Watchmen : critique des dieux et des hommes

Julien Foussereau | 6 juin 2022
Julien Foussereau | 6 juin 2022

Watchmen est ce soir à 22h35 sur Arte.

Zack Snyder adapte Watchmen, le roman graphique culte d'Alan Moore qui a révolutionné les comics dans les années 80. Un pari plus que dangereux dans lequel ont été embarqués Patrick WilsonMalin Akerman et Jeffrey Dean Morgan.

snyder cut

Pendant 23 ans, Watchmen, cette arlésienne de l'adaptation cinématographique, a suscité autant l'envie que l'appréhension. 23 ans que des « cinéastes-auteurs » s'esquintaient les poignets à tenter vainement de prendre ce taureau du 9eme art par les cornes avant de quitter l'arène la queue entre les jambes.

Terry Gilliam, Paul Greengrass et Darren Aronofsky ont cru que s'attaquer au storytelling d'Alan Moore s'apparentait à une corrida : une patte cinématographique bien trempée et personnelle contre sa plume minutieuse et obsessionnelle. Les Frères Hugues, Stephen Norrington et les Wachowski (oui, enfin James McTeigue) ont persisté dans cette voie. S'en suivirent  From Hell, LXG et V pour Vendetta, des entreprises d'esquives et de raccourcis foireux se soldant par un empalement impitoyable du taureau.

 

photo, Jackie Earle HaleyUn récit intemporel

 

Avec sa transposition réussie de 300, Zack Snyder a compris qu'il fallait envisager le comic book auteurisant sur grand écran comme un rodéo, c'est-à-dire en épousant les contours musculeux de la bête avec agilité et persévérance dans l'espoir de la dompter. À sa manière, Snyder s'est imposé comme l'homme providentiel parce qu'il n'est justement pas un auteur mais bel et bien un filmmaker malin, doublé d'un mercenaire esthétique ayant fait ses preuves. Le Ridley Scott de ce début de siècle, en somme.

Rétrospectivement, le carton de 300 a permis de légitimer commercialement une lecture ciné moins aseptisée et plus sombre de la BD US. Sans cela, pas sûr que l'esprit ô combien sombre, nihiliste et absolutiste de Watchmen aurait été préservé.

 

Watchmen : photo, Malin AkermanMerci qui ?... Merci Léonidas

 

the dark avengers

Bien que certains puissent le déplorer, la première des qualités de Watchmen tient dans sa fidélité plastique et thématique. Le film rend autant justice à Dave Gibbons qu'à Alan Moore, autant à son superbe décorum crépusculaire à la Blade Runner ou Se7en qu'aux êtres s'y débattant. Par sa soumission quasi religieuse au roman graphique -car Watchmen est une Bible-, Snyder signe moins un blockbuster qu'un portrait d'individus complexes et ambigus sur fond de complot apocalyptique.

Seulement, cette étude prenait 400 pages d'une densité ahurissante dans la source d'origine contre 163 minutes ici. 300 était une affaire de dilatation, Watchmen est celle d'une compression. Alors Snyder et ses scénaristes dégraissent tout ce qui n'a pas trait aux 6 personnages clés du récit, le prix à payer pour espérer attirer le béotien. Et ils s'en tirent avec les honneurs.

 

photoPas Batman et Pas Catwoman

 

À l'exception notable de Laurie Jupiter / le Spectre Soyeux dont les relations amour / haine avec sa mère ont été sensiblement écourtées, la sensation d'assister à un rêve de gosse prendre vie est indubitable tant l'essence de ce sextet a su être magnifiquement capturée ; qu'il s'agisse du cynisme destructeur du Comédien, de l'humanité en extinction de Dr Manhattan l'omniscient (fantastique performance vocale de Billy Crudup lors dans la séquence martienne scandée sur du Philip Glass, incontestablement la plus belle du film), du mépris de soi du Hibou ou de la haine psychopathe rongeant Rorschach de l'intérieur (Jackie Earle Haley, juste incroyable).

Ils sont là, en volumes, vivants : Manhattan se démultipliant littéralement pour satisfaire les envies sexuelles de Laurie tout en continuant de bosser à côté, le Comédien en pleine tentative de viol sur Sally Jupiter, etc. Toutes ces choses qui rappellent que The Dark Knight, malgré ses prétentions subversivement burnées, fait office de petit joueur.

 

Watchmen : photoDes costumes incroyablement fidèles

 

quelques égratignures

Certes, Watchmen est imparfait. Snyder a eu des comptes à rendre et dû amplifier la moindre scène spectaculaire avec ses ralentis esthétisants (on pense au combat final too much). Oui, le vertige temporel, élément fondamental chez Moore -et sa représentation non pas comme une ligne ou une boucle mais comme un point figé dans lequel tout est simultané, a déjà eu lieu, a lieu, aura lieu- se heurte à la narration cinématographique du défilement là où les planches de BD sont, de toute façon, plus adéquates. Sans parler de la modification cataclysmique à la fin, habile, mais moins traumatisante que dans le comics.

