Critique : Extrêmement fort et incroyablement près

Simon Riaux | 28 février 2012
Simon Riaux | 28 février 2012
Le nouveau film de Stephen Daldry pourrait s'intituler Deuil d'une nation, Feu mon père ce héros, ou encore Le Septième sot, tant l'affliction, le pathos et la mort étreignent le spectateur pour ne plus le lâcher. En effet, le réalisateur met en place un dispositif qui ne lui interdit pas de convoquer les talents que nous lui connaissons déjà (découpage fluide et direction d'acteurs impeccable), mais invite le public à expérimenter une forme masochiste quoique efficace du syndrome de Stockholm.

La prise d'otage se déploie en deux temps, où la pitié pour l'audience n'est pas au programme. Le portrait d'un père confit dans un idéalisme forcené, pour qui la délicatesse se dispute à l'attention et l'imagination à la sensibilité, est sommé de nous tirer les premières larmes, redoublées par sa disparition dans les attentats du 11 septembre. Daldry sacrifie symboliquement le père fantasmé de tout américain, et par extension, de l'occidental moyen,  qui est devenu grâce à un procédé d'identification maîtrisé un innocent autiste aux sentiments exacerbés.

Le spectateur a déjà sorti portefeuille, bijoux et tickets restaurants, mais les preneurs d'otage lui réservent le plus long des supplices, une interminable négociation au cours de laquelle il ne manquera pas de prendre leur parti. Alors que défilent les personnages affligés, mères en deuil, gogos spirites et autres vieillards accablés, les séquences s'égrainent contre la tempe du spectateur, interminable roulette russe émotionnelle. Le processus culminera lors d'une épouvante écoute des messages laissés par feu papounet, dont chaque rouage vient rappeler au public que ses glandes lacrymales sont l'objet d'une intraitable négociation. Bien sûr, les larmiches coulent, les pupilles se dilatent et le cœur palpite, moins par adhésion que par soumission à Daldry et sa mise en scène.

L'expérience finit par séduire sa victime, car le cinéaste, comme tout bon preneur d'otage, sait ménager de fausses pauses et de vraies attentions pour son public, qui ne manquera d'être touché par la cause de Max Von Sydow, inoxidable, et de Thomas Horn, prodigieux. La libération s'en déroule d'autant mieux, et l'on se dit, penaud et un tantinet aveuglé, que le réalisateur nous a offert, malgré nous et grâce à son arsenal létal, quelques belles émotions. Et après tout, un petit Stockholm des familles ne vaut-il pas mieux qu'un indépassable trauma de derrière les fagots, comme celui qu'Oliver Stone tenta de nous enfoncer dans le gosier avec son World Trade Center ?

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