Critique : 36, quai des Orfèvres

Stéphane Argentin | 16 novembre 2004
Stéphane Argentin | 16 novembre 2004

Après un premier film réussi, Gangsters, Olivier Marchal nous replonge dans l'univers des flics qu'il connaît parfaitement. Nettement plus ambitieux que son précédent long-métrage, 36, quai des orfèvres divise la rédaction à tel point qu'il nous paraît logique d'en proposer deux avis : un très enthousiaste signé Stéphane Argentin (36, le Heat français !), et l'autre nettement plus modéré de Julien Welter (36, l'anti-Mann !).

Après s'être fait la main avec un premier petit film sobrement intitulé Gangsters et tout aussi sobrement réussi, l'ex-flic reconverti cinéaste Olivier Marchal passe du petit commissariat de quartier au QG de la police criminelle française, situé 36, quai des Orfèvres.

Dès l'ouverture, le réalisateur-scénariste nous plonge au cœur de l'histoire en nous dévoilant dans un long travelling avant un Daniel Auteuil en pleurs, recroquevillé sur lui-même au fond de sa cellule, brisé par le poids d'un passé devenu de toute évidence trop lourd à supporter. Puis, place à une soirée festive et arrosée entre flics à l'occasion d'une mutation. Quelques minutes plus tard, c'est au tour d'une mise en scène plus nerveuse mais toujours aussi millimétrée, associée à un montage lui aussi plus sec, de prendre le relais pour une attaque de fourgon à la mitrailleuse lourde aussi agressive que celle des excellents Convoyeur, Nid de guêpes ou encore Heat. Pour son second long métrage aux ambitions (et aux moyens) revus à la hausse, Olivier Marchal ne dissipe pas pour autant son énergie dans du superflu (chaque angle et mouvement de caméra du film serviront toujours un dessein bien précis), et affiche très clairement ses deux credo en seulement trois scènes et à peine un quart d'heure de pellicule : 36, quai des Orfèvres va causer flics, mais avant tout des hommes (et des femmes) usés, brisés, mais néanmoins soudés et dévoués sous les uniformes et derrière les insignes.

Cet univers poulaga, Marchal le connaît suffisamment, pour ne pas dire sur le bout des doigts, pour l'avoir côtoyé pendant des années. Et c'est d'ailleurs très précisément dans ce milieu qu'il a été puiser l'inspiration du script, en reprenant l'une des plus célèbres affaires du grand banditisme français remontant aux années quatre-vingt : le gang des postiches. Un dossier aux ramifications complexes et de toute évidence cher à Olivier Marchal le flic, et qu'Olivier Marchal le cinéaste exhume littéralement d'outre-tombe pour mieux régler ses comptes avec une hiérarchie « coincée du cul », et où les différents services perdent le plus clair de leur temps à se tirer mutuellement dans les pattes au lieu de pouvoir faire correctement leur boulot.

C'est dans ce climat peu orthodoxe qu'Olivier Marchal choisit d'installer un par un tous ses personnages autour du grand mano à mano au cœur de l'histoire. D'un côté, Léo Vrinks (Daniel Auteuil), patron de la BRI (brigade de recherche et d'intervention) aux méthodes usées mais pas pour autant dépassées, et de l'autre, Denis Klein (Gérard Depardieu), patron de la BRB (brigade de répression du banditisme) prêt à marcher sur toutes les têtes dans le seul but d'accéder aux plus hautes sphères de la hiérarchie et devenir ainsi, enfin, le grand flic qu'il a toujours rêvé d'être. Un affrontement deux heures durant qui aura lieu tantôt à distance, tantôt au corps à corps.

À distance, lorsque le réalisateur choisit de se pencher avec soin sur les personnages secondaires et notamment les femmes respectives des deux flics (formidables Valeria Golino et Anne Consigny) qui, tout en soutenant leur mari, absorbent également une grande partie de leurs démons. Au corps à corps, lorsque les deux policiers se retrouvent face à face et échangent des mots aussi secs que savoureux et chargés d'amertume, dans la lignée d'Audiard (Gangsters offrait déjà de superbes dialogues, certes plus crus, mais néanmoins dignes du Garde à vue, de Claude Miller). Dans un cas comme dans l'autre, Olivier Marchal tisse lentement mais sûrement sa toile autour de tous ces personnages filmés avec une précision du cadre parfaitement maîtrisée, et où les gros plans cèdent la place à des ouvertures d'angle plus large lorsque les images se suffisent à elles seules, et où le réalisateur choisit de placer les protagonistes hors de portée des dialogues, laissant alors le soin au spectateur de combler les blancs.

Cette formidable maîtrise du sujet et de sa transposition à l'écran offre également à Olivier Marchal deux autres opportunités. Tout d'abord, parler d'un métier qu'il connaît bien et d'une affaire en particulier qui lui est chère et qui a laissé des traces. Car, à force d'être continuellement dos à dos (au sens propre comme au sens figuré), tous ces flics vont finir par plier sous le poids de cette guerre des services. Certains rentreront dans le rang tandis que d'autres, refusant de marcher dans la combine, finiront dans un petit commissariat de banlieue ou encore videur dans une boîte de nuit. Dans la catégorie « lavons notre linge sale en famille », il est d'ailleurs assez amusant de constater que le réalisateur s'est attribué le rôle du gangster (une envie de passer de l'autre côté de la barrière le temps d'un film, un clin d'œil à son premier long métrage… ?), tandis qu'il a octroyé le rôle de la flic incorruptible à sa propre épouse, Catherine Marchal (une transposition indirecte à l'écran de l'ex-flic intègre qu'il était lui-même ?).

