L'Odyssée : Critique d'un film qui se mouille

Simon Riaux | 12 octobre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 12 octobre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Genre scolaire et désincarné par excellence, le biopic a connu de sinistres ambassadeurs sous nos latitudes (La Môme, Yves Saint Laurent…). C’est pourquoi voir le réalisateur de Largo Winch s’intéresser au destin de Jacques-Yves Cousteau n’était pas fait initialement pour nous rassurer. Preuve qu’il ne faut jurer de rien, L’Odyssée est de loin son meilleur film, ainsi qu’une biographie tout à fait recommandable.

L’Ami Aquatique

Familiers ou parfaitement étanches au phénomène Cousteau, les spectateurs ne sont pas nombreux à connaître en détail ce qui fait le cœur du récit de Jérôme Salle. A savoir les ambitions contradictoires de l’aventurier, son désir de reconnaissance, son profond égoïsme, l’inconséquence avec laquelle il envisageait parfois son métier, l’absence cruelle d’empathie dont il fit parfois preuve envers les siens.

Pour beaucoup, les élans et turpitudes de la vie de Cousteau seront donc une découverte. Découverte d’autant plus délectable qu’elle est impeccablement narrée par Jérôme Salle et Lambert Wilson. Aussi harponné que le public par le magnétisme de son comédien principal, le cinéaste en fait l’anguille qui électrise chaque plan ou presque, touchant d’humanité, d’hubris et de fragilité.

 

commandant Cousteau

 

Si le reste du casting, de Pierre Niney à Audrey Tautou, est impeccable, c’est bien le duo Salle-Wilson qui devient ici le moteur du récit. Quand ce dernier s’immerge dans les ambitions contrariées de son héros, ses remords et ses pulsions créatrices, L’Odyssée passionne et nous propose une success story amère, à travers laquelle son réalisateur délivre un intéressant portrait de démiurge.

 

Pas un film de Mer

Etonnamment, le cœur du film n’est donc pas aquatique, le récit utilise ses séquences humides comme des respirations au sein d’un récit dense, s’étalant sur plusieurs décennies. Un choix qui fonctionne, ces scènes permettant au spectateur de se régaler d’un livre d’images somme toute classiques, mais parfaitement composées.

 

Photo Lambert Wilson

 

Tout au plus regrettera-t-on une séquence à base de requins, techniquement très solide, mais souffrant d’un  montage un peu trop syncopé pour convaincre. Hormis cette anicroche, L’Odyssée rappelle avec insistance que le cinéma français est parfaitement capable d’emballer un divertissement techniquement aussi abouti que la concurrence anglo-saxonne, pour un budget bien moindre ; une gageure, quand on sait que l’intégralité des scènes à bord de la Calypso ont été réalisées sur un navire… sans moteurs.

 

Pas Toujours frais

Devant la réussite de la mise en scène et des comédiens, on ne pourra s’empêcher de tiquer devant certains choix narratifs et structurels. La décision de débuter le film par un des grands drames de la vie de Cousteau, survenu dans la dernière partie de sa vie, apparaît ainsi contre-productive, amoindrissant sa portée symbolique évidente. Pire, lorsque le récit retrouve ses rails chronologiques et rejoue cet évènement, son impact apparaît bien moindre et affaiblit ce qui devait constituer le climax émotionnel de l’ensemble.

 

Photo Lambert Wilson

 

De même, si on comprend parfaitement pourquoi Jérôme Salle a voulu traiter de la tardive conversion écologique de Cousteau à travers le prisme d’une relation père-fils aussi stimulante que funèbre, ce ressort aux airs de rédemption semble trop superficiel pour totalement convaincre. Un revirement un peu trop brutal, surtout après l’étouffante immersion dans la psyché du commandant.

Pour autant, le navire ne prend pas l’eau. Au contraire, malgré ses défauts évidents, L’Odyssée demeure une rares des propositions de cinéma français récent à allier divertissement populaire, ambition artistique et narrative. Un film qui se mouille.

 

Affiche

 

 

Résumé

Un biopic réussi, dont les thèmes, la profondeur et la noirceur surprennent, malgré deux trois récifs que le récit n'esquive pas.

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commentaires
Flo
19/09/2023 à 13:28

Jérôme Salle est un des rares cinéastes français qui sache faire du bon film d'aventure, fait pour le grand écran... Et là on est gâté, parce-que ce film racontant librement la Saga de la famille Cousteau est bien rythmé - mis à part la présence de la scène d'introduction, qui n'a pas d'intérêt narratif.
Et visuellement superbe, réussissant l'exploit de nous montrer des images de la nature marine des années 40 à 80 (alors que normalement elles ne devraient plus exister à l'identique aujourd'hui). Les acteurs et l'équipe techniques sont vraiment allé partout, jusqu'à en Antarctique.
Pour la structure du film par contre, le réalisateur essaime un peu trop de pistes narratives, qu'il ne va pas toutes exploiter jusqu'à l'exhaustivité. Comme le fait que les trois personnages principaux - forts - ont chacun un frère de l'ombre. Qu'on ne verra pas beaucoup, voir même jamais.
Et il y a, à quelques reprises, de sympathiques effets de mise en scène montrant en un seul plan le rapide passage du temps - ce n'est pas non plus le sujet... cela dit on aurait déjà pû se contenter de "La Vie Aquatique" de Wes Anderson, évocation géniale de cette famille par un biais fantaisiste, regorgeant d'idées incroyables.

