Steven Spielberg, le Peter Pan d'Hollywood

Johan Beyney | 25 mars 2006
Johan Beyney | 25 mars 2006

Un aileron affleurant à la surface de l'eau, une montagne de glaise dans un salon américain, un vélo flottant devant une lune pleine, l'œil d'un T-Rex apparaissant derrière la vitre d'une voiture en panne, un manteau rose perdu dans le gris concentrationnaire...

 

Des souvenirs de cinéma imprimés de manière indélébile sur la rétine de millions de spectateurs. Car Steven Spielberg, avant même d'être un raconteur d'histoires, est surtout un formidable faiseur d'images. Et c'est sans aucun doute ce qui fait de lui un grand réalisateur.

 

Casquette de l'homme-enfant vissée sur le crâne, et barbe de l'homme-adulte couvrant les joues, il suffit de regarder l'homme pour avoir un aperçu de sa filmographie. Faire rêver et faire réfléchir. Se divertir mais jamais – ou rarement – gratuitement. Et surtout, conserver un lien avec l'enfance. Depuis plus de trente ans, Steven Spielberg n'en finit pas d'arpenter l'imaginaire et le réel, le magique et le tragique avec la même ferveur et le même enthousiasme, sans jamais céder à la facilité.

 

Précoce, Spielberg réalise dès l'enfance des petits films amateurs. Une vocation qui le pousse à abandonner ses études pour gagner Hollywood. Il y apprendra son métier (notamment en tant qu'assistant de production sur le Faces de John Cassavetes) et réalisera ses premiers courts métrages, Firelight et Amblin (qui donnera son nom à sa société de production). Pour la télévision, il met en scène une angoissante course-poursuite, Duel (1971). Coup d'essai, coup de maître : le film remporte le Grand prix du Festival d'Avoriaz et apporte à son réalisateur une reconnaissance qui ne sera plus jamais démentie. Son premier film de cinéma, un road-movie sanglant intitulé Sugarland Express (1974) repart quant à lui avec le Prix du Meilleur Scénario au Festival de Cannes. Si la critique semble d'ores et déjà acquise à ce jeune prodige, l'adhésion du public n'est pas encore massive.

 

Mais en 1975, au son terrifiant de la contrebasse, Steven Spielberg traumatise tous les plagistes du monde avec Les Dents de la Mer et se met ainsi un très large public international dans la poche. Exploit renouvelé avec de nouvelles et effrayantes bêbêtes quelques années plus tard (Jurassic Park,1993 et Le monde perdu, 1997). Le grand requin blanc l'installe, dès son troisième film, comme un grand réalisateur populaire. Et Hollywood est désormais à ses pieds.

 

Il en profite pour revenir à un projet plus personnel et offre, malgré des moyens financiers colossaux, un film de science-fiction étrangement dépouillé, un film d'auteur finalement assez éloigné du tape-à-l'oeil hollywoodien. Rencontres du Troisième Type (1977) marque ainsi sa première incursion dans un genre qu'il revisitera à de nombreuses reprises. D'abord avec E.T. L'Extra-Terrestre (1982), puis plus tard avec A.I.: intelligence artificielle (2001), Minority Report (2002) et, bientôt, La Guerre des Mondes (2004).

     
 
C'est d'ailleurs en ce domaine qu'il acquiert la reconnaissance de ses pairs les plus illustres : Stanley Kubrick lui confiant la réalisation d'A.I. ou, dès ses débuts, François Truffaut participant aux Rencontres du Troisième Type. Ce n'est pas un hasard si le réalisateur français, grand admirateur de Hitchcock, s'est associé au projet de Spielberg. L'un des concepts fondamentaux de la Nouvelle Vague est celui de la caméra-stylo : on ne raconte pas seulement avec un scénario, des dialogues et des acteurs, on raconte aussi et surtout grâce au montage et aux mouvements de la caméra. Le réalisateur n'est pas un témoin, mais un auteur. Et c'est bien au travers de sa caméra que Spielberg s'exprime le mieux, crée la tension ou l'émotion. En outre, comme un Hawks ou un Ford, Spielberg se distingue parmi les grands réalisateurs par le foisonnement de son travail. Vingt-deux films en 35 ans. Il y a du mieux et du moins bien, mais il tourne, quoi qu'il arrive, enchaînant les projets, et force est de constater qu'il y a peu de croix noires à tracer sur son parcours. Actuellement, à part peut-être Clint Eastwood ou Woody Allen, peu de réalisateurs (au sens noble du terme) peuvent se targuer d'une telle régularité.

