si l'attrait de Johnny Depp pour les caractères désaxés et grandioses n’a pas fondamentalement changé, c’est sa place propre qui s’est métamorphosée. Il est frappant de voir combien aujourd’hui, aucun film avec Johnny Depp ne peut traiter d’autre chose que Johnny Depp.

 

SE SABORDE...

Même sa dernière performance notable, anodine, mais parfaitement exécutée dans Tusk, interroge. La série B horrifique de Kevin Smith cesse brusquement de s’agiter si tôt Depp à l’image, pour lui offrir un simili-sketch. L’acteur occupe alors quasiment tout l’écran, qui lui est dévolu.

Depp est devenu l’auteur, l’acteur et le metteur en scène de son propre one-man show. Pour en assurer la réalisation, les producteurs font appel à des yes men n’ayant ni la carrure ni le pouvoir d’interférer avec le programme du comédien.

En effet, on voit mal comment Matthew Cullen, Rob Marshall, Wally Pfister ou Florian Henckel von Donnersmarck pourraient bien lui tenir tête sur un plateau. Verbinsky et Burton sont d’une autre trempe, mais ne cherchent finalement rien d’autre que sa présence pour rassurer les financiers. Un choix qu’ils remettront peut-être bientôt en cause. L'echec de Lone Ranger notamment indique clairement que le public ne suit plus aveuglément l’artiste.

 

 

Un indice, peut-être, nous indique que Depp a tout simplement perdu le feu sacré, qu’en dehors de la répétition mécanique d’un art devenu métier puis technique pure, il ne lui reste plus grand-chose. Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton contient un effet très spécial. Le réalisateur a choisi de se passer des yeux de Johnny Depp.

Son personnage de Chapelier Fou jouit en effet de prunelles numériques, supposées traduire la folie de son caractère et autoriser au metteur en scène tous les délires. Comment un comédien de la carrure de ce bon Johnny a-t-il pu accepter, lui qui était alors en position de négocier avec à peu près n’importe qui sur un plateau, que lui soit retirée l’essence même de ce qui permettra au spectateur de s’identifier à lui ?

Que reste-t-il d’un acteur, piégé dans un décor numérique, quand on va jusqu’à le priver de ces yeux ? Le public répondra, en faisant d'Alice au Pays des Merveilles 2 un des plus violents revers financiers subis par Disney (plus de 150 millions de dollars de pertes) ces dernières années. Malheureusement, si le choc est terrible, la chute n'est pas terminée pour l'acteur. Non pas que Depp n'ait pas conscience que son goût et son art de la transformation n'aient pas besoin d'une nouvelle orientation, Strictly Criminal en témoigne excellemment. L'acteur est sidérant dans le polar. Filmé comme un monstre de la Hammer, il bouffe littéralement l'écran et organise autour de lui de pures séquences de terreur.

 

Mais le public l'ignore, et les Oscars l'oublient carrément, comme si le cinéma lui-même se lassait dangereusement de l'artiste. Le phénomène va encore être amplifié par une tornade venue de sa vie privée. Quand Johnny Depp se sépare d'Ambber Heard, la presse ne se penche pas seulement sur un de ces divorces extrêmement couteux dont raffolent les tabloïds, mais également sur la vie et l'équilibre d'un homme dont plusieurs indicateurs laissent entendre qu'il est au bord du gouffre.

 

ET COULE.

Inutile de revenir sur le mélange de rumeurs, d'allégations, d'accusations, d'errements, de démons et de dépenses pharaoniques de la star. Si tout cela n'explique pas en tant que tel le désamour du public, rarement préoccupé de vertu, voilà qui explique que les studios prennent désormais garde avec un comédien dont le nom n'est plus synonyme de jackpot, mais plutôt d'ennuis à répétition.

A ce titre, le tournage de Pirates des Caraïbes 5 vire au cauchemar. D'un côté, Depp, aux abois a besoin du film, malgré l'accueil critique désastreux du 4ème épisode. De l'autre, l'ambiance manifestement exécrable avec Heard, l'imbroglio légal avec les autorités Australiennes (quand le ocuple tentera de faire entrer illégalement ses chiens sur le territoire national), puis la blessure de l'acteur, vont simultanément générer une ambiance apocalyptique et engendrer des dépassements de budget problématiques. Conséquence : alors que La Vengeance de Salazar devait être un coup de poker sûr, pour ne pas dire une main gagnée d'avance, le film est devenu un des plus chers de 2017, sort en plein festival de Cannes et au beau milieu d'un encombrement de blockbusters qui vont rendre ses bénéfices incertains.

 

 

Enfin, à force de chercher des personnages en marge, déréalisés, Depp leur a peut-être retiré toute vérité, les aspirant comme un vampire, se nourrissant de leur moelle épinière pour y substituer une fantaisie sous vide, plastifiée.