Mais une fois cela évacué, le film se concentre bien sur le trio Jacques-Yves/Simone/Philippe, à la personnalité si forte qu'ils ne peuvent très vite plus se côtoyer, chacun sans cesse en mouvement.
Qui pour récolter des fonds par sa séduction (jouant aussi bien au baroudeur pédagogue qu'au french lover à la Maurice Chevalier)...
Qui confinée sur Son bateau (devenue la maman de tout l'équipage, et se laissant vieillir comme l'autre Simone)...
Qui se partage entre air et mer (à ses dépens) et se découvre tôt une conscience écologique... qui aurait dû être prédominante dès le début de l'entreprise Cousteau.

Où comment un aventurier/inventeur à l'ancienne, mégalo, tout en contrôle de son storytelling, va apprendre à passer du statut de pionnier à celui de protecteur (à la fois en retard, et en avance sur tout le monde).
Sous l'impulsion d'un fils préféré qui est aussi son plus grand adversaire.

Simon Riaux
06/10/2016 à 12:13

Le film débute en 1959, il n'aborde pas ces questions.
Rappelons que ce n'est pas Jacques-Yves Cousteau (récompensé de la médaille de la Résistance), mais son frère aîné, qui fut collaborateur, aux côtés de Brasillach. Il fut parmi les rares à assumer ses actes et les revendiquer; Condamné à mort, avant de voir sa mort commuée en prison à vie, il est mort incarcéré.

Satan Lateube
06/10/2016 à 09:31

Me demande si le film ose aborder le sujet du frère Cousteau collabo ?

Atréides
05/10/2016 à 22:58

Tiens, je n'avais pas conscience que ce Cloclo était si apprécié. Je l'ai vu d'un oeil à demi-concerné, ni franchement ennuyé ni vraiment convaincu. Je n'en garde aucun souvenir solide, de cinéma ou d'émotion.

Cousin de Claude François
05/10/2016 à 22:49

Cloclo est le biopic le plus réussi du triste cinéma français jusqu'à présent. Parlez de votre Cousteau mais ne touchez pas à cette histoire qui à vraiment été fidèle à la vie de mon pauvre Claude. Cynique mais réussi. Merci.

tenia
05/10/2016 à 19:46

Le problème de Cloclo, c'est que c'est effectivement très clinique, et que malgré la démo technique (ah, les multiples plans séquences), y a un paquet de jolies images écourtées trop rapidement. Pour un film qui frôle les 2h30, c'est ballot.

Simon Riaux
05/10/2016 à 18:52

@Alfred

Disons que là, on rentre dans le très subjectif. Il me semble néanmoins que L'Odyssée a plus de chair que Cloclo, parfois un peu trop froid derrière sa brillante démo technique. En grande partie grâce aux comédiens et à l'équilibre de l'écriture, qui rend Cousteau à la fois glaçant, touchant et pathétique.

Alfred
05/10/2016 à 18:32

C'est marrant, je pensais aussi au Clo Clo de Siri en lisant la critique.
Mais si le film de Siri a un vrai point de vue et nous offre du vrai cinoche, je me suis un un peu ennuyé devant. Et j'ai peur que cette Odyssée soit du même tonneau... Un vrai bon film, mais qui nous implique peu si on a pas d'empathie pour le sujet.
Un avis monsieur Riaux?

Zanta
05/10/2016 à 16:51

Un biopic français hautement recommandable : le CloClo de Florent Emilio Siri.

olivier637
05/10/2016 à 14:10

@the riddler:

C'est clair que la qualité des 2 films se discute. Cela dit, l'exercice du biopic est ultra-balisé, c'est quand même dur de surprendre sur la forme, et c'est encore plus vrai pour les biopics US. Ce qui fixe souvent la qualité du biopic c'est l'interprétation.
En l’occurrence pour la Môme et Saint-Laurent c'est quand même d'un certain niveau.

Pour ce qui est de "la haute qui adore se congratuler et se sucer la bûche dans des soirées mondaines à base de petits fours", c'est quand même assez démago comme façon de penser.
On n'est pas très loin du "dans leurs palais dorés les politiques ne connaissent pas les aspirations des petites gens, trop occupés à se gaver de caviar alors que nous avec Marine on est vraiment sur le terrain".

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