Festival d'Annecy 2014 : Compte-rendu et palmarès

Nicolas Thys | 4 juillet 2014
Nicolas Thys | 4 juillet 2014

Contrairement aux années précédentes, ceux qui ont eu la chance de pouvoir assister au festival d'Annecy en juin dernier ont dû être partagé entre l'envie de fuir les salles pour se jeter dans le lac et celle de se réfugier en séance pour connaitre la joie de la climatisation. Le soleil et les températures élevées étaient au rendez-vous et les films rares ou inédits et les belles rencontres également.

Annecy 2014 (Affiche de Franck Dion)
 

Le grand intérêt d'Annecy réside d'abord dans sa sélection de courts-métrages. Pour rappel, le festival est arrivé en Haute-Savoie en 1960 et le cristal du long n'a commencé à être remis que 25 ans plus tard, en 1985. Et lorsqu'on voit certains de ces film événements, en préparation ou complets, (Astérix, Free Birds, Sen Seya, Yellow bird, Le Petit Prince, Mune, Rio 2, Dragons 2...), qui n'ont d'événementiels que la masse médiatique qui leur est accordée en dépit de leur médiocrité, et la sélection aveuglante de plusieurs des longs en et hors compétition, on se rend compte que les pépites sont rares et plus précieuses qu'au far-west. On a davantage l'impression d'actions diplomatiques pour attirer des financements et amener public et visibilité à la montagne en plein juin que pour justifier d'une réelle qualité de la production. C'est un fait : même s'ils ne valent rien, ce sont eux qui auront le plus d'échos (et sur lesquels on s'attardera donc le moins).

Heureusement le long-métrage réservait quand même quelques belles surprises comme la présentation en ouverture du Conte de la princesse Kaguya d'Isao Takahata en présence du maître (critique ici) ou le film justement récompensé par le cristal du long-métrage : Le Garçon et le monde d'Alê Abreu. Ce dessin animé sans concession et tout public, pour lequel l'auteur a eu l'intelligence de ne pas chercher à gommer chaque coup de crayon pour lisser l'ensemble, est aussi simple et coloré qu'émouvant et poétique. A la recherche de son père, un petit bonhomme identifiable par tout un chacun, puisqu'il s'agit des dessins de notre enfance qu'on gribouillait sur du papier, va parcourir un pays aussi rêvé que cauchemardesque, aussi joyeux que triste. Le rythme est excellent, accompagné de musiques typiquement brésiliennes et on a juste hâte de le revoir et de s'y replonger tant il regorge de bonnes idées graphique et scénaristique. 2014 était d'ailleurs une année jaune et verte, le Brésil étant représenté par trois longs (mais aucun court). Les deux autres films étaient présentés hors compétition : un dessin animé et un documentaire sur l'histoire du cinéma d'animation brésilien. A partir du moment où une nation réfléchit à un versant de son histoire animée, c'est signe que le mouvement est en pleine reprise.

 

Le Garçon et le monde d'Alê Abreu

 

Si lors de la précédente édition du festival, le Brésil avait déjà remporté le même prix avec l'imparfait mais sympathique Rio 2096, qui laissait augurer une belle reprise pour l'animation brésilienne, cette année la victoire du Garçon et le monde est entièrement méritée tant le film a survolé une compétition un peu maussade, avec de nombreuses impressions de déjà-vu. Il restait toutefois une belle surprise en stop-motion venue d'Estonie : Lisa Limone et Maroc Orange de Mait Laas. Cette sorte d'opéra loufoque parlé en italien, français et estonien avec des personnages à tête de fruit, mélange histoire d'amour et politique migratoire dans un esprit des plus décalé typique de ce qu'on peut trouver dans l'animation des pays baltes. Les personnages sont réussis, le film est court (l'absurde tient difficilement sur la durée) et certaines séquences comme la poursuite en voiture par le papa citron d'un coquillage à pattes chanteur lyrique dans les rues de la ville sont déjà cultes.

Autre thème récurrent cette année : le documentaire animé avec trois représentants : Moug d'Ahmed Nour à propos de la révolution égyptienne, Last hijack de Tommy Pallotta sur les pirates somaliens et The Truth has fallen de Sheila Sofian sur la peine capitale et les erreurs judiciaires aux Etats-Unis. En somme, des sujets actuels et difficiles. L'intérêt de cette forme est double car d'une part, elle montre que le long métrage quitte de plus en plus le domaine de l'enfance, auquel on la consacrait trop souvent, pour prendre son envol vers de nouveaux types de narration sans pour autant quitter le documentaire. Les sujets abordés sont souvent violents, et rares sont les cinéastes qui auraient osé l'animation voilà encore quelques années sans le succès de Valse avec Bachir ou la réussite de Monsieur Crulic. D'autre part, cette forme pose de nouveaux problèmes de représentation du réel. Trop souvent mis à l'écart de ces questions, le long-métrage d'animation semblait être clos sur lui-même, ses préceptes enfantins et il avait du mal à quitter ses habitudes commerciales et graphiques, ce que l'arrivée du numérique et de nouveaux modèles économiques, entre autre, a contribué à changer. Le documentaire n'est donc plus l'apanage du cinéma direct et entrent en jeu des modes figuratifs inédites dont il est nécessaire de se préoccuper.