Ces revers sont toutefois atténués par la bonne dose d'ironie distante qu'injecte Snyder, jusque dans les scènes coïtales. Grâce à cela, il rappelle ce qu'est au fond Watchmen : une farce macabre, une sorte de Dr Folamour pop et décadent. Et, à l'instar du chef d'œuvre de Moore et Gibbons, le film de Snyder demande à être revisité encore et encore pour en saisir toute la richesse.

 

Photo Matthew Goode"Elle est où mon attaque alien ?"

 

Cette superbe adaptation de Snyder aura été l'occasion de faire découvrir cette uchronie incomparable et ces héros écartelés entre leur monstruosité et leur humanité à un plus large public. Le réalisateur - qui tentera de retrouver cette force narrative et graphique dans son adaptation de l'univers DC - aura réussi à se maintenir en selle et faire de l'inadaptable par excellence un très bon film, une œuvre culte en puissance. On n'en demandait pas tant. 

 

Affiche IMAX, Watchmen

Résumé

Zack Snyder a réussi à faire de l'inadaptable par excellence un très bon film, et une œuvre culte en puissance.

Autre avis Geoffrey Crété
L'un des meilleurs films de super-héros. D'une beauté époustouflante, d'une force émotionnelle saisissante, d'une richesse étonnante, cette adaptation est une grande réussite, qui résonne encore des années après.
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Lecteurs

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commentaires
Cosma
08/06/2022 à 02:57

qu'elle tuerie ce film, presque digne de l'œuvre original et ces déjà énorme. peut de chose me gène
premièrement le refus d'Alan Moore pour la naissance de cette adaptation et même si je pense que Snyder a parfaitement préserver le propos de son œuvres, j'ai par principe du mal d'aller a l'encontre d de l'envie l'auteur créateur..
deuxièmes et ces asser étrange mais la magnifique rétrospective de l'histoire uchronique qui commence le film a pour seul défaut d'amenuiser le monologue de rorschach alors qu'il vas inspecter la demeura du comédien
troisièmes la tragédie du psychiatre qui analyse rorchash et trop mit de coter... mais on ne peut pas en vouloirs a Snyder comme le dit l'article, il n'avait juste pas le temps de traiter ça dans un seul film.
enfin ce film et un des deux chef d'œuvre de Snyder (avec 300) et je suis toujours aussi estomaqué par le message et la symbolique presque antithétique des deux œuvre.
ces peut être ça l'incongruité de Snyder les deux sommet de son art ne son en fin de compte que les marqueurs d'un génie de l'adaptation d'œuvre plus grand que lui.
et en fin de compte cela me rend asser triste pour lui qui n'en devient qu'un maitre passeur.
( je précise que si j'ai un coups de cœurs esthétique avec trois cents je déteste le message qui a mit Miller, même si cela n'enlevé en rien son génie)

Flash
07/06/2022 à 19:22

Le meilleur film de super héros ?
Je ne sais pas, mais l’un des tous meilleurs c’est certain et la version longue est à voir absolument.

DjFab
07/06/2022 à 14:03

Pas aimé malheureusement.

John Spartan
07/06/2022 à 08:14

Simplement le meilleur film de Super Héros

BruceWayne
07/06/2022 à 05:07

Je me rappelle avoir emmené ma bande de potes à l’époque, absolument pas convaincu par mon choix. Nous sommes toujours ressortis soufflés par une merveille d’adaptation. Un grand film.

Hdeuzo
06/06/2022 à 23:03

Je l'ai vraiment adoré ce film. Et j'avais la chance d'avoir un ami au Canada à l'époque qui m'a ramené le bluray de la version ultimate qui rajoute environ 1h de film avec l'histoire du pirate en mode dessin animé. Vraiment très bon.

Andarioch1
06/06/2022 à 21:36

"Le Ridley Scott de ce début de siècle"
Ahah!!!
Pardon...

Le film qui prouve que le seul moyen de servir l'oeuvre de Moore est de faire appel au travail servile d'un excellent technicien sans personnalité trop marquée.
Chef d'oeuvre

Chonrei
06/06/2022 à 21:01

The Boys est l'enfant de Watchmen. L'humour en plus, le tragique en moins.

Flo
28/02/2020 à 10:21

Ce qui aurait pu être une Date importante dans l’histoire des adaptations ciné de comics… et le public l’a raté. Merci à la Warner de l’avoir sorti en Mars (à cause de la destination de Docteur Manhattan ?).
Que tous ceux qui veulent voir l' »Oméga » des justiciers se précipitent dessus et prennent le temps d’y apprécier une enquête policière tortueuse et iconique à la fois.
Surstylisé, mais assez justifié. Plutôt une transposition sans trop de personnalité, à part un changement dans le caractère de l'Oeuvre dans sa dernière partie, qui la rend un petit peu moins "ringarde" (ce sont les années 80).
Beau, et désespéré à la fois.
????

-Conseil cinéma pour mieux apprécier ce film: "Taxi Driver", "Apocalypse Now", "Abattoir 5", "2001 l’Odyssée de l’Espace".
-conseil comic: l’album "Watchmen" et tout les comics de Alan Moore sur les super héros.

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