Critique : Faites le mur

Marjolaine Gout | 23 janvier 2011
Marjolaine Gout | 23 janvier 2011

Banksy, « The Scarlet Pimpernel » des temps modernes ou « Rob in Hood » du pochoir, signe de la pointe de son aérosol un « documentaire » explosif sous les traits d'une farce. Relecture de A Star is Born sous l'infusion du cannabis et du diméthyl éther ! Agapes pour les yeux et l'esprit, ce film, façonné sous forme de trompe-l'œil, débusque du graffeur et sa plus belle proie, un bandit de grand chemin, s'illustrant sur les fronts du street art et de l'art contemporain : Thierry Guetta alias Mr Brainwash.

Sur les traces des graffeurs de la nation antique au « Hibou » (1), le graff  a influencé une nouvelle lignée d'artistes. Blek le rat et les flibustiers de la bombe et du pochoir ont ainsi secoué le XX siècle en initiant un mouvement artistique contemporain : le Street Art. Depuis du Cardiff Kook au mur de Gaza, cet art subversif a su coloniser le monde. Seul ou en formation commando, le panache est ici de rigueur entre camouflage, estocade de pinceau et course impromptue. Ellis G et ses ombres portées à la craie, Poster Boy et son cutter ou encore C215 et ses portraits au pochoir, provoquent et sensibilisent, en communiquant à galerie ouverte avec le passant. Peinture au pochoir, affiche ou installation sont quelques un des modes opératoires de cet art affranchi de tous carcans. Exit Through the Gift Shop nous dévoile ainsi cet univers et ses extensions sous l'œil de son réalisateur semi goguenard. Car le sujet du film est altéré et nous démontre habilement qu'entre œuvre d'art et vandalisme il n'existe qu'un pas à franchir mais un fossé incommensurable.

A l'origine de ce film, le guérillero anonyme et masqué, Banksy. Célèbre artiste militant, il s'introduit ici « modestement » mais légitimement comme souverain britannique du street art. Celui-ci devait être au cœur de ce film qui se révèle bifurquer sur un happening : Thierry Guetta, le réalisateur initial en devient le sujet tandis que Banksy reprend les rennes pour édifier un tout autre projet.

Le conte de fées, d'un original pataud, Thierry Guetta, boulet, malgré tout attendrissant, nous est narré.  Caméra greffée au poing, celui-ci se retrouve propulsé, parmi le gratin de ce milieu, grâce à ses lignages avec un artiste de street art, le bien nommé Space Invader. Filmant à la hussarde, Shepard Fairey et les acteurs de ce mouvement, il réussit à atteindre le graal en la personne de Banksy. Mais, censé concocter un documentaire sur le street art, celui-ci se désintéresse de cette tâche et s'enflamme pour la création lorsque Banksy lui en souffle l'idée. Thierry Guetta n'est plus et Mr Brainwash naît, involontairement, de la cuisse de Banksy.  Une nouvelle identité qui s'avère être une version allumée du monstre de Frankenstein aux traits au combien similaire à ceux du fameux graff « Banksien » : un nounours tenant une bombe!

Exit Through the Gift Shop tente donc de raconter les dérives de l'art à travers cette abracadabrante histoire d'un excentrique au pays du graff. Mais sous la direction de Banksy, le documentaire prend une tournure particulière et se décline tel un pamphlet monté de toutes pièces: à l'orée du street art et égratignant le marché de l'art. Entre les images d'archives, les captations de Guetta et les ajouts de l'équipe Banksy, le film offre un patchwork intriguant. Connaissant la démarche artistique de Banksy, détournant constamment ses médiums, sujets et supports, il est légitime de se poser la question d'un éventuel canular où Thierry Guetta serait une invention pur jus. L'idée de la blague, bien que fascinante et sous entendu, par Guetta ou Banksy, dans l'épilogue, reste semble-t-il utopique.

Au final, Banksy nous présente un ready-made en la personne de Thierry Guetta, un diable de Tazmanie, « vandaliseur » d'art et créateur compulsif d'œuvres à mi-chemin entre le street art et le pop art.  A travers un montage efficace et une musique soulignant le burlesque des situations, le travail et le succès fulgurant de Guetta, mettent en lumière les travers de notre société. L'œuvre de Thierry Guetta se définit ainsi comme un genre de « TP'ing »(2) artistique, annihilant tout contenu.

D'autre part, Banksy se révèle être un réalisateur hors pair avec une mise en scène en contrepoint plaçant Thierry Guetta en faire-valoir et mettant en avant les intervenants de la scène du street art. Le film propose ainsi l'histoire ahurissante de Mr Guetta mais de même celle de cet art, en marge des instances, gangrené par le marketing, commerce de l'art en quête d'éternels profits. Rappelons que le titre du film n'est autre que la « finalité » d'une exposition : « Exit through the gift shop » (sortie par la boutique de cadeaux).  Asservissement, endoctrinement et contrôle des masses quand tu nous tiens ! La façon dont le peuple adhère et achète est un des points savamment soulevé par ce documentaire.

En résumé, si l'on arrive à vendre un article comme sensationnel et capital, une pléthore de bipèdes, aveuglée par la réclame positive, s'amassera comme des glues pour découvrir ce produit faramineux. En cela, Mr Brainwash a bien réussi à asservir le badaud en effectuant un lavage de cerveaux digne de ce nom. Or, originellement le street art stimule, incite la foule à l'éveil des consciences et non à la « zombification » primaire de l'être humain. Mr Brainwash représente ainsi tout le contraire de cet art.

Banksy nous sert un film à l'image de ses œuvres, poussant à la réflexion, que ce soit sur notre société ou notre façon d'appréhender l'art, comme un consommable ou une mode. Dévoilant le monde du street art par le biais de cette histoire improbable, celle-ci résonne avec celle d'un certain Jeff Koons. Car tout comme Mr Brainwash et d'autres, celui-ci, entouré d'une armada d'assistants, prône l'art comme une marchandise. Communication, marketing, rendement supplantent ainsi la création en elle-même.  L'art conçu comme un produit manufacturé sonnerait -il le glas de la créativité ? Vandalisme ou œuvre d'art ? Mr Brainwash s'affirme donc comme un fin stratège en marketing mais tel un vandale de premier ordre en le mettant en avant et en ôtant le contenu artistique. Le monde de l'art s'avère vampirisé. Un film à l'humour acéré, signale d'alarme sur le devenir de l'art, où les expositions se transforment peu à peu en cirque commercial... Mais l'art étant subjectif, chacun pourra se forger sa propre opinion.  Une curiosité flamboyante à voir et à revoir !

 

(1)   Le « Hibou » aka Nicolas Edme Restif de la Bretonne griffonnait jadis sur les ponts de l'île St Louis.

(2)   Le « TP'ing » : action de recouvrir de papier toilette un objet, une structure ou un lieu. Celle-ci est notamment célèbre, durant la fête d'Halloween, aux Etats-Unis,  où des demeures sont prises pour cible.

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