Shyamalan : chiant ou malin ?

Jean-Noël Nicolau | 12 juin 2008
Jean-Noël Nicolau | 12 juin 2008

Le parcours de M. Night Shyamalan est exceptionnel dans ce qu’il révèle sur le cinéma de notre époque. Ses relations tumultueuses avec les studios, les critiques et les spectateurs en font un cas d’école. Le réalisateur a ainsi commencé très haut dans le cœur de tous (avec Sixième sens) pour être actuellement tombé très bas (avec Phénomènes). De jeune prodige intouchable jusqu’au vieux con radoteur en l’espace d’une décennie, Shyamalan semble avoir brûlé toutes les étapes. Du scénariste diablement malin d’Incassable au donneur de leçons chiant de La Jeune fille de l’eau, le réalisateur n’a peut-être finalement fait que creuser le même sillon. A la lumière de sa radicalité de plus en plus affirmée (et louée par certains), on le sent arrivé à un point de non-retour.

 

 


 

 

La limite de rupture se situe peut-être dans les éléments les plus embarrassants de La Jeune fille de l’eau. Si la manière dont est caricaturé le critique de cinéma (avec bien sûr, une part de vérité) se présente comme un bras d’honneur des plus clairs, c’est dans le personnage que s’offre Shyamalan que l’on décèle ce qui motive l’auteur depuis le début. Etre seul contre tous, être celui qui a vu la lumière et qui sera crucifié pour cela, voilà comment s’imagine le réalisateur. En ce sens il est toujours du côté de ceux qui sont le plus habités par la Foi ou la folie. Shyamalan c’est Elijah dans Incassable, c’est William Hurt dans Le Village, c’est le Mel Gibson transcendé à la fin de Signes. Peu importe les moyens, peu importe les sacrifices, il détient la vérité et il veut nous la transmettre.

 

 


 

 

La catastrophe de Phénomènes apparaît alors d’autant plus logique. Shyamalan a atteint un tel niveau d’enfermement dans ses principes qu’il ne cherche même plus à enjoliver son propos. Tout est donc évident, surligné, grossi, réduit à sa plus simple expression. Les acteurs n’ont plus besoin d’être dirigés du moment qu’ils soulignent chaque émotion, chaque réplique. La mise en scène se fait illustrative jusqu’à l’absurde, réduisant le mystère à une poignée de feuilles et d’herbes prises dans le vent. Faire du mal à la nature, c’est se suicider. Le reste, tout ce qui fait le cinéma et son langage, n’a plus vraiment de raison d’être. Shyamalan est tellement persuadé de la puissance inébranlable de son message qu’il ne cherche pas à le rendre attrayant.

 

 


 

 

Jusqu’à La Jeune fille de l’eau, on pouvait au moins reconnaître au réalisateur un vrai talent d’illustrateur, parfaitement secondé par la musique de James Newton Howard. Dans Phénomènes, cette collaboration semble bâclée, à peine calquée sur la réussite, nettement plus dynamique, de Signes. La toute puissance de la mise en scène, comme vecteur d’émotion et d’imaginaire, c’est ce qui sauvait du ridicule tout le cinéma de Shyamalan. Les spectateurs ont peu à peu (voire très vite) décroché de ce parti-pris courageux mais dangereux. Jouer des codes des genres les plus populaires du blockbuster est passionnant (du super-héros au thriller de SF, en passant par le conte), mais l’auteur le fait toujours sur la corde raide. Il suffit d’un plan, d’une réplique, d’un personnage trop appuyé pour que le superbe édifice s’effondre.

 

 


 

 

Suivant le degré de tolérance du spectateur à la « méthode Shyamalan », la rupture s’effectue plus ou moins rapidement et pas forcément autour des mêmes films. Ce qui ne sera que manipulation pataude pour les uns, pourra être génial pour d’autres. La réaction étant intimement liée à l’affection que l’on porte aux genres visités par Shyamalan et aussi à notre capacité à partager la même foi que l’auteur envers le pouvoir du récit cinématographique. C’est en ce sens qu’on a souvent comparé le réalisateur avec Steven Spielberg, autre faux naïf qui cherche à repousser les limites du 7e art. Mais à l’inverse de Shyamalan, le réalisateur d’Indiana Jones n’a jamais délibérément coupé les ponts avec son public. On a ainsi l’impression que le metteur en scène indien s’enferme dans la même utopie autarcique que les héros du Village. Et qu’il est très bien ainsi.

 

 


 

 

C’est d’autant plus dommage que des scènes (voire des films entiers) chez Shyamalan possèdent une puissance évocatrice extrêmement rare dans le cinéma hollywoodien actuel. Avec une certaine économie de moyens, dans un spectaculaire minimaliste, le réalisateur impressionne et parle à l’imaginaire avec une sincérité qui désarme facilement l’esprit critique. Même dans ses œuvres les moins aimés, telles que Signes ou La Jeune fille de l’eau, des plans demeurent inoubliables. Tout en flirtant avec le grotesque, ces scènes évoquent des émerveillements ou des peurs originels. Ce n’est pas le fait d’un petit malin roublard, mais bien d’un vrai talent.

 

 


 

Malheureusement, peut-être déboussolé par une gloire trop précoce, Shyamalan s’est enfermé dans sa posture de créateur tout puissant. Les échecs publics et critiques ne semblent plus pouvoir l’atteindre et la plus grande des craintes que l’on puisse formuler est de le voir persister dans l’aigreur et l’autojustication (voire l’autoglorification). Malgré la simplicité apparente de son principe, Phénomènes n’est pas une œuvre humble, bien au contraire. Ce n’est pas non plus un divertissement, c’est un film qui se rêve pamphlétaire et apocalyptique et qui s’effondre lentement comme un terrible accident de parcours. Un accident que tout annonçait et qui déçoit d’autant plus qu’il était prévisible. Il n’est pas sûr du tout que Shyamalan en tirera des leçons, comme une humilité qui le réconcilierait avec son public.

 

 


 

 

Malgré tout, on ne se sent toujours pas prêt à abandonner espoir. Le monsieur qui a fait Incassable peut nous faire une rechute de talent. Les ingrédients sont toujours là, ils n’ont finalement pas beaucoup changé depuis Sixième sens. Il suffirait peut-être de laisser les grandes leçons ennuyeuses dans le tiroir et de se concentrer sur le concept de « merveilleux », que M. Night Shyamalan a déjà su illustrer avec une grâce rare.

 

 


 

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