The Dark Knight : critique Joker

Mathieu Jaborska | 20 mars 2023 - MAJ : 21/03/2023 09:31
Mathieu Jaborska | 20 mars 2023 - MAJ : 21/03/2023 09:31

Rarement une oeuvre de pop culture aura été aussi célébrée que The Dark Knight, désormais devenue une référence partagée par une grande partie des amateurs de cinéma occidental. Après les deux consécrations Batman Begins et Le PrestigeChristopher Nolan a atteint la stratosphère de la popularité grâce au Chevalier Noir, et surtout au Joker, rapidement devenu une icône, pour le meilleur et pour le pire. Évidemment, la disparition tragique du jeune comédien Heath Ledger a contribué à faire de sa performance une référence moderne et du film un carton d'estime. Mais il serait malvenu de résumer le long-métrage à sa présence, tant il regorge de qualités.

BATMAN RISES

Avant la saga de Nolan, le gros morceau contemporain en matière de super-héros était sans conteste les deux premiers Spider-Man de Sam Raimi. Ces démonstrations visuelles sans précédent ont également marqué au fer rouge et noir la pop culture, en remettant au goût du jour une passion américaine pour les univers de comic-books. Si le premier volet est apprécié, le véritable chef-d’œuvre de la trilogie est clairement le deuxième opus, conçu avec plus d'argent et plus de liberté grâce au succès de son prédécesseur.

Un statut dont jouit probablement également beaucoup The Dark Knight. Batman Begins avait un budget de 150 millions de dollars, sa suite a obtenu 185 millions et une carte blanche relative théoriquement confiée au cinéaste. Mais étrangement, sa liberté se traduit autrement que chez Raimi, voire d'une façon totalement opposée. Alors que l’auteur de Darkman avait tout misé sur une surenchère super-héroïque vertigineuse, David S. Goyer et les frères Nolan achèvent d’enlever Bruce Wayne à son univers dessiné pour plonger dans des environnements consciemment réalistes.

Déjà que leur Batman tenait à l’origine plus du Charles Bronson d’Un justicier dans la ville que du modèle de vertu à la Schumacher, influence de Frank Miller oblige, il devient ici carrément un pur vigilante, avec tout ce que ça implique de réflexions politiques.

 

PhotoOui, je suis vigilant, et alors ?

 

Nolan franchit la limite définitivement lorsqu’il envoie son personnage en dehors des murs de Gotham, à Hong Kong en l’occurrence, pour une extradition musclée. Si Batman Begins se détournait déjà régulièrement du genre super-héroïque pour s’y rattraper in extremis dans son dernier acte, sa suite verse sans mesure dans le thriller urbain, nettoyant au passage les rues de la ville de la moindre forme d’innocence.

Adoubé par la production, Nolan ne se laisse aller à aucune concession, si ce n'est la présence obligatoire de séquences de baston, indispensables dans une aventure de l’homme chauve-souris. Le metteur en scène, fier de se passer de seconde équipe sur un projet de cette ampleur, rechigne à l’exercice, et ça se voit. Les quelques vraies empoignades de The Dark Knight, molles, mal gérées et même parfois illisibles, ennuient profondément. Ce n’est clairement pas ce qui l'intéresse, lui qui noie d’ailleurs souvent ces séquences dans un éclair de génie conceptuel (le climax), un montage alterné (toujours le climax) ou un déluge d’effets spéciaux pratiques ultras spectaculaires.

Là-dessus, rien à redire : le film parvient parfaitement à concilier son esthétique pseudo-réaliste et ses effets, pour un résultat pas avare en scènes marquantes, à l’instar de la fameuse poursuite coupant le récit en deux, bien plus mémorable pour son retournement de camion et sa destruction d’hélicoptère que pour l’affrontement en lui-même. L’initiateur de la future maestria esthétique Interstellar sait décidément s’entourer. De quoi faire passer un thriller qui lorgne presque sur le polar noir pour un blockbuster capable d’attirer les foules en salles, une qualité qui s’est depuis imposée comme sa marque de fabrique.

 

photo, Christian BaleDe la Bale, ce costume

 

THE KILLING JOKE

Pour le reste, la narration générale tourne évidemment, du moins dans une première partie, bien plus autour du Joker que de Bruce Wayne. Le clown et son maquillage si efficace qu’il se fond dans son identité sont les véritables stars du film. Inutile d’épiloguer sur la performance d’Heath Ledger, sorti de ses amourettes cinématographiques par le metteur en scène au grand désarroi des fans, puis porté aux nues avant et après sa mort pour des raisons évidentes. Habité, il fait honneur au personnage écrit pour lui, motivant perpétuellement les grandes lignes du récit dans un jeu de chat et de la souris jouissif.

Ce n’est pas un hasard si ce personnage a permis à lui seul de sacrer Nolan, tant il est représentatif de la façon dont le réalisateur traite ses univers. Les deux carburent au concept et toute l’action de The Dark Knight consiste justement à se perdre dans les dispositifs concoctés avec une intelligence parfois complètement surréaliste par le Joker. Les deux se plaisent à manipuler Batman et le public par la même occasion, sans trop se préoccuper de la castagne ou des évènements concrets qui pourraient en découler.

Le réalisateur n’est pas beaucoup moins sadique que son antagoniste quand il accompagne ses exactions de dilemmes moraux profonds, en liant par exemple par radio les deux amants sur le point de se faire exploser la tronche. Un pur procédé de cinéma concocté avec malice par le méchant de l'histoire, avec la complicité du Joker…

 

photoDark Knight Sasuke

 

De là découle le rythme du récit, inspiré par Heat, qualité pour beaucoup, défaut pour d’autres. Difficile de blâmer ces derniers : l'intrigue se déballe par à-coups, volant de piège alambiqué en piège alambiqué, dans une confrontation bien plus psychologique que physique. C’est tout l’enjeu de l'ouverture très maitrisée, mettant en scène un braquage sous forme de jeu de dupes express, avec un humour noir évident et infusant déjà les péripéties à venir.

En se faisant catalyseur du système cinématographique Nolan, le Joker lui permet également de s’attaquer frontalement aux thématiques qu’il avait déjà insérées un peu plus maladroitement dans le premier opus. Curieux paradoxe : malgré son refus de faire de Batman un super-héros, il s’attèle avant tout à évoquer ce qu’est, en définitive, l’héroïsme. Une idée bien sûr cristallisée par cette réplique désormais culte : « soit on meurt en héros, soit on vit assez longtemps pour se voir endosser la peau du méchant », préparation au paiement épique et réponse désespérée aux crimes du Joker.

 

photo, Heath LedgerLa célèbre scène de la battle de danse

 

Car le but du clown maléfique est justement de se caractériser tout seul comme super-méchant, et donc de faire de son ennemi un héros dépossédé de ses moyens, un affrontement perpétuel selon lui, mais également extrêmement meurtrier, la faute à la diégèse réaliste. Un détail précise la façon dont il conçoit l’anarchie  : pour barrer la route au convoi, il brule un camion de pompier, une attention visuelle absurde qui n’a d’autre objectif que d’en faire un bad guy auto-proclamé. Encore une fois, il fait du cinéma.

De fait, qu’on apprécie ou pas la musique controversée d’Hans Zimmer et James Newton Howard, force est de constater qu’elle entre parfaitement en résonnance avec ce duel permanent. Les thèmes musicaux des deux ennemis ont beau s’inviter très différemment dans le film (un crescendo tendu dans un cas, un son brutal dans l’autre), ils se répondent presque parfaitement, les exilant dans leur face à face alors que Gotham souffre autour d’eux.

 

Photo Heath LedgerL'icône des trentenaires rebelles sur Facebook

 

JUSTICE FOR ALL

Qu’est-ce qui fait de Batman un héros ? La dernière partie du long-métrage entend bien répondre à cette question grâce à la naissance du personnage de Double-Face, incarné avec rigueur par un Aaron Eckhart taillé pour le rôle et des maquillages numériques clairement en avance sur leur temps. Loin d’être défini par son gimmick, le fameux lancer de pièce, un peu au service du scénario, il est caractérisé par son passé de « chevalier blanc », comme les personnages le qualifient eux-mêmes.

Alors que le Joker voudrait en faire le symbole de la justice corrompue par l’anarchie, voyant dans sa vengeance tout sauf impartiale une façon de tourner en dérision le système, Batman finit par le transformer en martyr, quitte à prendre sur lui la colère du peuple qu’il a pourtant contribué à sauver. Ce final, inhabituellement sombre pour une superproduction de ce calibre, a fortement contribué au succès du film, à raison.

