Critique : Voyage sans retour

A nos yeux, Voyage sans retour n'est pas un film islamophobe. Contrairement à ce qu'a pu en dire un des acteurs du film (Samy Nacéri en l'occurrence, qu'on a connu plus inspiré en matière de polémique), le deuxième long-métrage de François Gérard ne stigmatise absolument pas une quelconque communauté et ne véhicule pas l'image d'un Islam en tant que réservoir de barbus explosifs. Bien au contraire même, serait-on tenté de dire. En effet, s'il dénonce quelque chose, c'est bien évidemment l'intégrisme et la radicalisation en eux-mêmes. Ce qui fait que justement on puisse se retrouver endoctriné. Une violence sociale qui conduit à des drames personnels qui, récupérés et manipulés par des intégristes, mènent au terrorisme. Il n'est pas question ici de justifier quelque idéologie que ce soit et de faire un procès à l'Islam. Bien qu'on pense évidemment au parcours de Khaled Kelkal, on ne peut pas taxer le film d'apologie du fanatisme car ce n'est pas le cas. On devrait plutôt se demander pourquoi le cinéma français ne se penche pas davantage sur ce type de sujets forcément polémique mais terriblement important (surtout en ce moment). Alors oui, ça fera moins d'entrées qu'un thriller franchouillard avec François Cluzet (ou Canet), qu'une nouvelle connerie de Dany Boon, ça ne passera jamais à 20h50 sur TF1 et ce n'est pas politiquement correct.

Pour autant ce genre de film doit aussi exister dans un pays qui prône la diversité culturelle mais qui semble incapable de regarder en face ses propres problèmes. Pour le courage de se frotter à une thématique pareille, pour la ténacité et l'ambition dont il a fait preuve, pour le simple fait d'avoir pu terminer son film (pas loin d'une décennie pour y arriver, avec perte du négatif par le labo Eclair, refus d'autorisation de tourner dans certains décors, aucun financement public), François Gérard mérite qu'on l'encourage et qu'on le soutienne un minimum.

Malheureusement, Voyage sans retour n'est pas très bon, voire raté. Par excès d'implication et d'ambition (François Gérard occupe tous les postes clé, dont le rôle principal), le réalisateur saborde inconsciemment sa démarche. En fait, on a l'impression de voir deux longs-métrages collés l'un à l'autre : Le thriller international, intéressant et tourné sur les lieux-même de l'action (Afghanistan, Inde, et tout ça à l'arrache excusez du peu), qui montre le parcours de Kad jusque dans les camps d'entraînement djihadistes, propose des décors fantastiques et une mise en scène qui laisse entrevoir le talent du réalisateur. Soutenue par une partition enlevée et efficace, cette partie du film en contient les meilleurs passages. Le problème, c'est que l'autre moitié de l'histoire se passe à Toulouse, avec caméra à l'épaule, Samy Nacéri en flic et Julien Courbey en terroriste. Forcément, un décalage s'opère. Là, le film n'est plus vraiment maîtrisé, le scénario s'embourbe, les acteurs sont très mal dirigés, le rythme est plombé et on frôle par moments un amateurisme gênant.

En résulte un long-métrage totalement schizophrène qui, du coup, rate toujours sa cible. Handicapé par une construction dramatique assez foireuse (on se perd dans les flashbacks, on ne comprend plus grand chose au bout d'un moment), quelques incohérences énormes (comment Kad sort-il de son box qui n'a qu'une entrée alors que le parking est bouclé par le GIGN ?) et l'absence de talent d'acteur de François Gérard qui plombe la majorité de ses scènes avec des dialogues/monologues artificiels en dépit de sa personnalité indéniable. Voyage sans retour ne convainc donc jamais. C'est d'autant plus dommage car, créant ainsi la polémique (et sortant le 11 septembre - Oh la fausse bonne idée !) mais n'ayant pas les épaules suffisamment solides pour la supporter, le film n'a aucune chance d'en sortir vainqueur.