Festival du film d'Arras : un regard sur l'enfance au cinéma

Nicolas Thys | 13 novembre 2014
Nicolas Thys | 13 novembre 2014

Jusqu’au 17 novembre, la ville d’Arras est le lieu d’intéressantes rencontres cinématographiques, dont la quinzième édition s'avère particulièrement dense.

La Grand’ Place est occupée par un énorme chapiteau blanc, juste en face du cinéma La Movida à l’occasion de la quinzième édition du festival du film. Organisé par une association, Plan Séquence, qui contribue notamment à diffuser du cinéma de patrimoine dans certaines salles des régions de Lille et de l’Artois, le festival propose plus d’une centaine de films dans différentes sélections : avant-premières, découvertes européennes, visions de l’est, cinéma du monde ainsi que deux hommages à Stephen Frears et Asia Argento, deux rétrospectives autour de la première guerre mondiale et du cinéma italo-américain, une sélection familiale et pour terminer une compétition européenne.

Arrivés sur le tard, nous avons profité d’un climat légèrement morose pour aller nous réfugier dans des salles déjà bien remplies. Rares sont les séances pour lesquelles il reste plus d’une dizaine de places libres, ce qui n’est guère étonnant quand on voit qu’il s’agit de l’un des très rares festival de longs-métrages, avec une sélection riche et variée, qui prend place dans la région Nord-Pas-de-Calais qui compte pourtant plus de 4 millions d’habitants (6 avec la Picardie qui n’est pas très loin).

Premier constat : nombreux sont les films qui semblent tourner autour de l’enfance, sans jamais être destinés aux plus jeunes. Cette enfance est souvent torturée, tourmentée voire impossible, parasitée par des adultes et à la recherches de racines et d’une stabilité constamment perturbée. C’est notamment le cas chez Asia Argento, dont les deux premiers longs, Scarlet Diva et Le Livre de Jérémie, étaient projetés en 35mm.

Alors que le second est une leçon sur la dépendance et montre un petit garçon perdu entre la plus mauvaise mère du monde, ses amants malheureux, une famille torturée par la religion et pourrait s’intituler : « comment faire de votre enfant un psychopathe en moins d’une heure et demie », le précédent pourrait pratiquement être perçu comme une sorte de première partie à son nouveau film vu ici et précédemment à Cannes, L’Incomprise. Scarlett… se terminait sur la naissance à venir d’une petite fille, fruits des amours angoissées d’une mère actrice et d’un père chanteur, tous deux aussi réputés que complètement paumés. Dans L’incomprise, une petite fille est ballotée entre une mère musicienne et un père acteur, tous les deux absents, la rejetant et la laissant face à elle-même et à une vie privée de tout repère. Les deux films contiennent, selon la réalisatrice, une certaine part d’autobiographie, Scarlet étant un reflet de sa vie adulte alors que le plus récent est un écho à son enfance autant qu’au film de Luigi Comencini L’Incompris.

Il est étonnant de voir à quel point dans ces deux films, les comportements des adultes vis-à-vis des plus jeunes semblent se répéter comme si un déterminisme obligeait ses personnages à reproduire les travers des autres. D’ailleurs, si Asia Argento est une grande amatrice des temporalités brouillées et des récits éclatés, les liens que nous prêtons à ces deux films possèdent eux aussi une chronologie inversée puisque l’action de L’Incomprise se déroule bien avant celle de Scarlet Diva comme si tout était aussi relié que bancal.

Deux autres films semblaient également se répondre dans leur thématique même si leur traitement est radicalement différent. Philomena de Stephen Frears sorti voici maintenant quatre ans montre, dans une forme des plus classiques mais très maîtrisée, l’histoire vraie d’une femme à la recherche de son fils qui lui a été enlevé par des nonnes un demi-siècle auparavant. Elle est comme à la poursuite d’une partie d’elle-même, de son histoire personnelle, d’un lien intergénérationnel qui lui permettra de se sentir en paix et entière. Cet enfant fantôme est donc l’enjeu de son existence, une fêlure impossible à cicatriser et une quête qu’on pourrait croire perdue d’avance. C’est un peu le pendant, d’une manière plus légère et plus belle encore, de l’argentin Matias Lucchesi dans une première œuvre qui sera sur tous les écrans la semaine prochaine, Cañada Morrison.

Ici, une fille d’une douzaine d’années est à la recherche de son père dont sa mère refuse de parler. Cette absence la hante et elle veut juste savoir qui il est pour enfin avancer, comme s’il était le chainon manquant entre son enfance et son adolescence et qu’elle avait besoin de le voir pour grandir sans être brisée. Son unique indice est une petite plaque de métal qui lui fera parcourir une partie du pays, au fin fond de vastes paysages de montagnes aussi beaux que terribles, immenses et immuables que froids et déserts. C’est comme si à chaque tournant la mort comme la vie pouvaient rattraper quiconque s’y aventure et que les deux protagonistes, la jeune fille et son institutrice qui l’aide dans sa recherche, étaient perdues quelque part entre ces deux états.

Le film est court, à peine une heure et dix minutes, mais il prend son temps, réfléchit et s’insère dans une vie quotidienne, contemplative mais qui ne parvient pas à trouver la paix car toujours quelque chose manque. Cañada Morrison est aussi sensible que poétique, et il est la preuve que les films aux histoires monumentales, exagérées et pseudo-philosophiques de trois heures en disent souvent bien moins sur l’existence et ce qui nous entoure que les plus courts qui savent conserver leur simplicité et montrer le monde tel qu’il est.

Enfin, A Cappella, venu de Corée du sud et récompensé à Marrakech par Martin Scorsese, parle d’un fait divers des plus sordides autour de la vie déchirée d’une lycéenne rejetée et qui est transférée dans un nouvel établissement scolaire. Son secret est tu comme si elle était responsable d’une horreur dont elle n’est pour rien. Le film, qui entremêle différentes temporalités, est une révélation pas à pas et un glissement progressif dans un cataclysme personnel qu’on devine dès le début. Celui-ci est quelque peu illuminé par une indéfectible passion pour le chant et une certaine envie de vivre mais jamais le monde autour de la jeune fille ne le lui permettra.

A travers ce portrait d’une enfant déchue, meurtrie et qui n’est plus dans l’incapacité d’affronter l’existence ni les autres ou leur amitié, Lee Jun Sin, dont c’est le premier long, dresse un constat accablant d’une société aussi patriarcale que misogyne où les femmes ne sont plus que des objets à balloter à droite et à gauche et qu’on peut accuser de tous les travers en commettant contre elles les pires atrocités. C’est un thème qui revient régulièrement dans le jeune cinéma coréen contemporain et A girl at my door de July Jung sorti la semaine dernière, en propose une autre version. Comme quoi, on observe toujours la condition des femmes et des adolescentes au Moyen-Orient, mais elle n’est guère plus enviable dans certains pays d’Asie…

Depuis 6 jours maintenant, les autres sections étaient mises en valeur mais aujourd’hui le jury présidé par Solveig Anspach arrive et la compétition européenne commence pour se poursuivre jusqu'à dimanche. Neuf films sont au programme, on en reparle bientôt.

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