Birth ; Critique pour ou contre

Stéphane Argentin | 3 novembre 2004
Stéphane Argentin | 3 novembre 2004

Birth est un film qui ne laisse pas vraiment indifférent. Birth est un film qui divise de façon tranchée. Birth est un film qui mérite donc assurément une confrontation d'opinion. D'où la possibilité, dans les lignes ci-après, de lire deux avis totalement opposés. Bonne lecture !

 

POUR : 9/10

Un homme est en train de faire son jogging dans le Central Park, à New York (la caméra ne se rapprochera jamais assez près de lui pour que l'on puisse distinguer son visage). Les feuilles des arbres gisent par terre et nous devinons que toutes ces couleurs délavées sont celles de l'automne. Une caméra maestro le suit avec des mouvements amples guidés par une musique si belle et si dramatique. L'homme, tout en maintenant la même cadence et la même distance avec la caméra, arrive au niveau d'un tunnel et le traverse ; il s'écroule au milieu, raide mort, tandis que la caméra l'abandonne. Birth peut alors commencer et nous faire évoluer dans une atmosphère fantomatique, jusqu'à nous faire perdre tous nos repères. Sans le savoir mais en le ressentant, une impression dérangeante (pour ne pas parler de malaise) de déjà-vu nous saisit. En effet, ce générique ressemble à celui de Shining, de Stanley Kubrick, où une caméra dominatrice suivait, à travers les Appalaches, la voiture de la famille de Jack Nicholson se rendant à l'Overlook. Dès lors, le fantôme de Stanley Kubrick ne nous quittera plus.

Dix ans se sont écoulés. Anna, la veuve de cet homme, s'apprête à se remarier. Elle, c'est Nicole Kidman – tiens donc, la dernière femme (cinématographique) de Stanley Kubrick ! Les cheveux courts, l'ex-Mrs. Cruise n'a jamais été aussi belle et fascinante, d'une beauté glaciale et extraordinaire. Une beauté sans précédent dans l'histoire du cinéma, qui la rend presque inhumaine. Nous savions que la comédienne avait l'aura de Grace Kelly, mais ce que l'on dit moins c'est qu'elle a le regard diabolique de Bettes Davis. Nicole Kidman, dans ce film, est « une apparition » qui trouvera son point d'orgue dans un long plan rapproché, véritable orgasme cinématographique. Rien que pour ce plan (à se damner), Birth doit être vu et revu. Tout comme Billy Wilder l'avait fait avec Marilyn Monroe, Jonathan Glaser immortalise Nicole Kidman. Beaucoup (peut-être un peu trop hâtivement) ont comparé l'actrice à la Mia Farrow de Rosemary's baby (même coupe de cheveux, même regard troublant…). Mais c'est sans doute plus à la Mia Farrow du méconnu Full circle (Le Cercle infernal, 1978), de Richard Loncraine, auquel on doit penser, un drame fantastique dans lequel Mia essayait de faire le deuil de sa fille.

 

 

On pourrait écrire des dizaines de pages sur Kidman, sa beauté et son extraordinaire performance, mais revenons au film. Un garçon de 10 ans, Sean, surgit dans un couloir de l'hôtel (de nouveau l'ombre-influence de Shining) et prétend être son mari ! Si là encore notre pensée va vers Dany/Tony « redrum », la référence la plus marquante reste encore celle de Haley Joel Osment du Sixième sens, de Shyamalan. Sauf que ce garçon (l'acteur Cameron Bright, déjà inquiétant dans L'Effet papillon et dans Godsend : L'Expérience interdite) au regard coupant ne voit pas des fantômes, il prétend en être un ! Des fantômes, on n'a d'ailleurs de cesse d'en apercevoir dans le film : celui de John huston, qui surgit à travers la présence de son fils Danny (qui joue le fiancé de Nicole Kidman), ou encore celle de Lauren Bacall, dame de fer immortelle dont la longévité de carrière relève du domaine du fantastique.

