Festival de cinémas et cultures d'Amérique latine de Biarritz 2008

La Rédaction | 8 octobre 2008
La Rédaction | 8 octobre 2008

Octobre 2008, plage de Biarritz, devant la maussaderie du temps de ce début d'automne, les rêves adolescents de rejouer les scènes de Point Break ou John from Cincinnati dans les vagues du Pays Basques s'envolent très vite en ce festival de Biarritz. Raison de plus pour se réfugier dans les trois salles de projection mises à disposition par la ville pour découvrir le nouveau crû venu tout droit du continent latino-américain. O joie, point de grosses déconvenues tant le niveau artistique de cette année a réussi à trouver - grâce notamment à la nomination de Jean-Christophe Berjon en tant que nouveau programmateur de la sélection officielle - un bel équilibre entre visions artistiques novatrices et ancrage dans le populaire.

 

Peu habitué aux foudres de la pipolisation et à la couverture médiatique écrasante, le Festival de cultures et de cinémas d'Amérique latine de Biarritz est parvenu de surcroit à développer une contre-mesure des plus séduisantes, consistant à briser toute frontière protocolaire entre festivaliers et artistes. Pendant trois jours, Biarritz devient cette microbulle chère aux cinéphiles (comme la salle de cinéma) où l'interface avec les créateurs devient envisageable voire totalement possible après quelques tintements de verres à mojito.

 

 

 


 

 

 

Mosaïque

 

Et le cinéma dans tout ça ? Il paraît difficile d'établir un constat général concernant une éventuelle identité sur un continent entier. Il devient même impossible concernant l'Amérique latine, tant la diversité des cultures, des influences extérieures, des religions (catholiques, juives...) empêchent toute globalisation identitaire et touche ainsi le cinéma, véritable miroir culturel.

 

La plus belle démonstration de cet aspect mosaïqué nous fut donnée, hors-compétition, lors d'un ciné-concert épatant, où les programmateurs du festival eurent l'idée brillante d'exhumer un pan du cinéma primitif latino : Expedición Argentina Stoessel. Tourné entre 1928 et 1930, ce film argentin prit le parti d'enregistrer les diverses étapes des frères ingénieurs Stoessel lors de leur périple sur la Panamericana (route traversant le continent pour le relier aux Etats-Unis) à bord d'une Chevrolet brinquebalante et ce, jusqu'à New York. Outre l'humour à filmer les aventures rocambolesques de la voiture qui s'embourbe plus d'une fois dans les à-côtés d'une route quasi-vierge, la force de ce documentaire prouve bien encore aujourd'hui cette gageure à pouvoir relier (ici par la route qui devient symbole d'union) les différentes villes du continent et, par extension, unir les Nations et les cultures d'Amérique du Sud dans un même bloc. Et ce fut toute l'intelligence de Santiago Bhotsourian, compositeur et chef d'orchestre improvisé qui dirigeait l'orchestre jouant en direct la bande-son du film, d'adapter à chaque chapitre (les divers pays traversés par les Stoessel) un style musical différent (samba, bossa nova, salsa...), preuve encore de cette riche diversité.

 

 

 

 

 

Etat des lieux

 

Il convient tout d'abord de pleurer une injustice, même si amplement justifiée : El Asaltante de Pablo Fendrik, présenté à Cannes en 2007, ne faisait partie d'aucune compétition et ne figurait qu'en tant que simple avant-première (le film sort mercredi dans les salles). Pourtant, cet exercice de cinéma-vérité fut bien l'un des plus grands chocs esthétiques de cette semaine et la découverte d'un petit prodige descendant de Cassavetes et de Scorsese, tout simplement.

 

Présidé par Elsa Zylberstein, le jury de la compétition officielle de cette édition 2008 a réussi à ne pas tomber dans les ornières du cinéma pseudo-intellectuel qui peuvent parasiter une sélection. En effet, si on pense à ce même thème de croisements, de carrefours relatifs à l'identité latino, combien de films vont encore nous torturer de cette vision, héritée des exécrables Iñárritu et autres Babelophiles, de destin entrecroisés entre personnages, réduisant le monde à un simple système mortifère de causalité divine-bovine ?

 

 


 

 

Les prétendants, sans être nombreux, ont néanmoins répondu à l'appel : Cosas insignificantes d'Andrea Martinez, ou l'histoire chorale d'un quartier mexicain dont toutes les traces matérielles sont ramassées par une jeune fille. A chaque fois qu'une « chose insignifiante » se retrouve dans sa boîte à souvenir, la narration se sent obligé, par réflexe proustien, de revenir sur le destin du possesseur de l'objet. Comble du comble : la jeune fille ne cesse de souffrir de migraine, le poids du passé et de l'avenir commun de ces personnages pesant sur sa misérable petite caboche...

 

Autre déconfiture, Perro Come Perro, polar colombien de Carlos Moreno, cultive à lui seul tous les tics de l'école réaliste, initié par le mouvement La Cité de Dieu, croyant qu'à coups de caméras tremblées et couleurs vomi-tesson de bouteille, puisse mener une narration intéressante. Aussitôt digéré, aussitôt oublié, cette farce n'a qu'un seul intérêt : son impossibilité à savoir tenir un discours cohérent.

