Critique : Coffret Ozu Vol.2

Jean-Noël Nicolau | 2 février 2007
Jean-Noël Nicolau | 2 février 2007

Mis en scène en 1931, Chœur de Tokyo peut être considéré comme une répétition générale du célèbre Gosses de Tokyo offert par Ozu un an plus tard. L'histoire de ce père de famille au chômage, prêt à tout pour retrouver du travail, et notamment devenir homme-sandwich dans un restaurant, permet au réalisateur de ménager humour hérité du cinéma américain et des portraits de famille annonçant ses thèmes fétiches. Présenté dans une copie extrêmement abîmée, Chœur de Tokyo est une œuvre intéressante mais mineure. Les néophytes passeront sagement leur chemin, tant ces 90 minutes entièrement silencieuses risquent de leur paraître bien fastidieuses.

Choeur de Tokyo : 6/10


Avec Une Auberge à Tokyo, film silencieux de 1935, Ozu reste dans une veine mélodramatique très classique, mais parvient à conter une histoire émouvante. Deux enfants et leur père errent à la recherche d'un emploi, dans une auberge ils rencontrent une femme et sa petite fille. Lorsque la petite fille tombe malade, le père va se sacrifier pour trouver les moyens de la soigner. Si le réalisateur ajoute quelques pointes d'humour, ce beau récit de paternité demeure assez affecté et même déchirant. Ozu n'est pas encore au sommet de son art, mais l'austérité commence à poindre au détour de quelques plans de quotidien tout simple.

Une Auberge à Tokyo : 7/10


Réalisé en 1951, Eté précoce est bien sûr une chronique familiale, cette fois plus largement consacrée au mariage et à ses implications, en particulier lorsque le dernier des enfants quitte le foyer parental. Moins déchirant que le Printemps tardif de 1949 sur le même thème, cette œuvre distille une émotion extrêmement rare, mais d'autant plus marquante, à l'image de l'évocation du fils disparu pendant la guerre, dont le père prétend ne plus espérer le retour. Rythmé par les scènes du quotidien, les repas, les transports, les silences, Eté précoce donne une nouvelle fois le premier rôle à Setsuko Hara, évidemment radieuse. En jeune femme qui se refuse au mariage, s'en joue, puis finit par l'accepter (pour son malheur ?), l'actrice transcende le film, l'un des plus « classiques » mais aussi l'un des moins austères de la période la plus célèbre d'Ozu.

Eté précoce : 8/10


Mariée par arrangement, Taeko mène une vie de couple décevante. Le dialogue entre les deux époux, plongés chacun dans leurs activités, se fait de plus en plus rare. Alors que son mari est envoyé en voyage d'affaires, Taeko part se reposer loin de la ville, de ses soucis quotidiens. Elle prend alors conscience de l'attachement qu'elle éprouve pour lui. Sur des bases modernistes, Ozu prend le contre-pied de la plupart des films hollywoodiens de la même époque en tendant vers la fable très morale avec ce Goût du riz au thé vert. On s'attend ainsi à ce que la femme se libère de son ordinaire étouffant, et c'est l'inverse qui se produit. Le réalisateur se fait le chantre du mari « solide » et de la femme soumise, en une fin très positive où ne semble même pas pointer un semblant de mélancolie. L'épouse inconstante trouve l'accomplissement dans l'acceptation de sa condition et des qualités de son époux. Auparavant Ozu aura tenté une approche méticuleuse et objective de la situation, laissant au final une certaine marge d'interprétation au spectateur.

Le Goût du riz au thé vert : 8/10


Printemps précoce est l'avant-dernier film d'Ozu tourné en noir et blanc, et même si elle est moins âpre que le bouleversant Crépuscule à Tokyo, cette œuvre dévoile un réalisateur plus sombre et cynique. Après avoir adopté le point de vue de l'épouse dans le Goût du riz au thé vert, Ozu effectue ici le portrait d'un mari, partagé entre l'échec de son couple et les exigences de son travail. A la fois un récit du quotidien monotone d'un mariage en crise et des rapports entre collègues, Printemps précoce est très représentatif du recul émotionnel cher au metteur en scène. Il ne s'agit pas véritablement de froideur, mais plutôt d'une tentative d'objectivité cinématographique, cadrée avec fausse simplicité et contée sur le rythme de la vie de tous les jours. Au fil des 2h24 de l'œuvre, Ozu ne décrit finalement qu'un adultère pathétique, élément déclencheur d'une remise en question qui aboutira à une fin délicatement optimiste, même si l'auteur se garde bien de tomber dans le happy end évident. Il pourra être difficile au spectateur de s'attacher à ces personnages « moyens », ni foncièrement méprisables, ni admirables. Mais c'est dans cet anti-héroïsme lancinant que le cinéma d'Ozu s'accomplit avec le plus de force et de modernité. Par ailleurs sa maîtrise du noir et blanc aboutit à un visuel de clairs obscurs d'une grande beauté, qui transcende les séquences les plus classiques, en leur donnant les teintes du mystère. Il en résulte une œuvre d'une maîtrise totale, où chaque ligne de dialogue et chaque expression des acteurs s'impose avec force et évidence.

Printemps précoce : 9/10

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire