Critique : Achille et la tortue

Jean-Noël Nicolau | 10 mars 2010
Jean-Noël Nicolau | 10 mars 2010

Avec Achille et la tortue, Takeshi Kitano achève (provisoirement) une trilogie consacrée à son rôle d'artiste. Ici il ne se met plus en scène en tant que cinéaste en pleine crise d'ego : il devient peintre, son autre passion contrariée. Il s'efface donc en partie au profit du faux biopic d'un créateur raté qui se dédie depuis l'enfance à la peinture. Insensible au monde qui l'entoure, le personnage est enfermé dans un autisme qui sied à merveille au visage impassible de Kitano. Certes, ce dernier n'apparaît qu'au bout d'une heure vingt, mais l'enfant et le jeune homme qui l'incarnent dans les deux premiers tiers sont tout aussi convaincants dans leur marginalité lunaire.

 

La réflexion sur la création se fait sur le mode tragi-comique qui servait si bien A scene at sea ou Sonatine. Mais c'est du côté de la profondeur de Dolls qu'il faudrait chercher la meilleure comparaison dans la filmographie du japonais. Là où Dolls évoquait l'amour avec mélancolie et cruauté, Achille et la tortue propose quelques unes des perspectives les plus justes sur les sacrifices propres à l'art.

 

Derrière un humour très noir, mais irrésistible, c'est toute la détresse du peintre qui s'exprime, passant son existence à se chercher en vain. Comment dépasser l'imitation (avec quelques savoureuses parodies d'auteurs célèbres) ? Comment se trouver un style sans tomber dans le grotesque (avec une ribambelle de gags fantastiques) ? Et surtout comment vivre, tout simplement, comment « être » ? Cerné par les tragédies, incapable de s'accrocher aux autres, le Kitano artiste n'est qu'un fantôme, qu'ironiquement même la mort refuse, alors qu'elle s'empare de tous ceux qui l'entourent.

 

Le salut viendra peut-être de l'amour de la femme qui partage son idéal : une folie douce à deux, presque sans limite. Même si les oeuvres partent en cendres, il reste une touche d'espoir au sein de la tristesse déchirante. Achille et la tortue renvoie la recherche esthétique à sa vacuité. Constat terrible qui semble nous affirmer que l'art n'est qu'illusion et que son essence demeure inaccessible. Cependant, l'existence même d'Achille et la tortue, sa beauté déchirante, sa tendresse paradoxale, répondent à toutes les interrogations du maître japonais : l'artiste génial existe, il se nomme Kitano, et son regard sur le monde nous est toujours aussi vital.

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