 

 

 

Si La Buena Vida souffre un peu des précédents maux mentionnés plus haut, la sincérité avec laquelle le chilien Andres Wood parvient à dégager l'atmosphère étouffante de la ville de Santiago et la justesse du jeu de ses acteurs (Aline Kupenheim en tête, récompensée justement par le jury) sauvent le film du marasme et lui accordent une réelle sympathie.

 

 

 


 

 

Récipiendaire de l'Abrazo du meilleur film, Dioses, du péruvien Josué Mendez, sans être la grande révélation du festival, s'impose néanmoins comme un beau calibrage entre vision d'Auteur et discours grand public. Déjà remarqué en 2004 pour Dias de Santiago, Mendez dresse un portrait acide de la société dorée de Lima, en incorporant la logique de telenovela (une sombre histoire d'inceste impossible entre un frère et une sœur, coucheries tous azimuts et insouciance friquée). Mais il parvient à transcender la narration habituellement dédiée aux séries en y apportant un véritable sens de la mise en scène et de l'élégance plastique.

 

Prix du jury, Estômago, du brésilien Marcos Jorge, exerce quant à lui une réelle fascination concernant son sujet : la (grande) bouffe. Sous ses airs de récits à tiroirs autour des déboires d'un cuisinier finissant en prison pour un motif obscur, le film s'envole, grâce à une image devenant elle-même organique au fil de la narration, vers des sommets de réflexion rabelaisienne sur ce que peut être une passion, sur l'épanouissement intellectuel, sur le pouvoir, ...

 

 


 

 

Reste à déplorer l'absence au palmarès de La Rabia, étourdissant conte macabre champêtre de l'argentine Albertina Carri. Si le film n'a pas rencontré son public (de timides applaudissements se firent entendre à l'issue de la projection), il s'offre néanmoins, par sa radicalité et son esthétique violente, comme un véritable manifeste contre la tiédeur consensuelle, menace qui plane souvent lors de ce genre de manifestations.

 

Si la plupart des courts-métrages ressemblaient à de vaines tentatives ratées de concepts pris pour eux-mêmes ou pseudo travail d'écoliers en fin de promo, une perle s'est néanmoins dégagée du bourbier : Ahendu Nde Sapukai (littéralement traduisible par "J'entends ton cri"), œuvre paraguayenne de Pablo Lamar qui prend le parti d'un plan séquence fixe pour filmer une cérémonie d'enterrement en pleine montagne à la tombée du jour. Les corps, réduits à de simples ombres chinoises, exécutent leur office (chants religieux, levée de cercueil) tels des automates, laissant l'homme veuf immobile, oisif, seul, terriblement humain. Magnifique.

 

Le panorama se termine avec une ronde documentaire. Ici encore, de nombreuses œuvres méritaient plus une diffusion sur 7 à 8 que sur les écrans de cinéma. Cependant, quelques réjouissances se sont offertes une fois de plus et ce, sur un plan politique, preuve de bonne santé pour le monde documentaire.

 

La plus belle fut Nación Mapuche de Fausta Quattrini, enquête sur les protestations d'une communauté indienne en Argentine pour conserver leur droit de pâturage face à l'Etat qui grignotent peu à peu leur terre pour des essais militaires. Outre une esthétique vraiment magnifique, faite de plan poétiques saisis à la volée, le film questionne aujourd'hui la question d'une possible révolution sans passer par les armes mais par le droit, symptôme ô combien contemporain.

 

 


 

 

Moins virtuose, Corazón de fabricas de Virna Molina, dresse la chronologie de la prise de pouvoir des syndicats ouvriers sur une usine de céramique en Argentine, suite à la décision du patronat de recourir à des mesures économiques dramatiques pour la main d'œuvre. Mené à tambour battant (2h15 !), le rythme du film n'évite pas non plus la spectacularisation inutile de l'événementiel et souffre souvent d'unilatéralité dans son discours, en n'offrant pas d'autres points de vue politiques que celui dont il épouse la cause. Mais le fait d'établir un panorama économique de l'Argentine (et de l'Amérique du Sud dans son ensemble) ne manque pas d'intérêt et sauve le film d'un ennui poli.

 

 

Palmares 2008 : - Abrazo du meilleur long métrage :  Dioses de Josué Mendez (Chili)

-          Prix spécial du jury : Estômago de Marcos Jorge (Brésil)

-          Prix d'interprétation féminine : Aline Kuppenheim et Manuela Oyarzun dans La Buena Vida (Chili)

-          Prix d'interprétation masculine : Roberto Farias dans La Buena Vida (Chili)

 

-          Abrazo du Meilleur court métrage : El Deseo de Marie Benito (Mexique)

-          Mention spéciale du Jury : Ofelia de Humberto Gutiérrez Montero (Pérou)

 

- Prix du meilleur documentaire : La Sombra de Don Roberto de Juan Diego Spoerer (Chili)

Yann François
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