Avec Birth, on entr'aperçoit en Jonathan Glazer un digne héritier (du moins le temps de ce film) de Stanley Kubrick et un disciple de M. Night Shyamalan. Si les références semblent écrasantes, surtout pour les détracteurs du film, on peut l'alléger en écrivant plus sobrement que Birth est une improbable collision entre Eyes wide shut (pour Kidman et l'ambiance glaciale de la bourgeoisie new-yorkaise) et Sixième sens (le garçon mais aussi l'ambiance automnale). Il en épouse le rythme du premier (le monteur du film a travaillé sur Eyes wide shut !) et la lumière du second (signée par un collaborateur de longue date de Gus Van Sant). Une lumière réaliste et divine à cent mille lieues du pédantisme cinéphilique du 2046, de l'imposteur Wong Kar-wai.

 

 

Birth n'est pas un film sur la réincarnation (le mot n'est prononcé qu'une seule fois) ni un énième film fantastique avec des fantômes. C'est un film sur la croyance. Jonathan Glaser a compris toute l'ambiguïté nécessaire à la naissance du fantastique, qui demande de faire surgir un élément dans une réalité bien ancrée, de le faire via le drame psychologique. Loin du film tape-à-l'œil que son expérience de clippeur aurait pu laisser présager, Jonathan Glaser fait preuve d'une rare subtilité dans le maniement de sa caméra, faisant naître, par la simple grâce de sa mise en scène et la croyance en son histoire, l'illusion dont a besoin le cinéma et les grands films pour exister. Car, ne vous y trompez pas, en dépit des réactions mitigées que le film suscite (voir, déjà, au sein même de notre rédaction), Birth, avec ce minimum de foi cinématographique qui doit animer tout spectateur entrant dans la salle, constitue une expérience rare, un ovni comme le septième art nous en réserve si rarement.

Matthieu Perrin

 

 

 

CONTRE : 4/10

Naître ou ne pas naître ?

Nicole Kidman continue à nous surprendre dans ses choix de carrière, en alternant productions auteuristes (Dogville) et grosses machineries hollywoodiennes (Cold Mountain, Et l'homme créa la femme). Thème rarement abordé au cinéma (trop casse-gueule ?), la réincarnation n'avait pas fait l'objet d'un film depuis Little Bouddha en 1993. Sur le fond, Birth ne cherche pas à prendre parti pour ou contre la réincarnation, le film se contentant d'exposer les opinions des différents protagonistes dans leur croyance ou non à la réincarnation de feu Sean, le mari d'Anna, dans le corps du tout jeune Cameron Bright.

 


À ce petit jeu, auquel seules les femmes ont le monopole de la croyance (?!?), et grâce notamment à la performance très troublante de ce jeune acteur prometteur opposé à une Kidman en proie aux doutes, le film instaure peu à peu son étrange climat. Mais c'était sans compter sur une seconde moitié de film où, à force de « J'y crois maintenant », « J'y crois plus », « J'y crois toujours pas », le récit s'obscurcit plus qu'il ne le devrait, finissant par nous lasser et nous faire perdre le fil. Dommage, donc, qu'à l'arrivée, pareil talent d'acteurs et de metteur en scène (très belle photo au sein de cet immeuble grand luxe) soit gâché par une intrigue visiblement trop peu approfondie. Cette « naissance » ne marquera donc pas durablement les esprits, et LE film sur ce grand thème qu'est la réincarnation reste encore à faire.

Stéphane Argentin

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Sanchez
21/02/2024 à 14:36

Je viens enfin de le découvrir. Magnifique poème cinématographique du début à la fin. Incroyable que ce film ne soit pas considéré comme un classique. Nicole Kidman a un niveau d’acting stratosphérique et Glazer une mise en scène très expressive. Je te ne comprend les critiques tiédasses. Y avait il des chefs œuvres qui sortaient chaque mercredi à l’époque ? Si ce film sortait aujourd’hui il aurait droit à tous les honneurs.

votre commentaire