Shame : Critique

Simon Riaux | 4 septembre 2011
Simon Riaux | 4 septembre 2011

La caméra d'or attribuée à Hunger avait instantanément propulsé Steve McQueen dans le peloton de tête des réalisateurs à suivre, et donné un phénoménal coup d'accélérateur à la carrière de Michael Fassbender. Nous avions été séduits par cette proposition de cinéma, aussi brute que raffinée, lumineuse et radicale, bien que le passé de vidéaste de son auteur l'empêche de laisser respirer son récit, prisonnier de sa maîtrise esthétique. C'est avec presque autant d'appréhension que d'excitation que nous attendions les retrouvailles du réalisateur et de son comédien, accompagnés cette fois de la surprenante Carey Mulligan.

Si McQueen a quitté les prisons britanniques c'est pour nous embarquer vers une autre cage, dorée cette fois-ci, où évolue Brandon, trentenaire New Yorkais à l'existence bien réglée. Sa vie se partage entre un travail dont nous ne saurons rien, ou si peu, et sa sexualité, erratique, impulsive, insatiable, qu'elle surgisse au beau milieu d'une pause déjeuner, à l'issue d'une virée dans un bar, ou se satisfasse de vigoureuses caresses devant une vidéo téléchargée.

Cette existence mécanique va se gripper quand débarque sa soeur, dont la sensibilité et l'inconstance vont révéler les failles béantes. Cet univers déshumanisé, ces personnages mus uniquement par l'assouvissement solitaire de pulsions, rappelle le désenchantement Houellebecquien.

 

 

Mais là où l'écrivain ménageait toujours ses héros en leur conférant un espoir, cosmétique mais indéniable, McQueen dresse le portrait d'un homme occidental arrivé au stade terminal de la déshumanisation. Un homo erectus sans attaches, sans passion, dont le consumérisme s'est fané, tétanisé par la moindre intrusion dans son microcosme du sentiment, de l'émotion. La chair n'est même plus triste, elle s'est évaporée, remplacée par une succession d'actes automatiques dont le motif n'est plus la recherche du plaisir, mais l'évacuation d'un besoin qui ne se soucie ni de son modus operandi, ni de son éventuel partenaire. La tentative désespérée de Brandon de recréer une intimité tient du mimétisme et du conditionnement, et nous bouleverse dans son pathétique et inévitable échec.

 

 

 

Shame marque l'évolution que nous attendions dans la carrière de Steve McQueen. Sa mise en scène est désormais toute entière au service de ce qu'il raconte. En témoigne une séquence remarquable dans le métro, où la caméra transforme un flirt presque banal en un crescendo fiévreux, nous propulsant littéralement dans le corps d'un Fassbender habité. Si le réalisateur s'appuie encore trop sur l'image, et pas assez sur son scénario (d'où quelques flottements et effets manqués qui affaiblissent légèrement l'épilogue), il peut se le permettre tant sa maîtrise du cadre impose le respect.

 

La composition de l'image, quand elle n'est pas d'une beauté confondante, se révèle toujours éminemment significative. Il en va de même pour la photographie, qui passe de l'iridescence élégiaque aux teintes blafardes d'un l'hygiénisme envahissant, pour mieux nous consumer dans la chaleur d'un dîner entre amis, où l'humanité qui surgit au détour d'une chanson (incroyable reprise de New York New York par Carey Mulligan) devient une menace opaque, qui contamine jusqu'au regard perdu de Michael Fassbender.

 

 

Résumé

Ce qui fait l'impact de Shame, bien plus que sa réussite esthétique, ou ses acteurs, c'est son message. Quand beaucoup se seraient contentés de traiter la perte de sens du corps social occidental comme un horizon cauchemardesque et détestable, McQueen montre que le cataclysme a déjà eu lieu. Cet homme sans attaches, sans devenir ni aspirations, dont l'intimité n'est plus qu'un champ de ruines, c'est notre voisin, notre ami, notre collègue... il nous ressemble tant que nous adorons le détester, plutôt que de détester l'adorer.

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