Critique : Whity

Nicolas Thys | 23 décembre 2011
Nicolas Thys | 23 décembre 2011

1971, Fassbinder réalise 8 films et téléfilms dont Whity qui passe presque inaperçu et que l'on redécouvre avec joie. Cette fois le cinéaste germanique particulièrement attiré par le cinéma made in US s'attaque au western, autre genre typique d'Hollywood et de l'histoire des Etats-Unis mais dont plusieurs pays européens se sont appropriés les miettes : l'Italie avec le western spaghetti qui eut son heure de gloire dans les années 60 et l'Allemagne où l'on recense plusieurs ouvrages datant du début du siècle se déroulant dans l'ouest américain.

Whity est un mélange de ces influences diverses à l'heure où le cinéma américain lui-même semblait avoir presque abandonné le genre. Mais, de nouveau, Fassbinder en reprend quelques codes pour les détourner et il réalise l'inverse de ce à quoi on pouvait s'attendre. En ce sens le meilleur qualificatif qu'on peut attribuer au film serait celui de Western dégénéré, sans aucune nuance péjorative car Whity est un très bon cru pour ceux qui connaissent un peu l'oeuvre du réalisateur. Il reprend le saloon, ses ivrognes et ses bagarres, quelques scènes de rues assez rares et le racisme ambiant à cette époque dans le sud des Etats-Unis. Mais les portes deviennent des fenêtres, personne ne se parle, tout le monde se rejette.

Le protagoniste du film est un esclave noir surnommé de manière avilissante Whity car pour sa mère il n'est pas assez noir pour être Black, et pour les autres pas assez blanc pour être totalement White, un peu comme la Sarah Jane du Mirage de la vie, le dernier opus de Douglas Sirk, dont on retrouve quelques traces assez éparses notamment dans la question du racisme, du droit d'aimer qui il veut et du besoin d'être considéré comme un humain : thèmes sous-jacents mais qui reviennent sans cesse dans le film. Whity travaille avec sa mère pour un grand propriétaire terrien dont on devine qu'il est son père illégitime. Ce dernier est remarié et a eu deux enfants de sa précédente épouse. Mais dès le début rien ne va, tout est bancal, déséquilibré pour le plus grand bonheur du spectateur qui se demande à chaque instant où ce grand délire va mener. L'imprévisibilité est l'une des grande force du film.

Le père est un sadique renfrogné qui ne fait confiance à personne, sa nouvelle femme est cupide, masochiste et rêve de voir la famille entière mourir pour empocher de l'argent, l'un des enfants est atteint d'une forme d'autisme sévère et n'aime rien d'autres qu'éplucher des pommes de terre et le second est un malade arrogant rachitique et qui se travestit. Le ton est donné et tout va empirer jusqu'à un final rapide mais grandguignolesque, un simulacre de duel pour un western qui n'en est plus vraiment un. Les personnages ont d'ailleurs les figures de l'emploi : la mère de Whity est noire anthracite, certainement grimée de maquillage comme on le faisait dans les années 20 pour les acteurs blancs qui jouaient des personnages noirs, les autres membres de la famille ont le visage blanc voire bleu : la mort et la maladie se lit sur leur visage. Ils ne sont plus véritablement humains, juste de simples déchets qui hantent une demeure où rien ne bouge. Whity est dans un entre-deux, il est un point de liaison : tout le monde lui demandera à un moment où à un autre de tuer quelqu'un moyennant finances ou avantages matériels. Il se situe en bas de l'échelle sociale mais il est au centre de toutes les attentions, il observe et subit les rapports de force d'une famille qui n'est rien d'autre que étiolement d'une société de privilégiés. Son jeu est très étrange : presque rien ne transparaît de son visage excepté la douleur lorsqu'il est battu.

La mise en scène de Fassbinder une fois encore se joue des stéréotypes : il va droit là où cela fera le plus mal tout en s'attardant sur des détails insignifiants qui semblent interminables et faisant durer certaines séquences plus qu'elles ne devraient comme Sergio Leone le faisait mais cette fois sans suspense à la clé, rien que la représentation d'un ennui profond, du temps qui passe sans que rien ne puisse rétablir un quelconque ordre dans cette famille. Seule celle qu'il aime, une prostituée, chanteuse de bar blanche qu'il n'a pas le droit d'aimer en public sous peine de représailles et interprétée par une excellente Hannah Schygulla, parviendra à le faire sortir de ce système répressif. Les vingt dernières minutes, à partir du moment où il s'affirme et ose enfin passer une porte et non sortir par la fenêtre, sont magnifiques. Il passe de la soumission à la rébellion. Le film s'achèvera dans le désert dans un hommage évident et lucide aux Rapaces d'Erich von Stroheim.

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