J.J Abrams, le nouveau roi d'Hollywood

Guillaume Meral | 14 juin 2013
Guillaume Meral | 14 juin 2013

Nanti de critiques dithyrambiques, Star Trek 2 : Into Darkness a démarré ce mercredi son parcours dans les salles françaises, après un parcours satisfaisant mais en deçà du premier opus au box-office américain. Reste que ces résultats ne devraient freiner en rien l'intronisation visiblement inéluctable de J.J Abrams au rang de roi d'Hollywood, ascension faisant suite à la domination écrasante qu'il exerça sur la télévision U.S pendant bon nombre d'années. Son empire est sur le point de faire tache d'huile, et ce n'est certainement pas sa nomination au poste le plus envié de la planète (ou le plus redouté  c'est selon) de réalisateur sur le premier Star-Wars post George Lucas qui dira le contraire. Là réside le paradoxe J.J Abrams : personnage multi-casquettes et cumulards de fonctions et de projets comme seul Hollywood peut en générer, le bonhomme continue pourtant de susciter des levers de sourcils sceptiques chez ceux qui s'interrogent sur la nature même de sa popularité. Autrement dit, si l'existence d'une marque J.J Abrams semble bel et bien avérée, il est plus difficile en revanche de savoir à quoi l'attribuer : sa personnalité artistique ? Son activité de producteur ? Les retombées de son statut d'entrepreneur (ultra) dynamique ? Nous allons tenter de faire avancer le schmilblick en cinq questions posées sur le réalisateur.

  

1° Qui est-il ?

Né en 1966, le petit Jeffrey Jacob grandit avec les étoiles que lui envoient à foison dans les mirettes le nouveau cinéma américain des années 80, berceau et âge d'or de la culture geek contemporaine qui lui doit bon nombre de ses référents. Dés lors, sa trajectoire s'ingénie à suivre le parcours fléché du « petit geek illustré », initié par Steven Spielberg, son modèle avoué : enfance solitaire, premier court-métrage en Super-8 à 12 ans (comme Spielby), premier pas dans le cinéma à 16 (comme et pour Spielby, puisque Kathleen Kennedy le convoque avec Matt Reeves à Hollywood pour travailler sur la restauration de certains des courts-métrages du maître). Bref, un parcours sans faute (presque un coup marketing en soit) pour le futur roi d'Hollywood réglé à l'heure geek 2.0. Après avoir tenté de se faire une place dans la Mecque du cinéma en s'associant à des films à l'intérêt variable (producteur et scénariste sur A propos d'Henry, Forever Young, Une virée en enfer...) mais qui révèlent déjà à posteriori le goût prononcé du réalisateur pour le high-concept, c'est dans la télévision qu'Abrams trouvera son mojo. Aux portes d'une révolution conceptuelle appelée à redéfinir les contours et les horizons d'attentes du médium, Abrams va s'imposer comme l'un des golden-boy de la nouvelle télévision U.S, au détour de quelques shows appelés à devenir des jalons  de son histoire (Alias, Lost, Fringe...). Consacré par le petit écran, Abrams se lance à l'assaut des salles obscures en endossant d'abord le rôle de prophète au service de sa majesté Tom Cruise avec Mission : Impossible 3, succès mitigé que rattraperont les plébiscites du reboot de Star Trek et Super 8. Tout en continuant ses activités à la télévision, Abrams sort aujourd'hui la suite de Star Trek et s'apprête à relever le plus gros défi de sa carrière avec le reboot de Star Wars.

 

 

2° Pourquoi il cartonne ?

Indépendamment de ses qualités discutables derrière la caméra (nous y reviendrons), force est de constater qu'une bonne part du succès d'Abrams tient dans sa capacité à avoir enlevé des mains des gardiens du temple tout un imaginaire geek pour l'accommoder sans trop le dénaturer aux aspirations du public lambda. Abrams ménage la chèvre et le chou avec un succès tel qu'il parvient à fédérer autour de sa personne un consensus général, au point de parvenir à recueillir l'approbation de ceux-là même qui n'hésitent pas à relativiser ses compétences de metteur en scène. Une capacité à fédérer qui ne fait que s'accentuer avec les années, repoussant ses détracteurs à la marge, comme le prouve le bon accueil d'Into darkness. Véritable médiateur dans le processus de « normalisation » de la contre-culture en somme, dont le point d'orgue réside sans nul doute dans son reboot de Star trek, prototype de l'univers stigmatisé à outrance par les non-convertis qui voit son hermétisme ébranlé sous l'impulsion d'Abrams, le chantre du rapprochement entre les peuples. Une caractéristique acquise au cours de ses années T.V, qui le virent devenir le déclencheur de véritables phénomènes de sociétés (Alias, Lost) bâtis sur des postulats à priori peu propices à sortir du cercle des initiés de ce genre de récit feuilletonesque. Sans compter qu'il joue très bien du clavier-électronique.

 

3° Peut-on parler de style J.J Abrams ?

