Toni Erdmann : critique au poil

Geoffrey Crété | 29 juillet 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 29 juillet 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C'était le phénomène de Cannes 2006, face à American Honey, Personal Shopper, Juste la fin du monde, The Neon Demon, Mademoiselle ou encore Elle : Toni Erdmann, troisième film de Maren Ade, avec Sandra Hüller et Peter Simonischek.

ELLE ET LUI

En 2009, dans une énième tentative de labelliser un certain cinéma pour le sortir de l'ombre, la presse notamment germanique parlait d'une nouvelle vague de cinéma allemand. Avec des réalisateurs déterminés à filmer l'humain plus que l'Histoire, à regarder le contemporain entre rires et larmes, autour d'une certaine conception du cinéma partagée dans la revue Revolver.

Parmi les films cités en exemple, il y avait Everyone else, l'histoire en miroir de deux couples dans un décor ensoleillé. Un peu drôle, un peu mélancolique, un peu terrible, et très remarqué puisque couronné par l'Ours d'argent et le prix de la meilleure actrice pour Birgit Minichmayr au Festival de Berlin. C'était le deuxième film de la réalisatrice Maren Ade, qui a depuis enflammé la croisette avec Toni Erdmann, une comédie douce et amère, étrange et inattendue, centrée sur la relation entre un père fantasque et sa fille.

 

Photo Peter Simonischek, Sandra HüllerPère et fille, mode d'emploi

 

Toni Erdmann raconte une histoire simple. Consultante à Bucarest pour une multinationale, Ines est une business woman carriériste qui n'apprécie rien d'autre que sa vie professionnelle. Retraité fantasque et adepte des déguisements, son père Winfried décide de lui rendre visite. Lorsqu'il constate que sa fille est rongée par son ambition au point de n'avoir rien d'autre dans sa vie, il décide de se grimer et s'immiscer dans son quotidien sous le nom de Toni Erdmann. Pour rouvrir les yeux d'Ines, et la plonger dans un certain chaos.

Sur le papier, c'est presque trop ordinaire, trop balisé dans son message (Ines est un suppôt du capitalisme sauvage, qui contamine son humanité et sa sexualité). En réalité, une étonnante magie est à l'oeuvre. Au point que le comité de sélection de Cannes ait décidé la veille de la conférence de presse que Toni Erdmann ne sera non plus montré dans Un Certain Regard, mais en compétition officielle.

La magie passe d'abord par Sandra Hüller et Peter Simonischek, formidables. L'actrice incarne à la perfection cette femme sèche et terrible, qui glisse peu à peu vers une forme d'absurdité. Ce masque lugubre qu'elle ne lâche pas, même dans les moments les plus drôles, participe pour beaucoup à la réussite d'un film qui résiste aux stéréotypes. L'acteur, servi par un rôle farfelu et des scènes burlesques, apporte une belle tendresse derrière les pitreries et les fausses dents. Ils forment un duo étrange et ridicule, qui est la fascinante porte d'entrée du film.

 

Photo Peter SimonischekMon père, ce héros

 

UNE FAMILLE FORMIDABLE

Mais si Toni Erdmann est devenu en l'espace de quelques heures le film adoré de tous à Cannes, avec la certitude pour beaucoup que la Palme d'or lui était destinée, c'est parce qu'il jouit d'une liberté de ton qui frôle l'insolence. Maren Ade manipule les codes de la comédie et du mélodrame avec une légèreté irrésistible, et n'a pas peur des ruptures de ton. Le film emprunte des chemins inattendus, au risque de déconcerter et déboussoler : la réalisatrice n'a pas peur de bousculer le spectateur dans ses attentes. 

Une scène inouïe, qui ne devrait absolument pas être trahie ici, marquera sans aucun doute les esprits. Parce qu'elle est extrême, incongrue, folle et absurde. Qu'elle semble d'abord n'avoir aucun sens, mais qu'elle est en réalité la clé du personnage. Lorsque cette séquence se met en place, qu'on assiste à ce choix grotesque, que la mise en scène installe la gêne sur la longueur, il y a la certitude d'avoir affaire à un film pas comme les autres.

 

Photo Sandra HüllerUne actrice géniale

 

TIME OUT

L'insolence a aussi un prix : parmi les libertés prises par Maren Ade, il y a ces 2h42 encombrantes. Une durée excessive qui brise peu à peu le charme de Toni Erdmann. Alors que la première partie du film est d'une simplicité et d'une efficacité étonnantes, procurant un vrai plaisir enchanteur, le film perd en clarté par la suite, étirant des situations sans maintenir cette force comico-tragique. 