 

Cette accumulation de tournages, la débauche de moyens mis à sa disposition ne doivent pas faire perdre de vue la cohérence de la filmographie du Roi d'Hollywood. Certains thèmes sont évidemment récurrents, comme celui de la Seconde Guerre Mondiale qu'il aborde à quatre reprises : d'abord sous forme de comédie avec 1941 (1979), puis de manière plus dramatique lorsqu'il traite du Japon (Empire du Soleil, 1987), de la Shoah (La liste de Schindler, 1993) ou du débarquement (Il faut sauver le soldat Ryan, 1998).

  


Mais malgré la grande diversité de genres de sa filmo, Spielberg ne traite finalement que d'un seul sujet : la confrontation de l'âge d'or de l'enfance face au cynisme et à la dureté du monde adulte. Innocence de l'enfance en proie au scepticisme administratif (E.T.), enfance volée par la guerre (Empire du soleil), les traditions (La couleur pourpre, 1985) ou la technologie (A.I.). Et Spielberg de s'échiner à faire retrouver au spectateur son âme d'enfant, notamment en lui faisant ouvrir grand les yeux devant du grand spectacle.

 

 

La création, avec George Lucas, du personnage d'Indiana Jones, héros américain façon années 40, est à ce titre assez emblématique du cinéma de Spielberg. Figure héroïque par excellence, l'archéologue est un adulte responsable (professeur d'université) qui vit pleinement son goût très enfantin pour l'aventure (Les aventuriers de l'Arche Perdue, 1980). Le personnage ayant conquis les coeurs, on l'affuble ensuite d'un gamin malin et raisonnable capable de rivaliser d'ingéniosité avec lui (Indiana Jones et le Temple Maudit, 1984). Enfin, Indiana Jones devient « Indy », de nouveau confronté au statut d'enfant face à un père particulièrement protecteur (Indiana Jones et la Dernière Croisade, 1989). Etre un adulte avec des exaltations d'enfant. Apprendre à écouter la voix de l'enfant. En redevenir un soi-même. Le cheminement d'Indiana Jones est étrangement proche de celui du spectateur qui se trouve dans la salle. Qui a dit que la saga n'était que du pur divertissement ?

 

Dès lors, pas étonnant que Spielberg ait décidé de se réapproprier la légende de Peter Pan, et qu'il ait fait du héros devenu adulte un être froid et cynique qui ne pourra être sauvé qu'en retrouvant les sensations de l'enfance. Malheureusement, le propos est ici trop transparent pour être vraiment efficace et le réalisateur signe paradoxalement avec Hook ou la revanche du Capitaine Crochet (1991) un de ses plus mauvais films (avec peut-être Amistad, 1997).

 

Mais c'est bien le sens du cinéma de Spielberg : l'enfance et le lien que nous devons entretenir avec en tant qu'adulte doit être préservé à tout prix sous peine de voir arriver le pire. La disparition du petit manteau rose dans La liste de Schindler est le signe de l'anéantissement de la vie. C'est pour cette raison qu'Il faut sauver le soldat Ryan : préserver le dernier enfant d'une famille, c'est empêcher de la faire disparaître. Et celui qui a su préserver l'enfant en lui, qui sait encore jouer à « on dirait que je serais... » aura, à l'image du personnage d'Arrête-moi si tu peux (2002), le monde à ses pieds.

 

Avec la comédie romantique Le Terminal (2004), Spielberg s'est offert une autre récréation brillante, qui fait de Tom Hanks le héros d'un conte moral à l'ancienne. Ce "petit" film n'annonçait pas le déchaînement spectaculaire de La Guerre des mondes (2005). Une oeuvre sombre et violente, qui retrouve par endroits la puissance apocalyptique du roman de Wells. Avec Munich (2006), Spielberg tente d'interpréter les conséquences de la prise d'otages tragique des JO de 1972. Une demie-réussite qui montre un cinéaste trop timide face à son sujet il est vrai très sensible. Pression des fans ? De son ami George Lucas ? En tout cas, le réalisateur offre, 19 ans plus tard, un nouveau volet aux aventures d'Indiana Jones avec le Royaume du crâne de cristal (2008). Spielberg va enchaîner avec la concrétisation de son rêve : adapter les aventures de Tintin. Avec l'aide de Peter Jackson, une trilogie devrait suivre les pérégrinations du reporter belge et de son Milou. Ensuite, retour vers la grande histoire pour une biographie monumentale de Lincoln...

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