Que viva Eisenstein ! Critique

Simon Riaux | 7 juillet 2015
Simon Riaux | 7 juillet 2015

Consacrer un biopic à l’un des plus grands cinéastes du XXème siècle est déjà un projet audacieux, mais se focaliser sur Que Viva Mexico, œuvre avortée d’Eisenstein et source de fantasme cinéphile est encore un défi supplémentaire. Voilà le programme chargé que s’impose aujourd’hui Peter Greenaway, un challenge qu’il transforme sous nos yeux en festin.

Contre toute attente, Que Viva Eisenstein ne traite pas de cinéma à proprement parler, pas plus qu’il ne se concentre véritablement sur le cinéaste légendaire. À la manière de l’artiste qui se rendit au Mexique après avoir été remercié par Hollywood, espérant réaliser un documentaire, pour finalement rater une fiction, Peter Greenaway fait rapidement basculer son projet du côté de ses obsessions habituelles : eros et thanathos, le sexe et la mort.

Ainsi, il a l’intelligence de ne pas du tout se laisser enfermer par l’exercice de la biographie, que de toute évidence ne l’intéresse pas, et aborde son sujet via un angle faussement débonnaire, sincèrement trivial, mais d’une belle profondeur. Car la dimension égrillarde, voire paillarde des mésaventures d’Eisenstein a beau occuper littéralement le devant de la scène, elle devient surtout un théâtre où s’épanouit la mise en scène de l’auteur.

Qu’il s’agisse de ses amples travelings, d’effets numériques outrés ou de split-screens osés, la richesse de l’image enivre et réjouit à chaque instant. Le montage n'est pas en reste, conférant à l'ensemble un mélange de vélocité et de langueur, pour un résultat parfois presque hypnotique, qui nuance toujours la fantaisie parfois un peu forcée du jeu des comédiens. Et au fur et à mesure que notre héros troublé s’abandonne aux mystères du Jour des Morts et à la sensualité de son intrigant guide mexicain, Que Viva Eisenstein se laisse emporter par un élan vital passionnant, d’une grande générosité avec son public.

Enfin, le métrage a le mérite de traiter avec une grande intelligence la question de la propagande. Car tout génie que fut Eisenstein, on l’appréhende encore parfois comme un intellectuel au service d’un régime, en l’occurrence la Russie soviétique. Or, le film de Greenaway, en privilégiant systématiquement l’homme et ses passions, nous rappelle indirectement mais indubitablement que tous les artistes majeurs de leur temps durent composer avec les autorités de leur époque, marchander la création avec elle, s’inquiéter de leur approbation.

Et Einsenstein d’apparaître ici comme un homme en quête de lui-même, de ses affects et de son corps, un individu curieux et attachant. Que Viva Eisenstein nous permet ainsi de retrouver un Greenaway toujours aussi ambitieux formellement, dont les questionnements esthétiques demeurent le centre de son dispositif formel, mais qui nous offre ici une création éminemment humaine et vivante.

Résumé

Voici un des films les plus inclassables de Peter Greenaway, qui semble toujours vouloir échapper aux pièges de son sujet. Il y parvient en se transformant progressivement en une fable humaniste et lumineuse.

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