Critique : She hate me

Julien Welter | 22 octobre 2004
Julien Welter | 22 octobre 2004

Lucide. L'adjectif colle parfaitement à la vision de Spike Lee sur son pays natal. De son premier brûlot (Do the right thing) à son avant-dernier pamphlet (La Vingt-Cinquième Heure), le metteur en scène a sans cesse ouvert une fenêtre âpre et non consensuelle sur cette société pilote du XXIe siècle.

Mais maintenant que sa nation évolue et agit sur le plan mondial, comment se placer en tant que réalisateur labellisé US et comment développer, sur le plan plus large du globe, le double programme qui traversait jusqu'à présent sa filmographie d'autochtone : un, revendications sociétales (Jungle fever ; Clockers ; He got game) et deux, explorations nostalgiques de sa personnalité (Malcom X ; Crooklyn ; Summer of Sam) ? Face à cette interrogation, la colère d'Edward Norton à l'égard des différentes communautés dans La Vingt-Cinquième Heure sonnait comme un aveu d'impuissance à trouver les images justes pour évoquer le devenir de la terre après le 11 Septembre. La rêverie masculine de She hate me constitue alors la plus inattendue des revanches, puisqu'elle amène à plus d'universalité, autant qu'à moins de réussite, les deux courants précédemment cités.

Dès l'ouverture, où un suicidé atterrit sur le toit d'un vendeur ambulant après une chute de X étages (ce n'est pas une référence, je n'ai juste pas eu le temps de compter), Spike Lee illustre plus justement le trauma des Twin Towers. La conclusion de cette expérience est simple : la chair et l'acier ne font pas bon ménage. Comprenez, de façon symbolique : faites l'amour pas la guerre, et oubliez également au passage les combines financières.
Très académiques et sans trop de finesse, Spike Lee vilipende la société économique mondiale dans ce qui ressemble à une extension du petit un de son discours artistique. Sans dentelle, il met en garde contre un nouvel ordre de la corruption à l'intérieur duquel les bonnes intentions n'ont que peu de place, d'où le laborieux parallèle avec Frank Wills, gardien qui a permis d'aboutir au Watergate, et qui n'a jamais pu retrouver un travail alors même qu'il avait bien agi. Engagé et revendicateur, Spike Lee se met, à l'échelle mondiale, dans le sillage manifestant de réalisateurs comme Fernando Solanas.

Plus intéressant et plus original est le repli sur soi, qui se place comme une continuation du petit deux. Léger et ironique, le réalisateur déroule, en alternatif aux horreurs, un programme charnel jouissif : pratiquer le coït consentant et rémunéré avec les femmes les plus inaccessibles (les homosexuelles) dans le seul but d'enfanter. Il filme avec plaisir ces rapports amoureux libérés d'une réticence à communiquer. Baignées dans une magnifique couleur ébène, les relations hommes-femmes n'ont jamais été aussi ambiguës et belles.

« J'adhère, où s'inscrire ? », me direz-vous ? Sauf que les plaisirs de la chair ne sont là que pour rappeler ceux moins plaisants de la chair morte, et cette fuite vers l'opposé (le tout amour) n'est qu'un agréable leurre que Spike Lee finit par dénoncer. Essayons de trouver un juste milieu, nous dit à peu de choses près le réalisateur en bout de film. Et il est là, le manque de réussite. Dans cet entre-deux auquel on finit par arriver après deux heures dix-huit laborieuses, alors que la simplicité aurait fait force.

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