Strictly Criminal : critique criminelle

Simon Riaux | 12 juillet 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 12 juillet 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec Crazy Heart et Les Brasiers de la colèreScott Cooper s’est imposé comme un réalisateur à suivre, capable de s’infiltrer dans des genres ultra-codifiés pour les subvertir. Après le drame social maquillé en film de vengeance, il s’attaque donc à la fresque criminelle, mais plutôt que de loucher du côté de l’emphase Scorsesienne, c’est un film d’horreur étouffant qu’il concocte. C'est Strictly Criminal, avec Joel Edgerton, Kevin Bacon, Dakota Johnson, Peter Sarsgaard, Benedict Cumberbatch, Julianne Nicholson, Juno Temple ou encore Jesse Plemons, autour de l'ogre Johnny Depp.

C'EST DANS LES VIEUX POTS...

Fond noir, musique lancinante (qui hantera le film jusqu’à ses ultimes images), un titre qui apparaît progressivement, toujours flou, insaisissable. Dès ses premiers photogrammes, Strictly Criminal nous annonce que nous n’aurons pas affaire au classique rise and fall américain cristallisé par Scarface, mais à un récit autrement plus ambigu, aux frontières inquiétantes et changeantes. C’est l’histoire d’un authentique monstre, que le récit met en scène comme une pure créature vampirique.

 

Photo Johnny DeppBaisse les yeux

 

Whitey Bulger est un caïd de la mafia irlandaise de Boston, craint et respecté mais d’une envergure bien moindre que ses rivaux italiens. A la faveur d’une alliance contre nature avec un agent du FBI qu’il connaît depuis l’enfance, il va éliminer la concurrence et bénéficier d’une protection totale, quand bien même sa sauvagerie et son appétit ne font qu’augmenter. Si ce point de départ vous dit quelque chose, c’est que la figure de Bulger est depuis une quinzaine d’années une large source d’inspiration pour Hollywood, Scorsese lui-même l’ayant convoquée pour ses Infiltrés.

Mais Scott Cooper ne s’intéresse pas vraiment au parcours de ce criminel hors normes, pas plus qu’il ne s’interroge sur l’Amérique, sa société, ou son rapport à la violence. Non, ce que cherche à faire le metteur en scène, c’est dresser le portrait en pointillé d’une figure du mal quasi-surnaturelle, fascinante et terrifiante, que tous ses proches craignent ou adulent, charmés ou paralysés par l’aura de prédation qui émane de la bête.

 

Photo Johnny DeppLes yeux du démons

 

FAIS-MOI MAL JOHNNY JOHNNY

La première réussite de Cooper est de laisser le champ libre à Johnny Depp, qu’on a rarement connu aussi magnétique. Lui, le pantomime extraverti, fait ici preuve d’une retenue terriblement malaisante. Maquillé à la perfection, il compose une entité toujours sur le point d’exploser, manifestement désireuse de détruire, toute de paradoxes et de violentes contradictions. A sa peau graisseuse et son crâne dégarni répondent deux yeux étincelants et minéraux, une bouche pincée dont on attend toujours que jaillisse une langue bifide, pour mieux humer la peur de ses interlocuteurs.

Le réalisateur nous propose également une vision radicalement différente de l’opéra de Scorsese ou du tour de force typique d’un De Palma. Ici, pas de plan séquence délirant, de mouvement d’appareil tape-à-l’œil ou de montage sur-stylisé. Cooper préfère s’inspirer du cinéma d’horreur. Ses jeux autour du clair-obscur, sa manière de jouer avec la texture des peaux, de rehausser les voix et d’éloigner le plus possible Johnny Depp de la lumière naturelle nous permettent d’appréhender un autre film de gangster.

 

photo, Johnny DeppPrier pour qu'il refasse ce genre de film

 

LE CONTE DE LA CRYPTE

Un film où le mal se situe toujours en limite du champ, cherche en permanence à échapper à notre regard. Whitey Bulger est une anguille massive et munie de crocs monstrueux, qu’un découpage millimétré et faussement lâche autorise à rôder autour du spectateur avec une cruauté dont l’impact explose notamment lors des scènes d’exécutions, qui forment autant de micro-climax.

Si cette approche nous offre de formidables séquences, notamment un repas interminable, où Bulger torture successivement tous ceux qui l’entourent, jusqu’à faire basculer une soirée entre amis en cauchemar psychologique, elle est aussi la première limite de Strictly Criminal. Ne se souciant pas vraiment de l’évolution de ses personnages d’un point de vue criminel et historique, ne parvenant pas tout à fait à dissimuler que son histoire a déjà été pillée par Hollywood, le film trébuche ici et là, jusqu’à un dernier acte, beaucoup trop mou.

 

Photo Johnny DeppTais-toi, et tremble

 

Œuvre atmosphérique et étouffante, Strictly Criminal aurait gagné à soigner plus finement les articulations de son récit. Le scénario prend parfois trop de temps à faire monter la sauce, et se voit contraint d’expédier ses enjeux à toute vitesse, comme lors de la première confrontation entre Joel Edgerton et le nouveau procureur affilié au FBI, incroyablement caricaturale et expéditive.