La seconde opportunité, pleinement confessée par Olivier Marchal lui-même, est de s'offrir (et nous offrir par la même occasion) son Heat à la française. Le braquage du fourgon en ouverture, à grand coup de C4 pour faire sauter la porte arrière, n'était donc pas une simple coïncidence mais bien une séquence en hommage au chef-d'œuvre de Michael Mann. Et si les analogies ne s'arrêtent pas là, bien loin de Marchal l'envie de n'offrir d'un simple pompage de « l'un des ses films de chevet » (dixit le cinéaste). Outre le mano à mano entre les deux grands flics (contre un flic et un voleur dans Heat) et les nombreux personnages (y compris secondaires) particulièrement soignés, la mise en scène d'Oliver Marchal marche sur les traces de celle de Michael Mann.

Ainsi les nombreux champs / contrechamps lors des scènes de dialogues cèdent-ils la place à des focales plus écrasantes lors des planques en voitures, ou encore à des tirs croisés nourris avec impacts de balles en gros plans sur les carlingues, lorsque la bande de braqueurs se retrouve prise en sandwich entre deux unités de police. Un affrontement armé qui se terminera par une balle en pleine tête au ralenti. Un effet un peu plus appuyé (trop ?) en comparaison de Heat, pour un long métrage qui souffre également d'une autre insistance un peu trop marquée : sa musique. Si, dans le film de Mann, la formidable partition d'Elliot Goldenthal savait se faire entendre avec légèreté sans en rajouter des tonnes, celle d'Erwann Kermorvant dans 36, quai des Orfèvres est incroyablement chargée en basses fréquences et a trop souvent tendance à prendre le pas sur le reste de la bande-son. Aura-t-on droit à un mixage plus harmonieux pour la sortie DVD ? Espérons-le, car il s'agit bien là d'un des rares reproches imputables au film. Et pourquoi pas une version légèrement rallongée, afin d'étoffer un peu plus la chronologie trop tassée des dernières scènes ?

Ces menues réserves mises à part, 36, quai des Orfèvres est un polar made in France comme on n'en avait pas vu depuis des années. Un polar à la fois bien noir et tendu dans son climat et son traitement visuel, et profondément humain dans son approche des personnages. Et si Olivier Marchal n'atteint pas encore le niveau de ses illustres modèles que sont les Michael Mann et autres Jean-Pierre Melville, il est sur la bonne voie.

Stéphane Argentin.

Arlésienne du cinéma français, le film policier hexagonal annonce constamment son retour depuis la disparition de Jean-Pierre Melville. Décrédibilisé par des adaptations baguette-képi de concepts hamburger-casquette, le genre affiche pourtant sans cesse, au mieux une arythmie pour Guillaume Nicloux (Une affaire privée) et Nicolas Boukhrief (Le Convoyeur), au pire un tracé plat à la vue de Six-pack.

En tant qu'ancien policier, scénariste de nombreuses séries et amateur de Michael Mann, Olivier Marchal sait de quoi il parle, en a l'habitude et porte de saines références qui auguraient, je vous le donne en mille, un grand polar à la française. Depardieu et Auteuil sortant du placard de la comédie pour des duels de regards (noirs) ; des manteaux en cuirs (noirs) volant au vent et découvrant des pistolets chromés (mais également noirs) ; moults tractations nocturnes pour court-circuiter une hiérarchie pourrie par l'ambition. L'histoire regroupait donc un ensemble impressionnant d'ingrédients explosifs.

Mais, coincé dans un triangle d'influences contradictoires, à savoir son vécu, le commissaire Moulin (pour symboliser l'ensemble des influences télévisuelles) et Michael Mann, le réalisateur de Gangsters tiraille son long métrage dans des directions trop différentes pour ne pas donner à l'ensemble l'aspect d'une palette d'influences non digérées. À l'image de cette longue ouverture où des policiers fêtent la mutation de l'un d'eux (moments vécus), à la scène où un fourgon est braqué par un gang paramilitaire (moment Mann) et qui se conclut sur une lourde discussion sur les lieux du crime (moment Moulin), l'émouvant, le bon et le ringard se côtoient à quelques minutes d'intervalle. Durant près d'une très longue heure cinquante, Olivier Marchal usera les nerfs de n'importe quel amateur à changer constamment de régime sans trouver celui qui lui est propre : révélations sur l'exécutif et réalisme (vécus), Daniel Auteuil et le drame (Mann), Gérard Depardieu et le drame sentimental (Moulin), photographie léchée (Mann), musique sirupeuse (« Mouldeux »), etc.

Enfin, puisque Heat ouvre le bal des clins d'œil et parce que le réalisateur de Collateral est une référence avec son opéra policier, un écart frappant se dessine dans ces deux approches apparemment similaires du polar. Si l'atmosphère ample et le jeu sombre les font se ressembler, ces deux œuvres n'agitent pas les mêmes thèmes. Chez l'un, la réalité vécue tient à cœur, chez l'autre, c'est la symbolisation des rapports humains. Dès lors, chez l'un, le style est pur effet, alors que chez l'autre, il permet de dépasser la réalité pour basculer dans l'allégorie. Les amateurs de Michael Mann sont donc prévenus.

Julien Welter.

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