Critique : Narco

Patrick Antona | 30 novembre 2004
Patrick Antona | 30 novembre 2004

Deux metteurs en scène, un premier long métrage par des nouveaux venus issus du monde du clip et de la publicité, une comédie louchant vers le fantastique avec moults effets spéciaux, un casting de vedettes avec Benoît Poelvoorde..., cela ne vous dit rien ? Eh bien non, ce n'est pas une ressortie de Atomik circus, mais Narco, ultime tentative de renouvellement de la comédie française, tentant de concilier le ton grinçant de la comédie sociale bien de chez nous avec une esthétique issue du comic book et du cinéma d'outre-Atlantique. Tentative qui n'est pas loin d'être réussie…

En reprenant le thème archi rebattu du personnage malheureux et frustré qui se phantasme en super héros invincible et impitoyable (La Vie secrète de Walter Mitty, Le Magnifique, pour les exemples les plus célèbres), Tristan Aurouet et Gilles Lelouche, d'après un scénario original d'Alain Attal et Philippe Lefebvre, nous content les mésaventures comiques de Gustave Klopp, dit Gus (interprété par Guillaume Canet), sujet à la narcolepsie, le tout situé dans une banlieue type à la géographie imprécise, et entouré de proches aux caractères bien trempés et attachants. Et c'est sûrement là que se trouve la véritable qualité du film.
Car plutôt que de trop se focaliser sur les déboires physiologiques de Gus (les hilarantes séquences avortées de discothèque et de drague, rythmées par l'évolution de la musique à travers les années) ou sur ses aventures rêvées (clins d'œil au cinéma de guerre américain, au space-opéra à la Star wars, ou aux polars violents à la sauce hong-kongaise tournés avec force et moyens), c'est surtout sur les relations intimes qui lient les personnages, de la simple camaraderie ou des liens du mariage jusqu'à l'exploitation bassement mercantile et la trahison, que se nouent les différentes péripéties du scénario. Épaulé en cela par un casting ingénieux qui va de Jean-Pierre Cassel en père branleur et un peu allumé (il s'imagine être Fred Astaire) à Zabou Breitman, très bonne prestation en ex-pin-up de banlieue et femme mariée déçue aspirant à une vie meilleure, en passant par François Berléand (inséparable de Guillaume Canet depuis Mon idole en 2002) en impresario ignare et veule (voir la scène où il congédie l'écrivain Yann Queffélec), ainsi que Guillaume Gallienne en psychologue manipulateur, et l'incongru tandem Léa Drucker / Gilles Lelouche (coréalisateur du film) en couple de patineurs blonds reconvertis en tueurs à gage psychotiques (un clien d'œil au Village des damnés).

Tout ce petit monde a beau être parfait, c'est une nouvelle fois Benoît Poelvoorde qui remporte la mise avec son interprétation de Lenny Bar. Ce dernier, ami de beuverie de Gus et accessoirement très mauvais professeur de karaté ne jurant que par Jean-Claude Van Damme (au point que celui-ci deviendra sa conscience !!!), nous vaut un des meilleurs portraits de looser magnifique que le cinéma français nous ait donné de voir ces dernières années. Des scènes mémorables de karaté dignes de Peter Sellers, à celles plus attachantes où il compose avec une Zabou Breitman un couple adultérin mal assorti, Benoît Poelvoorde, en second rôle, vole la vedette à un Guilaume Canet il est vrai un peu inconsistant, son personnage étant dans le coma pendant près d'un tiers du métrage... D'ailleurs, l'histoire, paradoxalement, perd de son souffle lors du réveil de Guillaume Canet, car même si les auteurs du film évitent le poncif de la revanche de l'outsider en préférant celle de la rédemption plus apaisée, ils n'ont pas réussi à utiliser à fond l'idée de sublimation du destin via la bande dessinée et son commerce.

Mais c'est un petit regret, et il faut aussi concéder que, pour une fois, une comédie française n'a pas lésiné sur les moyens et l'ambition pour accrocher le spectacteur au niveau visuel. De la direction artistique à la photographie chaude et soignée de Tetsuo Nagata et aux effets spéciaux honnêtes, on sent que tout a été fait pour offrir un environnement graphique cohérent et une facture à Narco, à la différence du visuel un peu foutoir du film des frères Poiraud, et à mille lieues des comédies de « djeune » à l'esthétique purement télé.
À l'instar d'Atomik circus et de Podium, Narco fait partie du trio des films de l'année 2004 qui essaient de sortir du carcan de la comédie française trop classique et compassée, et il y réussit avec un certain brio en proposant une mutation maîtrisée vers un style plus à l'américaine, mais sans se défausser vis-à-vis de son public. Sans oublier que, dans les trois films précités, il y a un Benoît Poelvoorde impérial. Il n'y a pas de hasard. Un césar pour le Belge fou serait amplement mérité.

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