Critique : À perdre la raison

Simon Riaux | 23 mai 2012
Simon Riaux | 23 mai 2012
Rarement traité à l'écran, l'infanticide fait partie de nos tabous historiques et structurels. Exposé à la lumière crue des projecteurs médiatiques, suite à plusieurs faits divers dont les retentissements sont toujours au moins autant symboliques et sociétaux que judiciaires, il génère logiquement une curiosité exacerbée quant au nouveau film de Joachim Lafosse, À perdre la raison, quoique ce dernier en traite dans un contexte qui n'entretient que très peu de liens avec la sinistre affaire Courjault, pour ne citer qu'elle.

À perdre la raison appartient à la longue lignée des thrillers domestiques hexagonaux, et prend ses racines dans le vivier de la petite bourgeoisie provinciale qui fit le bonheur de Claude Chabrol, sans en singer la truculence et la malice. On sera d'ailleurs reconnaissant à Joachim Lafosse de ne jamais copier ses aînés, et d'assumer la noirceur et le jusqu'au-boutisme de son propos jusque dans ses ultimes images. Le récit n'offrira aucune respiration au spectateur, et ne s'allègera jamais d'à côtés dispensables, ou de saillies triant sur la comédie de mœurs. D'où un sentiment d'oppression qui ira croissant tout le long du film, et sera remarquablement consolidé au fur et à mesure que se dessine le sort de cette famille dysfonctionnelle. Le mérite en revient évidemment à la mise en scène, discrète et limpide, qui se garde bien de trop jouer des ténèbres et de l'ombre, pour mieux éclairer les vicissitudes de ses personnages d'une lumière crue, à laquelle n'échappe aucun geste, regard dérobé ou attitude signifiante.

Le spectateur se retrouve impliqué corps et âme dans la lente descente aux enfers d'Émilie Dequenne, dont le jeu repose sur une maîtrise remarquable des silences, lesquelles remplacent petit à petit l'enthousiasme et la tendresse d'une jeune femme de prime abord trop positive et enjouée pour entrevoir l'engrenage sur le point de la happer. Niels Arestrup lui rend merveilleusement la pareille, et compose un terrifiant patriarche, parrain omnipotent d'une famille qu'il compose et décompose à son gré, jouant des trajectoires de chacun tel un enfant capricieux, dont la toute puissance laisse à l'occasion affleurer des fêlures béantes. On sera plus réservé non pas sur l'interprétation de Tahar Rahim, dont la justesse confine à la virtuosité, mais sur l'utilisation qui est faite de son personnage, dont les strates psychologiques nous sont beaucoup trop vite exposées.

Et l'on touche là à l'évidente limite de l'exercice, la faiblesse principale du film. Si Lafosse parvient avec aisance à nous communiquer les bouffées d'angoisse, de tension puis de terreur hiératiques qui rongent son héroïne, il a beaucoup plus de mal à rendre crédible la mécanique qui entraînera son personnage principale à se retourner contre la chair de sa chair. Non pas que nous ayons la moindre compétence pour juger de la crédibilité des comportements exposés dans le film, en revanche leur agencement à l'écran paraît insaisissable, flou et par conséquent, un peu facile. Que l'infanticide soit par définition un acte incompréhensible et inconcevable pour le commun des mortels ne fait pas débat, en revanche ce principe ne saurait s'appliquer tel quel à un scénario de cinéma, qui réclame un minimum de didactisme pour ne pas voir s'envoler la sacro-sainte suspension d'incrédulité. Pourquoi Émilie Dequenne, menacée par son époux et son beau-père ne dirige-t-elle pas son ultime geste de rébellion contre eux, voire elle-même ?

Si l'on comprend pourquoi Lafosse estime ne pas devoir/pouvoir donner de réponse toute faite à son public, la pilule demeure très dure à avaler, et empêche le scénario en flash-back de boucler sa ronde funeste.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.5)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire