Princesse Mononoké : critique guerrière

Jean-Noël Nicolau | 29 août 2007 - MAJ : 27/09/2023 11:14
Jean-Noël Nicolau | 29 août 2007 - MAJ : 27/09/2023 11:14

Lorsque l'on découvre Princesse Mononoké, que l'on soit un féru de l'œuvre d'Hayao Miyazaki ou un néophyte du monde de l'animation, on ne peut qu'être impressionné par la majesté et l'ampleur du film. Véritable blockbuster épique, Mononoké désire tout autant s'imposer sur le terrain de la prouesse technique, par le biais d'un visuel d'une splendeur inédite, que dans le domaine thématique, en faisant la somme de l'univers de son metteur en scène. Les mythes japonais et les archétypes kurosawesques sont ainsi pliés aux obsessions écologistes de Miyazaki, ainsi qu'à son dévouement sans faille aux personnages « bigger than life ». En exacerbant tous les signes distinctifs de son œuvre, le réalisateur délivre un film immense, dont les innombrables atouts sont parfois aussi les faiblesses.

En effet, si la poésie omniprésente de Princesse Mononoké, en particulier dans les scènes en forêt, flirte avec le sublime, c'est néanmoins le récit le moins aérien et le plus âpre de son auteur. Et si l'ensemble se révèle écrasant par sa maestria jamais démentie sur plus de deux heures, c'est le spectateur qui se retrouve, au final, un peu étouffé par l'ambition et la violence du plus adulte des dessins animés de Miyazaki. Peut-être un peu jaloux de la liberté de ton de son compagnon Isao Takahata, le réalisateur de Totoro a-t-il voulu prouver qu'il pouvait allier faste cinématographique et dureté du propos ? Pour cela, il s'est replongé dans les thèmes de son ouvrage fondateur, Nausicaä, pour en reprendre certaines grandes lignes et les réadapter, sans doute avec plus de maîtrise mais aussi moins de fraîcheur et d'originalité, et les transformer en ce « magnus opus » auprès duquel toute l'animation japonaise (ou presque) est encore, une décennie plus tard, comparée et jugée.

 

 

 

La beauté infinie et paradoxale de Princesse Mononoké réside donc entre ses atours de classique indiscutable et ses défauts inattendus. Un peu trop long, un peu trop naïf, doté d'une conclusion légèrement décevante et expéditive, Princesse Mononoké n'en est finalement que plus attachant en tant que chef-d'oeuvre imparfait, humble et fragile dans ses discrètes maladresses. C'est l'une des clefs du charme miraculeux des oeuvres de Miyazaki, ces failles surprenantes, ces digressions incongrues, des petites choses qui rendent la magnificence plus touchante, le génie plus humain.

 

 

 

L'humanité au sein de Princesse Mononoké ce sont ces villageoises qui travaillent en marge des affres mythologiques des dieux animaux et des démons industriels. Elles incarnent l'inconscience courageuse et admirable des hommes qui, plus ou moins innocemment, entraînent leur monde à sa perte. Récit de fin des temps, dont certains thèmes font écho à Excalibur de John Boorman, l'oeuvre de Miyazaki retrouve les élans dépressifs de Nausicaä, tout en les enveloppant dans la détermination du jeune Ashitaka, rare personnage masculin de premier plan dans l'univers du maître. En effet, si le charisme de la princesse démon la rend bien sûr fascinante, elle demeure au second plan, un peu effacée. Toute l'histoire est lue du point de vue d'Ashitaka, qui devient, au fil du métrage, un demi-dieu, plus à même que Mononoké d'offrir un lien entre les hommes et la nature. Le courage d'Ashitaka, son dévouement, l'espoir qu'il incarne, ainsi que l'inoubliable dernier plan du film, nous offrent les instants les plus émouvants de Princesse Mononoké, certainement le plus froid des Miyazaki.

  

 

 

Beaucoup de spectateurs occidentaux ont découvert l'existence de Miyazaki (voire du cinéma d'animation japonais) grâce à Mononoké, et à l'époque le choc et l'enthousiasme ont largement occulté tout recul critique. A présent que tout le corpus du metteur en scène est enfin distribué en nos contrées, il est plus facile de saisir la place définitivement à part de ce poème barbare. En appréhendant les différentes tensions qui régissent l'oeuvre et son aura, on peut la redécouvrir, certainement pour le meilleur.

Princesse Mononoké sera ainsi toujours « le film qui a fait plus d'entrées que Titanic au Japon » et le seul Miyazaki vivement déconseillé aux enfants, le plus bel accomplissement visuel du studio Ghibli mais aussi le plus proche de la terre, le plus éloigné des nuages. C'est le plus virulent des manifestes écologistes de son auteur, mais peut-être aussi le plus candide, à la fois un trésor foisonnant et perfectible, et un diamant presque trop pur, presque trop coupant. Toujours insaisissable, même lorsque l'on croit le connaître par coeur, Princesse Mononoké demeure le plus incontournable des films d'animation contemporains, la source d'où tout jaillit et au sein de laquelle tout fini par revenir.

 

 

 

 

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