Cliffhanger redoutable (Batman reviendra en odeur de sainteté dans la suite), c’est aussi une conclusion parfaite aux questionnements établis précédemment, traitantvia l’agitateur anarchiste, du rôle de la justice et de sa portée symbolique.

 

photo, Maggie GyllenhaalHarvey a une Dent contre le Joker

 

Plus qu’une figure antagoniste marquante, le Joker sert surtout d’outil pour bouleverser tout ce petit monde, semer, comme il le dit lui-même dans son monologue manifeste de l’hôpital, le chaos, histoire de faire de Batman un anti-héros au sens moderne, c’est-à-dire celui qui sera capable de bafouer quelques règles morales, et encaisser. La séquence du sonar de la fin, anticipant si bien le scandale de la NSA qui éclatera cinq ans après la sortie que ça en devient troublant, est un point de rupture total dans la saga, d’autant plus qu’il rejoint l’épisode des bateaux, l’occasion pour Nolan d’esquiver avec l’agilité d’une Catwoman les accusations de misanthropie.

The Dark Knight n’est pas là pour commenter l’organisation sociale et la moralité de ceux qui y participent. Il est là pour analyser la place des héros qu’il met en scène. Le positionnement n’est encore une fois pas sans rappeler les essais de Frank Miller, qui utilisait le manque de pouvoirs du justicier pour interroger sur sa légitimité, dès lors qu’il s’aventure hors d’un univers purement hérité du comic-book.

Dans un coup de maître, le cinéaste parvient dans ce dernier tiers à justifier le titre de son œuvre, première aventure du personnage non intitulée « Batman » au cinéma, et par la même à donner un sens précis à ce surnom installé depuis des décennies dans la franchise. Une vraie profondeur auto-réflexive qu’on retrouvait justement très légèrement dans Spider-Man 2. Comme quoi, les deux films ont plus en commun qu’on pourrait penser.

 

Affiche officielle

Résumé

L'introduction du Joker permet surtout à Nolan d'ancrer encore un peu plus son héros dans un univers de thriller, quitte à éviter par tous les moyens possibles de filmer l'action. Le clown anarchiste chamboule le monde du justicier pour aboutir à une remise en question particulièrement sombre et techniquement impressionnante de son statut de héros. Un chef-d'oeuvre ? Sans doute pas. Une pierre angulaire de la pop culture ? Absolument.

Autre avis Alexandre Janowiak
Exploration passionnante de la fine frontière entre le Bien et le Mal, The Dark Knight est une véritable tragédie sombre et palpitante, ambiguë et dérangeante, reposant avant tout sur l'étude psychologique de ses personnages.
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Lecteurs

(4.5)

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commentaires
trac
22/03/2023 à 05:55

ultra surcoté , Nolan ne sait pas filmer une scène d'action il est surtout sauvé par la musique de Hans zimmer qui donne une impression d'épique alors que ce qu'ont regarde est très moyen visuellement ... Toujours eu l'impression de regarder le résumé d'un film plutôt qu'un film et ça vaut pour tout les bat-nolans mais je pense que c'est surtout à cause de son montage et surtout son incapacité à faire qu'ont ai de la compassion pour bruce wayne même quand sa nana meurt .beaucoup le vois comme le chef d'oeuvre ultime moi c'est comme un film correct peu impressionant visuellement et finalement peu interessant à part son joker qui est bien interpreté .

Dutch
21/03/2023 à 15:09

Définitivement un es meilleurs films de tout les temps...enfin bon en tant que fan de Nolan assumé :) Le Joker vole la vedette à Batman, le tour de force le montrer en infirmière, démaquillé en policier, les fans de Batfleck ne manquent jamais de le descendre à cause du manque de baston spectaculaire.

Redwan78
21/03/2023 à 09:36

Ce film je l'ai vu tellement de fois,je connais les scènes par cœur. Dans ce film,tout est juste et bien rythmé. Un Joker qui est juste l'autre face de Batman. Ce film a vraiment en lumière le meilleur ennemi du Batman. Ledger a bien analysé le personnage comme les scénaristes. Ce que n'a pas compris Jared Leto avec son interprétation en mode gangster.
C'est un pur chef d'oeuvre.

Flo
15/03/2022 à 12:02

- « Tu sais, la folie c’est comme la gravité… il ne suffit que d’une petite poussée et… HI HI HA HA HA HA HE HE HE HE !!!! »

Film qui commence comme du Michael Mann et finit comme dans "Seven" (1 milliard de dollars plus tard, c’est encore plus incroyable) , impression d’avoir une mini-série en 3-4 épisodes (ou 7 de 20 minutes), bourrés d’autant de twist que dans 'Prison Break" à sa meilleur époque.
Batman versus Joker dans une partie d’échec endiablée, avec plus de mat du coté du Dark Knight. Rires neveux devant la salopardise monstrueuse et dérangeante du clown, mieux vaut ça que des bravos. Heath Ledger au firmament comme prévue.
Premier film de « super-héros » à finir mal, bien que rien ne sois totalement joué au dernier plan. Mais beaucoup vont alors commencer à se demander s’il n’y a pas un peu de roublardise derrière la façon de faire du gars Nolan. Vu que le cinéma est avant tout l’art du mensonge et de la manipulation (le fait de jouer, donc) et que ses thèmes filmiques de prédilection repose sur ça justement, pourquoi en faire un fromage ?
Ou plutôt, pour paraphraser l’homme au « crayon magique » :
« Pourquoi cet air si sérieux ? » :-)

- « Mourir en héros, ou vivre assez longtemps pour devenir le méchant. »

Slater-IV
09/03/2022 à 23:06

@MoiLeVrai

Oui parfaitement, je suis vieux, dsl pour la boulette
Même si j'apprécie également TDKR, le second opus de Nolan reste selon moi l'aboutissement du taf de Nolan sur le sujet.

Je parlais bien de TDK

flow 45
08/03/2022 à 17:39

magistral !!! je suis un Marvel addict le Dark knight est un chef d'oeuvre , pour moi il n'y a que Infinity war en terme d'intensité qui lui arrive a la cheville !

sylvinception
08/03/2022 à 13:43

Qu'est-ce que ça vieillit mal, bordel... impossible d'aller au bout hier soir.

corleone
08/03/2022 à 01:11

Chef d'oeuvre assurément. Mais j'ai toujours trouvé que la trilogie Nolan manque beaucoup du Batman, malgré la genèse batman begins, mais on a l'impression que les 2 suites ne parlent plus vraiment de Bruce Wayne, mais met en avant les méchants. J'ai tendance à penser que c'est sans doute ce que Matt Reeves a voulu corriger dans son essai étant aussi clair que possible dans le titre THE BATMAN. Batman est vraiment le personnage principal et ne se laisse pas voler la vedette par qui que ce soit car les méchants qui existent dans ce film n'existent que par lui et pour lui. Tout ce que les fans espéraient, enfin un film sur le chevalier noir qui parle du chevalier noir, paradoxalement même sans Origin Story. Respects.

MoiLeVrai
07/03/2022 à 23:50

@Slater-IV tu veux dire TDK, pas TDKR (qui est très loin d’être aussi bien pour le coup) ?

Slater-IV
07/03/2022 à 21:57

TDKR, un film que je connais par cœur et dont j'étais aller le voir à deux reprises à sa sortie (chose que j'ai refait par la suite pour Avatar pour des raisons différentes).

Un rythme incroyable, une symbiose totale du fond et de la forme. La synthèse de ce qui fait la force de Nolan, avec l'étincelle Ledger qui vient sublimer l'ensemble. Si effectivement, quelques incohérences, maladresse, et lourdeurs pointent parfois le bout de leur nez à l'écran (je pense notamment, à cette scène d'évasion du Joker, qui, bien que jouissive, me paraît hautement expédiée.. ou encore la scène du "why si serious" censurée...), elles sont aussitôt balayées d'un revers de main par l'accumulation de scènes dantesques (la scène de poursuite centrale), jouissives (les scènes associées au joker), et mémorables (la mort de Rachelle, le plan final inoubliable).

Si j'avais nuancé quelque peu cet avis il y'a quelques temps, le faire d'avoir été voir The Batman ce weekend m'a fait aussitôt comprendre l'importance de TDKR dans le paysage cinématographique de ses dernières années.

Un bijou de divertissement, ni plus, ni moins.

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