La tendre magie du film s'évanouit ainsi au fur et à mesure, condamnant le film à terminer sa course non pas sur un pic, mais sur une lente descente. Il y a suffisamment de précieux moments pour faire de Toni Erdmann un film qui mérite attention et amour, mais demeure toutefois cette sensation qu'il aurait pu être presque parfait avec un montage plus serré, qui en aurait illuminé toutes les qualités.

 

Affiche française

Résumé

Etonnant, imprévisible, Toni Erdmann est un film riche, qui s'amuse avec les codes et les tonalités. Avec les formidables Sandra Hüller et Peter Simonischek pour donner tout son sens à cette irrésistible farce, tour à tour très drôle et très triste.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.8)

Votre note ?

commentaires
Sanchez
30/07/2020 à 03:14

« Tour à tour très drôle et très triste » et très chiant surtout. C’est pas dénué d’intérêts mais le problème justement c’est que c’est ni très drôle ni très triste

drocmerej
01/09/2016 à 01:41

@schwarzy MERCI. D'accord chacun peut donner son avis (argumenté c'est encore mieux) mais c'est toujours un peu crispant quand une personne veut imposer (!) son avis. Au passage ça ne marche jamais. Des critiques favorables incompréhensibles ? Si je suis dans le cas où je ne comprends pas de telle critiques (même unanime, pour un classique par exemple), je creuse et si je ne suis pas d'accord, j'ai la modestie de penser simplement que je n'ai pas été touché ou qu'il y a d'autres raisons qui font que je n'aime pas le film, mais je m'abstiens de prononcer des mots définitifs. On est comme on est et débattre nous change rarement.

Schwarzy
30/08/2016 à 12:23

Soyons tous prévenus : même le meilleur des films sera détesté par certains, et même le pire film du film aura ses fans. C'est la grande joie et richesse de l'art et notamment du cinéma.

Qu'on aime pas, ok, mais qu'on vienne "prévenir" que c'est un téléfilm raté et que ceux qui aiment, c'est incompréhensible... c'est ç'la oui

Soylent green
29/08/2016 à 22:47

Le film le plus ennuyeux de l'année. Seule la dernière demi-heure, sur deux heures quarante ! vaut la peine pour sa révolte et son caractère pince sans rire. Ces critiques tellement favorables pour ce qui n'est qu'un téléfilm raté sont incompréhensibles. Vous êtes prévenus

Geoffrey Crété - Rédaction
25/08/2016 à 00:27

@drocmerej

Nous, on est là. Comblés d'avoir des commentaires ici aussi !

Comme on disait : chacun apprécie les films à sa manière, heureusement ! Et avoir lu des critiques avec quelques réserves aura pu jouer en faveur du film (même si la nôtre est quand même très positive au final).
On maintient que Toni Erdmann aurait pu être vraiment fabuleux avec un montage plus serré. Le problème n'est pas tant la cohérence que l'efficacité, la précision, le rythme. Et on ne parlait pas de couper le film pour aller à une durée classique d'1h30 non plus.

A bientôt !

drocmerej
24/08/2016 à 20:41

Enfin vu et adoré ! Je m'attendais finalement à être déçu à cause de quelques critiques ,dont la vôtre, plus nuancées. Pour revenir sur la longueur du film, elle ne m'a pas dérangé du tout et je trouve le tout très cohérent. Quand c'est bon tout le long ... J'ai trouvé la toute dernière scène excellente et très puissante, notamment par le fait qu'elle renvoie "Toni" à ses contradictions. Bref, plus personne n'est là donc salut !!!

drocmerej
19/08/2016 à 16:01

@la rédac
Pas de soucis je suis bien d'accord avec vous. Je n'ai en fait pas encore vu le film (mais le RDV est fixé) donc je ne peux pas encore donner mon avis.
En tout cas le film a apparemment bien débuté sa carrière en France. Il y a eu une bonne promo aussi.

Timbp
17/08/2016 à 23:53

Je suis curieux de voir Ma' Rosa, qui a eu le prix d'interprétation féminine à Cannes, parce que Sandra Hüller dans Toni Erdmann est réellement géniale. Pas pu décrocher mon regard d'elle du début à la fin.

MystereK
17/08/2016 à 08:20

C'est le film issu de la dernière sélection cannoise que j'ai le plus envie de voir.

Geoffrey Crété - Rédaction
16/08/2016 à 23:34

@drocmerej

Autant d'avis que de critiques, autant d'avis que de personnes... Heureusement que nous ne sommes pas tous d'accord sur les films, et que personne n'essaie de dire qu'il a "raison" ;)

Et on va dire que Toni Erdmann ne s'adresse pas au même public, et que ce public s'emporte peut-être moins dans les commentaires... Mais n'hésitez pas à revenir partager votre avis et échanger, peut-être que cela ouvrira d'intéressantes discussions sur le film !

Plus
votre commentaire