Là réside le principal point de contentieux entre les laudateurs inconditionnels du bonhomme et ceux qui demandent encore à être convertis, à savoir ses réelles capacités de metteur en scène. Le problème ne vient pas seulement des origines de téléaste de l'homme, qui se ressentent dans ses partis-pris visuels les plus flagrants (voir l'usage systématique de la longue focale), mais aussi dans un art du récit reléguant la mythologie derrière une narration subordonnée à la logique du rebondissement perpétuel, comme la fuite en avant d'un réalisateur qui amalgame rythme et péripéties. A cet égard, Star Trek 2  constitue un exemple éloquent, le traitement du bad guy condensant à lui seul l'un des écueils majeurs que l'on peut relever dans le cinéma de J.J Abrams .En effet, une fois son background évacué oralement dans sa petite cellule, on retombe bien vite sur le plancher des vaches faute d'une révélation susceptible de densifier l'univers par sa présence au-delà de la prochaine péripétie (si ce n'est l'usage d'un deus ex machina qui tombe comme un cheveu sur la soupe). Un aspect qui prenait des proportions démesurées dans Mission : Impossible 3, dans lequel la vision « à court-terme » d'Abrams condamnait Tom Cruise à exposer avec une transparence presque embarrassante le numéro de névrosé égocentrique que constitue pour lui la franchise, faute d'un réalisateur doté de suffisamment de personnalité pour « habiller » le tout. A se demander au final pourquoi le nom de J.J Abrams est sur toutes les lèvres, quand l'essentiel de son style tend justement à transposer avec plus ou moins de succès des normes de mise en scène d'un médium à un autre. 

 

4°Abrams l'opportuniste ?

On le sait, si Abrams a pu se tailler une part de choix dans le gâteau hollywoodien, c'est non seulement eu égard à sa capacité à fédérer le public, ou sa propension à poser son nom sur n'importe quelle série high-concept trainant ses guêtres sur les networks, mais aussi (et surtout ?) ses qualités de commercial. Là se trouve l'une des facettes les moins mises en avant (mais pourtant omniprésente) du bonhomme, qui a au fond tout compris à la réalité du business d'aujourd'hui : il ne suffit pas d'être talentueux, il faut aussi savoir se vendre (il l'avoue encore cette semaine dans So film : "Il y a certainement des gens qui ont davantage de talent que moi et qui n'ont jamais eu leur chance. C'est une question d'opportunité"). Or, J.J a eu maintes fois l'occasion de démontrer qu'il maîtrisait mieux que personne le buz entourant ses films, au point que leurs conceptions semblent parfois donner l'impression de découler d'une campagne marketing pensée en amont plutôt que l'inverse (Cloverfield, et son concept de la caméra subjective qui entrait en contradiction avec la suspension d'incrédulité liée aux péripéties au bout d'une demi-heure). Une remarque qui vaut également pour Super 8, dont les informations furent distillées au compte-gouttes au point de longtemps entretenir un flou sur la nature même du long-métrage. En d'autres termes, J.J Abrams est le meilleur agent des films de J.J Abrams. Un geek oui, mais un geek qui sait tirer les ficelles pour faire parler de lui et de ses projets. Certes, on ne saurait reprocher à un réalisateur de vouloir encadrer la sortie de ses films jusqu'à en superviser personnellement les tenants et aboutissants ; après tout, Stanley Kubrick ne poussait-il pas sa minutie légendaire jusqu'à s'occuper lui-même de l'après-tournage ? Mais dans le cas de J.J Abrams, il est parfois difficile de déterminer si l'artiste est au service de l'entrepreneur ou vice-versa, à l'image de Super 8 qui pousse la confusion des genres à son paroxysme. Vendu comme le film le plus personnel de son auteur, le film s'apparente pourtant à une compilation de figures de style « made in Amblin » soigneusement concoctées pour flatter le public dans le sens du poil, jouant la carte de la nostalgie surannée d'un imaginaire avec lequel il ne tisse qu'un lien bien trop superficiel pour convaincre. Avoir le sens de la formule est une chose, savoir la mettre en scène en est une autre.

 

 

5° Un succès illégitime ?

Que J.J Abrams ne soit pas le plus grand metteur en scène en activité, où même l'un des foudres de guerre de sa génération, c'est un fait que peu de personnes iront contester. Le geek a beau être installé sur son trône, son ascension fut pavée par les fondations posées par les Sam Raimi, Guillermo Del Toro et autres Wachowski. Des réalisateurs qui sont parvenus à sensibiliser le grand public à leur cause par le seul biais de l'image (souvenons-nous qu'à la sortie de Spiderman 2, les journaux titraient « La victoire des geeks »), au sein de blockbusters qui assumaient leurs élans hyperboliques tout autant que les nouveaux contours esthétiques qu'ils esquissaient chacun de leurs côtés. Ceci dit, et malgré toutes les réserves énumérées précédemment sur sa démarche, force est de constater les progrès effectués par Abrams en termes de mise en scène depuis ses premiers travaux (l'écart entre Star Trek premier du nom et le second est à ce titre réellement perceptible). Et surtout, si l'existence d'une « patte » Abrams en dehors de ses gimmicks de réalisation reste à déterminer, on ne peut que saluer sa volonté de se détourner de la figure de l'individualité omnisciente pour développer des narrations mettant l'accent sur les vertus du collectif (en cela, M:I 3 fait vraiment figure d'exception dans sa filmographie). C'est sans doute le dénominateur commun de toute la carrière de J.J Abrams, et l'une des raisons de sa popularité : mettre l'emphase sur le groupe plutôt que sur un individu, valoriser le rôle de chacun plutôt que d'octroyer tout le mérite à un seul. Ainsi, la réussite de son reboot de Star Trek ne tient pas qu'à sa tendance au consensus, mais d'avoir réussi à préserver l'essentiel aux yeux de beaucoup : la dimension collective de la saga et les interactions réjouissantes entre les personnages.  Si Abrams, par l'association hasardeuse qu'il exerce entre son rôle d'entrepreneur et celui d'artiste, le fait en définitif moins tenir de Steven Spielberg que de... George Lucas, gageons que cette dimension lui permettra de ne pas connaître le destin du premier.

 

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