Mr. Turner Mr. Turner : critique au pinceau

Simon Riaux | 17 mai 2014
Simon Riaux | 17 mai 2014

Après quatre années d'absence, Mike Leigh revient sur la Croisette avec Mr. Turner. Nous l'avions laissé avec Another Year, plaisante chronique d'un couple anglais aux prises avec les joies et peines du quotidien, le réalisateur britannique est de retour avec un projet autrement plus ambitieux, tant formellement que thématiquement. Une question demeurait toutefois, le metteur en scène, délicat organiste d'existences faussement banales, était-il le mieux placé pour mettre en images la biographie du peintre William Turner ?

 

Avec tout le respect dû à un cinéaste de la trempe de Mike Leigh, il était difficile d'anticiper le degré de réussite et de maîtrise de sa nouvelle création. Le premier choc que nous procure Mr. Turner est d'ordre visuel. Ancrant son film dans la lumière crépusculaire des peintres flamands, Leigh compose lors du moindre plan des compositions tantôt érudites, tantôt simplement brillantes. Dès le premier plan, le sentiment d'assister à la naissance puis la transformation d'une multitude de toiles s'avère vertigineux. Ravissement esthétique, le soin apporté à l'image et au cadre tient aussi de la pure histoire de l'art, tant il peut s'appréhender comme une étude simple mais limpide des influences de Turner, de son inspiration ou de son inconscient créatif.

Mais le métrage ne serait qu'un biopic académique de plus sans l'âme que lui confèrent une écriture vibrante d'humanité ainsi qu'un casting saisissant de justesse. Riche de dialogues tout en subtilités et non dits, Mr. Turner joue de la drôlerie de la condition humaine avec un rare bonheur. Bien évidemment centré sur la figure du peintre, son impossibilité d'être au monde et son difficile rapport aux femmes, le script fait également la part belle aux seconds rôles. Tous les personnages éclairent l'âme de cet artiste d'un jour simultanément cru et formidablement pudique, faisant vibrer la corde du pathos sans jamais oublier d'y adjoindre une pointe d'humour désespéré. Dans cet équilibre délicat gît l'élégance et la grâce de ce film fragile grandiose, discret et sublime. Après l'apparente légèreté de Be Happy ou Another Year, retrouver Mike Leigh aux commandes d'une fresque aux allures de festin mélancolique a quelque chose de terriblement euphorisant.

Ajoutons à ce plaisant tableau un classicisme d'une grande pureté et l'on comprendra qu'il ne constitue pas à priori un de ces films qui électrisent la Croisette. Trop humble, consciencieux et économe dans ses effets de style pour alimenter un quelconque buzz ou une vulgaire excitation de Festival, Mr. Turner est de ces œuvres que le temps préservera et mettra en valeur. Un jour viendra où, à la manière d'une toile longtemps oubliée, le métrage se rappellera au bon souvenir des cinéphiles impénitents, qui verront dans l'implacable dramaturgie de sa conclusion un des plus vibrants hommages jamais rendus au Troisième Art. Une révérence bouleversante, dont la puissance évocatrice culmine alors que le peintre, au crépuscule de sa vie, titube pour croquer une dernière femme, dont le corps sans vie a été recraché par l'océan.

 

Résumé

Mike Leigh revient en force avec une fresque aussi parfaite plastiquement que superbement mélancolique.

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commentaires
ded
08/12/2014 à 23:06

Excellente analyse de Simon Riaux pour un film classieux et touchant. Hormis, bien sur, l'attachant Timothy Spall, auréolé de quatre récompenses (dont le prix d'interprétation à Cannes 2014), mention spéciale est attribuée à Dorothy Atkinson composant une gouvernante tour à tour hébétée et attentive, sorte de chien fidèle dévoué corps et âme au maître adoré et dont la déliquescence physique et morale emporte d'emblée l'empathie jusque dans l'ultime plan, dont l'honneur lui revient, poignant de tristesse et de désespoir.

Francisco
08/12/2014 à 10:09

Hâte de voir ça. La bande-annonce annonçait déja la couleur... Belle critique!

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