Ainsi, on ne s’étonne plus aujourd’hui de constater que les personnages incarnés par Johnny se réduisent à une série de mimiques, désormais totalement débarrassés de tout background, du moindre contexte.

 

 

Quel âge ont Charlie Mortdecai, Will Caster, Jack Sparrow, Franck Tupelo ou Kemp ? Autant de caractères interchangeables, ni inventés, ni incarnés, pas même phagocytés par Depp. Ce dernier ne s’inquiète même plus de comment donner vie à l’auteur de Peter Pan, James M. Barrie, qu’il joue mollement dans Neverland. A sa difformité légendaire, qui lui interdisait toute vie sociale digne de ce nom et une réelle proximité avec les enfants qu’il fantasmait, il substitue un visage de cire.

Un simulacre.

Sans doute Johnny Depp s’en moque-t-il à présent.

Hélas nous aussi.

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commentaires
Soylent green
29/01/2015 à 22:18

Je ne partage pas du tout les commentaires sur le Lone Ranger que j'ai trouvé formidable entre un hommage aux westerns spaghettis et le burlesque'. Johnny Depp était parfait dans son rôle. Ce qui a été raté dans le Lone Ranger c'est la promotion en tentant de faire passer le film pour un clone des pirates des Caraïbes alors que c'etait une œuvre bien plus intéressante.

De même pour Alice aux pays des merveilles, sa composition était très réussie en chapelier fou. Johnny a toujours eu une carrière un peu étrange et irrégulière en tournant de tres bons films mais aussi d'insondables navets. Ce n'est pas nouveau. C'est juste qu'en vieillissant, le nombre de mauvais films augmente peut être un peu mais pas tant que cela. C'est courant dans cette profession. A partir d'un certain âge, on ne veut plus de vous, En tout cas pas pour les meilleurs projets.


29/01/2015 à 22:02

Je ne partage pas du tout les commentaires sur le Lone Ranger que j'a

Simon Riaux
27/01/2015 à 13:02

Merci Gollem13 !

On fait le maximum pour essayer de concilier le suivi de l'actu et des papiers de fond, ou plu subjectifs.

Gollem13
27/01/2015 à 12:09

Je tiens encore à insister: super article! Le meilleur que j'ai lu depuis la nouvelle version du site. Bravo.

Gollem13
27/01/2015 à 11:53

Article très intéressant, n'en déplaise à @Lugos. Moi qui fut un admirateur de la première heure de Depp, je partage ce sentiment entre la déception et la pitié, que m'évoque ces mots du sieur Poucave. Pour moi le constat artistique est encore plus affligeant que les chiffres au box office. Depp ne travaille plus. Je ressens chez lui le même cynisme à l'écran que chez Nic Cage. Des doigts d'honneur, des molards sur la gueule de l'industrie, c'est tout ce que m'évoquent ses performances. Le problème c'est qu'il ne s'en sortira plus. Il ne trouvera pas de bouton pause. Certains de ces projets semblaient lui tenir à coeur, mais il a atteint un point de non retour. Lone Ranger est un bon exemple. De mon modeste point de vue, le film est artistiquement plus que correct. Loin des bouses qu'il nous a pondu ces temps-ci. Mais son jeu est minable, c'est clairement cela qui a concentré tous les griefs des critiques et du public. Un interminable chapelet de mimiques embarassantes (pour lui). Une caricature patchwork de ses rôles précédents.

OnceUponATime
27/01/2015 à 07:48

Au final, Johnny Depp est un peu comme ecranlarge... C'était mieux avant!!! ^^

Morfeen
26/01/2015 à 07:51

Tu crains Lugos sérieux. Apprends à te remettreen question. C'est bien de critiquer l'article mais où sont tes arguments? T'as le droit d'être fan de Depp et de ne pas être d'accord mais pour dire que ce qui a été écrit est faux et gratuit t'as toujours rien sorti au bout de 4 posts...

Bolderiz
25/01/2015 à 18:42

Public ennemies un des Mann le plus décevants... même si ça reste le dessus du panier... Faut que JD fasse une longue pause et revienne dans un registre où l'on n'a pas l'habitude de le voir, je sais pas moi, dans un film des frères Farrely par exemple!!!^^

diez
25/01/2015 à 12:44

Je n'aime pas Public ennemies non plus. Lent, haché, sans émotion et sans envergure.

Concernant l’acteur à l'époque sa prestation dans le premier pirates avait tout de même surpris la critique et le public. l'industrie, je crois, l'avait même récompensé avec une nomination aux oscars.

C'est à mes yeux l'un des derniers rôle qui m'a plu même si j'ai pu aimer certains films comme Dark Shadows.

Un acteur qui ne me fait plus rêver, mais j'ai espoir de le retrouver un film ou l'autre.

DIego Fuckyourself
25/01/2015 à 12:10

Public Enemies est une énorme bouse, en effet, je ne vois pas où est le problème avec le fait de l'écrire et de le répéter.

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