 

Lisa Limone et Maroc Orange de Mait Laas
 

Dans un festival international de l'envergure d'Annecy où le nombre de films longs présentés en vue d'une sélection est de plus en plus nombreux, voir arriver trois documentaires animés fortement politisés, c'est une façon de marquer le coup. Et ce militantisme paye. Si le cinéma d'animation a toujours existé, il devient si présent dans la production actuelle, prenant place même dans les endroits où on l'attendait le moins, que nier ou minimiser son l'implication et sa puissance à l'heure actuelle, ce serait renier l'intégralité du cinéma et ce qu'il propose de différent sous prétexte qu'on n'y est pas habitué. L'animation doit faire partie intégrante de toute pensée critique sur le cinéma, ces films nous le rappellent doublement. Cannes commence aussi doucement à s'y mettre puisque cette année, la Quinzaine des réalisateurs avait sélectionné Jutra de Marie-José Saint-Pierre, produit par l'ONF/NFB (elle était présente à Annecy pour présenter un film autour d'une archive inédite de Norman McLaren), un court portrait intime du réalisateur Claude Jutra en documentaire animé, proposant une forme narrative étonnante et qui fera sûrement date.

 

Venons en maintenant aux courts-métrages.

C'est certainement dans la compétition des courts qu'on perçoit le plus l'évolution du festival depuis le départ de Serge Bromberg et l'arrivée de Marcel Jean en tant que délégué général : Annecy retrouve une dimension artisanale, moins gratuitement spectaculaire et drôle et surtout bien plus intéressante en ceci qu'elle laisse la porte ouverte à un panel de films extrêmement variés et larges. Entre les oeuvres destinées à un public plus jeune avec parfois narrations construites et réussies (La Petite casserole d'Anatole d'Eric Montchaud ou des productions ONF/NFB : Nul poisson où aller de Nicola Lemay et Janice Nadeau, Histoires de bus de Tali) à des films manifestement expérimentaux, notamment les excellents Horse de Shen Jie, 1000 plateaus de Steven Woloshen (dont on ne saurait que recommander une visite sur son site) et Wonder de Mirai Mizue, l'espace est grand mais tout semblait occupé. Certains diront assez justement que la variété est si importante qu'on ne s'y retrouve plus car les points communs entre les premiers et les derniers sont a priori inexistants mais c'est justement là le bonheur du festival : nous offrir un panorama peut-être le plus complet de l'animation actuelle.

 

 Wonder de Mirai Mizue (bande-annonce)
 
 
Quelques grands traits ont permis de diriger la cinquantaine de films choisis. Le bizarre à tendance horrifique était très présent avec des techniques variées comme c'était le cas des premiers films de chaque programme, entre la chair dégoulinante de la caméra vivante d'un maître du film de genre : Robert Morgan (Invocation), la pâte à modeler informe, monstrueuse et colorée d'Allison Schulnick (Eager), l'année dessinée où le grotesque côtoie l'absurde des frères McLeod (365), les marionnettes laides et drôlement glauques de Becky Sloan et Joe Pelling (Don't hug me I'm scared 2 - Time : rien que le titre est tout un programme) ou le monde sans queue ni tête sur papier gribouillé de Wojciech Wojtkowski (Ex animo).

En plus du bizarre, l'humour noir était aussi à l'honneur, avec des dimensions simplement ludiques ou parfois politiques comme la recette d'un gruau biblique qui vaut davantage par son discours que par son animation, les deux étant en décalage et critiquant un régime despotique à l'aide d'une recette de cuisine basique (A recipe for Gruel de Sharon Smith). A noter aussi, une chasse à la licorne sanglante appelant la naissance d'une humanité meurtrière (Sangre de unicornio d'Alberto Vasquez) et, pour clore la sélection, un carnage humain vu par un lapin mignon amoureux d'une fillette, preuve encore que le lapin est sûrement l'animal le plus sordide ou appelant le sordide de tout le cinéma (The Obvious child de Stephen Irwin avec son graphisme rappelant Fyodor Khitruk ou Youri Norstein et une animation à tuer les yeux trop fragiles).