Des scories qui ne gâchent pas le film, mais lui interdisent d’atteindre le niveau d’excellence auquel il pouvait prétendre. L’ensemble n’en demeure pas moins une expérience beaucoup moins classique que son canevas ne pouvait le laisser craindre et l’occasion de retrouver Johnny Depp au sommet de sa forme.

 

Affiche

Résumé

Strictly Criminal s'éloigne des canons de la fresque criminelle et offre à Johnny Depp un de ses meilleurs rôles. Le résultat est angoissant et fort, au prix de quelques approximations narratives et d'un rythme pas toujours soutenu.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.1)

Votre note ?

commentaires
sylvinception
27/11/2015 à 15:31

"Avec Crazy Heart et Les Brasiers de la Colère, Scott Cooper s’est imposé comme un réalisateur à suivre..."
???????????????????????

Garfunkel
13/11/2015 à 23:05

Non mais vraiment, j'ai beau essayé, je ne comprends pas...!

Parce qu'un journaliste écrit un article avec un avis, qui se base bien sur plus 10 dix ans de carrière et une opinion très globalement partagée par le public (il aligne les flops hormis Alice et Pirates) et la critique, ça veut dire qu'il l'impose ?
Tu dis ne pas partager l'avis du rédacteur... mais doit-il lui partager le tien ? Et moi, le tien ? Et vice versa ?
Cultiver la différence, n'est-ce pas laisser chacun défendre une opinion et argumenter ?
Doit-on donc écrire uniquement sur le consensus ? (qui n'existe pas, on peut en être sûr)
S'il avait écrit une ode à J. Depp, que tu avais validé car tu l'apprécies (et c'est ton droit), aurais-tu compris qu'un autre vienne se plaindre car il ne partage pas cet avis ?

Honnêtement ça n'a aucun sens. Tu parles comme si tu avais été froissé qu'on puisse clamer que les certains films que tu aimes sont mauvais, comme si qualifier de médiocre la dernière décennie de Depp était une attaque envers tous les spectateurs qui ont vu et aimé ses films...
Et donc cette discussion n'a rien de cinéphile, ni d'intéressant je le crains.

Mat
13/11/2015 à 22:35

Excepté le fait, tout simple soit il, que l "avis" n est pas forcément partagé..
Il faut cultiver la différence et non l indifférence. .
Moi j ai aimé J. Depp dans Alice, autant que dans Pirates and co, etc..certes nous sommes loin de ses débuts, et alors.. ce qui ne plaît pas à EL, et qui quand bien même soit partagé en masse, n est pas forcément représentatif de la pensée de tout le monde.
Alors oui, je persiste, au delà d une simple once, à ma lecture cet article était à charge.. Avé Simon..

Garfunkel
13/11/2015 à 20:04

Je sais très bien de quel article tu parles. C'était un papier qui détaillait (et non expédiait gratuitement) la carrière d'un acteur qui à une époque était chez John Waters, était Dead Man et Donnie Brasco, est s'est transformé en poupée hollywoodienne, qui aligne les navets, les gros films faciles et les facilités pures et dures.

C'était un article qui offrait un avis, partagé en plus par beaucoup de gens (regarde la filmo de Depp depuis 15 ans : l'article n'était pas abusé, et ça n'avait rien de prématuré, ce n'était pas basé sur deux films). Ne pas être d'accord c'est une chose, et tant mieux si ça ouvre des débats, mais je ne vois absolument pas en quoi on devrait reprocher à un gars de faire un papier sur la carrière de J. Depp.
Après, si on veut des news ou des articles impersonnels et sans opinion ou identité, y'a d'autres endroits qu'EL c'est certain.

Mat
13/11/2015 à 19:19

@Garfunkel : donc si on ne connaît pas le futur, on évite d aller trop vite en besogne.. L article auquel je fais référence n était pas un avis, mais une lettre de condoléances pour defoncer le Mr en question. . That s it..

Garfunkel
13/11/2015 à 17:51

@MAt
Et donc ? Il faudrait repousser toute envie d'avoir un avis sous prétexte que celui-ci pourrait évoluer ? Et ne pas écrire d'article sur une décennie médiocre (même si Stricty Criminal était génial, ça n'enlèverait pas Mordecai, Alice, Pirates, Into the Woods, Transcendence....) car on ne connaît pas le futur ?

Mat
13/11/2015 à 16:51

Et dire que EL avait enterré J.Depp plus bas que terre il n y a pas si longtemps. .

Simon Riaux
13/11/2015 à 15:49

Le rythme et l'action, c'est comme Batman et le beurre demi-sel. Aucun rapport.

Le rythme, c'est ce qui fait qu'un film est fluide, ses enchaînements cohérents, harmonieux. Le Parrain est une leçon de rythme justement.

Annatune
13/11/2015 à 12:18

Rythme et action, ce n'est pas vraiment la même chose.

Rythmer un film ce n'est pas lui injecter des poursuites et fusillades, bien au contraire ; sinon Transformers serait cool du début à la fin, et un paquet de films (les comédies, les drames, les huis clos) seraient systématiquement ennuyeux.

osef
13/11/2015 à 12:12

on s'en fout du rythme dans ce genre de production, enfin pour moi, je ne demande pas de l'action dans le parrain, meme s'il dure 4h

votre commentaire