Critique : C.R.A.Z.Y.

Ilan Ferry | 1 mai 2006
Ilan Ferry | 1 mai 2006

Famille je vous hais… tel est le postulat de départ de C.R.A.Z.Y, qui retrace, sur près de 30 ans, l'histoire d'une famille dysfonctionnelle au pays des caribous. Coups de cœurs et coups de gueule, le réalisateur Jean Marc Vallée déroule sur plus de deux heures une saga familiale faite de bruit et de fureur saupoudré d'un zeste d'humour grinçant. De là à dire que C.R.A.Z.Y. est le remède idéale à la mélancolie, il y a un fossé que le réalisateur se garde bien de franchir.

« Aussi loin que je me souvienne j'ai toujours détesté Noël », cette première phrase déclamée sur un ton monocorde familier aux amateurs de V.F. Québécoise annonce d'emblée la couleur : C.R.A.Z.Y. sera une chronique cinglante ou ne sera pas ! Père autoritaire, mère surprotectrice et fistons en totale roue libre, bienvenue dans la famille québécoise où Je t'aime se dit à grands renforts de cris et de baffes. Ainsi, la première partie du film joue la carte de la chronique douce amère et réussit à nous emporter dans les tumultes de cette famille pas comme les autres grâce à une bande son particulièrement réussie où les morceaux de musique, parfaitement à leurs places, sont définis comme autant de phases identitaires par lesquelles passe le personnage principal. Des années 60 à 80 (voire 90), c'est tout un pan de l'histoire qui nous est dévoilée à travers un Canada de carte postale ressemblant à s'y méprendre aux banlieues américaines sauf qu'ici, le réalisateur s'attache plus à faire la radiographie d'une famille que d'une époque. De fait, dès le début C.R.A.Z.Y. nous embarque immédiatement par son rythme parfaitement dosé et ses personnages attachants, mais force est de reconnaître que l'illusion est de courte durée.

En adoptant le point de vue de Zach, jeune garçon confronté à la confusion des sentiments et à l'incompréhension grandissante de son père, le réalisateur prend le risque de laisser de coté les autres membres (pourtant croustillants) de cette trop nombreuse tribu, ces derniers s'effaçant rapidement au profit d'un trio formé par Zach, son frère Raymond et leur père Gervais. Ce qui commençait alors comme le portrait au vitriol d'une famille pas si ordinaire que ça, se transforme en autopsie des états d'âme de deux frères (la petite famille en compte tout de même cinq !) en perpétuelle quête d'identité pour l'un, et de reconnaissance pour l'autre. Dès lors le spectateur a l'impression de se retrouver devant un long épisode des Années coup de cœur avec une pointe de cynisme en plus. De fait, après avoir vibré au rythme des émois de Zach, le spectateur se surprend à regarder sa montre et à se désintéresser de plus en plus du sort des personnages. La faute en incombe à des enjeux de plus en plus nébuleux (l'homosexualité plus ou moins refoulé de Zach, la dérive de Raymond) et passée la première heure, un sentiment de flottement se fait douloureusement sentir, le film ne se reprenant que lors d'une dernière partie à la conclusion trop hâtive.

Belle chronique nostalgique, C.R.A.Z.Y. montre rapidement ses limites au-delà de l'aspect nostalgie parfaitement retranscrit dans une première partie où onirisme et réalité de moins en moins édulcorée se conjuguent parfaitement. Dommage tant le réalisateur a su efficacement traduire son propos grâce à de belles idées (l'opposition entre le « Emmenez-moi » de Charles Aznavour chanté par le père et « Space Odity » de David Bowie que Zach écoute inlassablement) et des effets de style intéressants à défaut d'être totalement à leur place. Même si C.R.A.Z.Y. n'est pas la claque annoncée il tient de belles promesses empruntant aussi bien au cinéma de Martin Scorsese qu'à celui de Paul Thomas Anderson, il ne reste plus au réalisateur qu'à se démarquer de ses illustres modèles.

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