 

Invocation de Robert Morgan
 

Mais l'un des films les plus intéressants de la sélection reste peut-être celui qui a le plus fait hurler, qui a scandalisé et à propos duquel les discours hargneux ont le plus fusé : Hipopotamy de Piotr Dumała. Les hippopotames ont ceci de particulier dans leur comportement que, quand les mâles ont envi de copuler et que les femelles se refusent à eux, ils peuvent tuer les petits et celles-ci, en manque de progéniture, vont devenir réceptives. Le réalisateur polonais, peu connu pour son amour des couleurs et sa vision humaniste du monde, va proposer un ballet animé autour de ce sujet où les humains remplacent les animaux. Sur un fond noir, des femmes se baignent dans une eau à peine perceptible et des hommes viennent les aborder. Les personnages, gris-bleu, se livrent alors à un massacre révulsant et à un exercice de soumission des plus dérangeants. L'ensemble est épuré, jusqu'à la nudité, afin de se concentrer d'abord le mouvement de ces êtres forts et fragiles à la fois. L'animation est d'abord celle de ces corps qui évoquent une danse répétitive, brusque et guerrière. On est loin des animaux anthropomorphes de Fantasia. Le point de vue très distant de l'auteur, pratiquement neutre sur ce qu'il montre, la bestialité des êtres qu'il dessine et représente, tout ceci concourt à offrir un spectacle d'une singulière cruauté. L'humain n'a - semble t-il - plus aucun sens et est juste un morceau de chair mortifié gouverné par ses organes génitaux. Dumala, connu pour avoir animé Kafka et Dostoïevski, avait déjà impressionné par sa noirceur et sa dureté dans son premier film en prise de vues directes, Les Forets, jamais sorti en France mais diffusé au festival Cinessonne voici quatre ans. Mais jamais son style et la puissance pesante et automatique du mouvement qu'il offre des corps ne s'exprimera aussi bien que dans l'animation.

 

Hipopotamy de Piotr Dumala
 

Des récits plus intimes ont également retenu l'attention, expériences de vie en plasticine, images de synthèse ou animation tradictionnelle. Ces films, souvent plus léger formellement que les précédents, n'en sont pas moins fort dans ce qu'ils font passer. On pourra parler du pèlerinage à Compostelle de Mauro Carraro (Hasta Santiago), des terreurs enfantines toutes en sable et en métamorphoses de l'iranienne Maryam Kashkoolinia (When I was a child), de la bicyclette de l'oscarisée Torill Kove qui est le point de départ d'une réflexion sur sa relation avec ses parents, mêlant animation naïve et introspection forte (Ma Moulton et moi, coproduit par l'ONF/NFB), de la mort d'une mère vue par un enfant dans un univers effroyable synthétisé par Antoine Blandin (La Chair de ma chère) ou du retour d'Anthony Lawrence,13 ans après Looking for horses, dans une piscine municipale où une belle-mère désespère de pouvoir apprivoiser une petite fille qui la rejette (Grace under water). La matière utilisée, à la fois réaliste et peu naturelle, interpelle le spectateur dans un mouvement d'attraction/répulsion vis à vis de ces corps étrangers, si proches et si lointains, manière de matérialiser ce qui se passe dans l'esprit de la protagoniste. Impossible enfin de ne pas parler de Through the hawtorn d'Anna Benner, Pia Borg et Gemma Burditt, encore un court britannique, preuve que leur animation se porte à merveille. C'est un film à 6 mains et trois écrans, sur la visite chez un psychiatre d'un adolescent et de sa mère à cause de troubles du comportements. Un film « tripolaire » en quelque sorte qui trouble autant qu'il fascine et qui fait preuve d'une remarquable mise en scène et en images.

En plus des cinq programmes habituels, cette année un sixième est venu s'inscrire : Off limits. L'année passée il s'agissait d'un ensemble de programmes rétrospectifs sur les limites de l'animation et qui interrogeait à chaque projection, ce qu'était le cinéma d'animation. Cette année, il s'agissait d'un programme unique en compétition mais si la sélection était d'excellente qualité, permettant d'apprécier et de voir des films souvent étonnants (mentions à Magician party & Dead Crow de Sun Xun, Corps étrangers de Nicolas Brault, 3eme page après le soleil de Theodore Ushev), on est plus circonspect sur le fait que ces films interrogent les limites de l'animation. Tous sont des films expérimentaux mais souvent au même titre que ceux qui étaient en compétition, la plupart entrant directement dans le registre de l'animation image par image. A ce moment là, pourquoi ne pas créer une catégorie expérimentale ou pourquoi ne pas tout inclure dans la sélection officielle ? Le mieux serait peut-être d'oser encore davantage et de proposer une sélection Off limits plus radicale, où la place des films dans le registre de l'animation serait bien plus flottant mais encore questionnable.

 

Corps étrangers de Nicolas Brault (bande-annonce)
 

En attendant l'année prochaine et une édition 2015 autour de l'Espagne et des films de femmes, il nous faut conclure ce compte-rendu sur les nombreuses séances spéciales qui émaillait le festival. Cette année, la stop-motion était la technique mise à l'honneur avec d'excellents programmes, Norman McLaren a bénéficié d'hommages importants pour le centenaire de sa naissance et Pierre Hébert, l'un des plus importants cinéastes de l'ONF des années 1970 aux années 1990 qui, depuis, parcourt le monde avec installations et performances, fût l'un des invités d'honneur. On a pu voir sa performance d'animation en directe (avec une partie en gravure sur pellicule) dans le musée-château d'Annecy autour de Blinkity Blank pendant qu'Andrea Martignoni, compositeur et concepteur sonore qui a notamment officié sur les films de Blu, travaillait lui la gravure de son sur pellicule en live.

Mais le mot de la fin touchera plus les nippophiles et fans Ghibli car à l'exception de Kaguya, s'il est un pays que l'on n'a guère mentionné c'est le Japon. Il était difficile de faire l'impasse sur Kingdom of dreams and madness, présenté comme un documentaire sur le studio alors qu'il n'est en fait qu'un beaucoup trop long mais instructif making-of de Le Vent se lève. Il est amusant de voir que quelques semaines avant d'annoncer officiellement sa retraite, Miyazaki clamait haut et fort son désir de faire un nouveau film (fausse fin donc ?) et qu'il prévoit également, avec son départ et ceux de Takahata et de leurs producteurs principaux, la mort et la disparition totale du studio. Au vu de l'animation japonaise qu'on nous a proposé cette année en long-métrage (heureusement les courts pros comme étudiants sauvent la donne), sans eux, c'est le glas qui sonne pour l'anim' dans le pays tant la relève semble lointaine...

 

Blinkity Blank de Norman McLaren



Palmarès :

Courts métrages :

- Cristal du court métrage : Man on a chair de Dahee Jeong

- Prix du jury : Patch de Gerd Gockell

- Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre : Hasta Santiago de Mauro Carraro

- Mention du jury ex-aequo : Histoires de bus de Tali & La Testa tra le nuvole de Roberto Catani

- Prix du public : La Petite casserole d'Anatole d'Eric Montchaud

- Prix du film off-limits : Corps étrangers de Nicolas Brault


Films de fin d'études :

- Cristal du film de fin d'études : The Bigger picture de Daisy Jacobs

- Prix du jury : An adventurous afternoon de Ines Christine Geisser, Kirsten Carina Geisser

- Mention du jury : The Age of curious de Luca Toth


Films de télévision et de commande

- Cristal pour un film de commande : Nepia « Tissue animals » de Fuyu Arai

- Prix du jury pour un film de commande : Peau « Instant T » de Perrine Faillet

- Cristal pour une production TV : En sortant de l'école « Tant de forêts » de Burcu Sankur, Geoffrey Godet

- Prix du jury pour une série TV : Tumble leaf « Kite » de Drew Hodges

- Prix pour un spécial TV : Le Parfum de la carotte de Rémi Durin et Arnaud Demuynck

 


Nepia "Tissue animal" de Fuyu Arai
 
 

Longs métrages :

- Cristal du long métrage : Le Garçon et le monde d'Alê Abreu

- Prix du jury : Cheatin' de Bill Plympton

- Mention du jury : L'Île de Giovanni de Mizuho Nishibuko

- Prix du public : Le Garçon et le monde d'Alê Abreu


Autres prix :

- Prix du jury junior pour un court-métrage : Histoires de bus de Tali

- Prix du jury junior pour un film de fin d'études : Interview de Mikkel Okholm

- Prix FIPRESCI : Nul poisson où aller de Janice Nadeau et Nicola Lemay

- Prix SACEM de la meilleure musique originale : Hasta Santiago de Mauro Carraro

- Prix Canal + Aide à la création pour un court-métrage : Wonder de Mirai Mizue

- Prix festivals connexion : Through the hawthorn d'Anna Benner, Pia Borg et Gemma Burditt

- Prix « Aide à la fondation GAN » pour un Work-in-progress : Adama de Simon Rouby

 

Peau "Instant T" de Perrine Faillet
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