Will Smith : Mister Cool

Thomas Messias | 31 janvier 2007
Thomas Messias | 31 janvier 2007

Quand Willard Christopher Smith Junior naît à Philadelphie en septembre 68, les fées de la coolitude se penchent sur son berceau. À peine a-t-il commencé à parler que tout le monde se met à l'appeler "le Prince", pour ses allures de pacha et sa décontraction déjà légendaire. Un surnom qui le suivra pendant des lustres. À 12 ans, il rencontre un certain Jeff Townes, qui devient rapidement son meilleur ami. Quatre ans plus tard, sous le nom de DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince, Jeff et Will commencent à envahir les scènes hip-hop de Pennsylvanie avec leur rap énergique et déconneur. En 1987, les deux compères enregistrent un premier album qui connaît un certain succès, notamment grâce au single "Girls ain't nothing but trouble". Malgré son jeune âge, Will a déjà tout compris. Et il sait exactement ce qu'il veut, refusant une bourse d'études d'une grande école du Massachusetts pour accepter de jouer un personnage nommé Will dans une sitcom. Son titre : "The Fresh Prince of Bel-Air".

 

 

Pendant 6 ans et 145 épisodes, Will Smith traîne ses pantalons larges et ses airs de grand dadais dans la banlieue huppée de L.A. où son oncle et sa tante l'ont recueilli. Le succès est immédiat : sa complicité sans bornes avec Jazzy Jeff (qui joue Jazz, le meilleur ami de Will) et sa stupéfiante aisance séduisent les jeunes téléspectateurs des Etats-Unis et du monde entier. Aujourd'hui encore, "Le Prince de Bel-Air" est une série culte pour tous ceux qui ont un jour été adolescents. Et si la série s'arrête en 1996, c'est surtout parce que le grand Will est de plus en plus convoité par le cinéma.

 

 

Après des débuts dans l'oubliable Where the day takes you en 1992 (aux côtés de Dermot Mulroney), Smith commence à se faire remarquer dans Made in America, où il donne la réplique à Whoopi Goldberg. Mais son premier vrai grand rôle, il le doit à Fred Schepisi. Dans Six degrés de séparation, il est un pique-assiette qui soutient mordicus qu'il est le fils de Sidney Poitier. Son sourire enjôleur et sa verve font de lui l'acteur idéal pour ce rôle. Idéal ou presque : dans le scénario original, son personnage, homosexuel, doit embrasser un autre homme. Mais, soucieux de ne pas ébrécher son image de joli cœur amateur de formes féminines, Mister Cool refuse tout net. Comme Schepisi tient absolument à ce qu'il soit le héros de son film, il cède et réécrit certaines scènes en vitesse. Être cool n'empêche pas de faire des caprices. Alors qu'il s'apprête à terminer le tournage du "Prince de Bel-Air", voilà que Michael Bay, récemment auréolé du carton de Rock, lui propose 5 millions de dollars pour tourner dans Bad boys. Une comédie d'action testostéronée et explosive, où son duo avec l'agaçant Martin Lawrence séduit les djeunz du monde entier. Nul doute que le tandem Jon Lovitz – Dana Carvey, pour qui le film a été écrit, n'aurait pas vraiment connus le même succès. À 28 ans et en quelques claquements de doigts, Will Smith est une star internationale avec des dollars plein les poches. Dès lors, les succès s'enchaînent, au rythme d'un par an.

 

 

En 1996, Will est engagé par Roland Emmerich pour dézinguer de l'alien dans Independence day, jeu de massacre patriotique où il cotoie Bill Pullman et Jeff Goldblum. À l'époque, le film occupe la place de deuxième plus gros succès commercial de l'histoire du cinéma, juste derrière Jurassic Park. Pas stressé pour deux sous par cette gloire vertigineuse, Smith rencontre Barry Sonnenfeld et tourne avec lui Men in black (1997). À l'origine, le rôle de l'agent J n'était pas prévu pour un afro-américain, mais pour des acteurs comme Chris O'Donnell ou David Schwimmer. Mais l'enthousiasme et la classe smithiennes ont fini par emporter le morceau. Nouveau carton international, aussi bien pour le film, comédie de SF délicieusement décalée, que pour la chanson-titre du film. Loin d'être un roi du hip-hop (les amateurs ricanent doucement lorsqu'ils l'entendent rapper), c'est une fois encore grâce à sa coolitude naturelle qu'il séduit des audiences de plus en plus larges. Le contraste entre sa banane permanente et la gueule d'enterrement de Tommy Lee Jones est l'une des plus belles idées de casting qu'ait jamais eu un réalisateur de blockbuster.

 

 

Comme un métronome, Will Smith poursuit son rythme d'un film par an, ni plus, ni moins. Comme quoi son image de chien fou ne l'empêche pas d'être plus sage que la moyenne. En 1998, il vire paranoïaque dans Ennemi d'état, peut-être le meilleur film de Tony Scott. Ou comment soigner une popularité toujours croissante tout en s'orientant progressivement vers des rôles un peu plus sérieux, plus consistants. Aux côtés de Jon Voight et Gene Hackman, il se fait très convaincant, au point qu'on en entend déjà certains le comparer à Denzel Washington. Les années qui suivent sont un tout petit peu moins glorieuses, mais tout reste relatif : à l'occasion de ses retrouvailles avec Barry Sonnenfeld, Will Smith interprète James West dans Wild wild west (1999), où il donne la réplique à Kevin Kline. Les résultats du film sont satisfaisants, mais côté qualité, il y a de quoi faire la grimace : poussif et bâclé, Wild wild west hérite même de quelques nominations aux Razzie awards. Quoi que l'on pense de cette cérémonie, c'est souvent révélateur. En fait, la chanson-titre, interprétée une nouvelle fois par Will lui-même, connaît un plus gros succès que le film.

 

 

Ensuite, petit à petit, Smith entame une nouvelle étape de sa carrière, alternant progressivement rôles comiques et rôles plus sérieux. Dans La légende de Bagger Vance, il tourne sous la direction de Robert Redford, et se révèle plutôt convaincant en caddie céleste dans un film injustement ignoré. Puis arrive LE rôle qui va changer sa vie. Après avoir changé plusieurs fois de main (à la base, Barry Sonnenfeld devait le réaliser avec Denzel Washington dans le rôle-titre), le projet Ali atterrit chez Michael Mann, qui décide assez rapidement de choisir Smith pour incarner le champion. Et le choix est payant : dans Ali, Smith est méconnaissable et rend un hommage flamboyant et bouleversant au plus grand boxeur que la terre ait porté (désolé, Marcel Cerdan). Aucun doute n'est permis : pour cette incroyable prestation, pour son impressionnante transformation physique, Smith doit recevoir l'Oscar. Manque de bol, c'est un certain Denzel W. qui lui chipe la statuette pour son rôle dans Training day. Mais peu importe : Will Smith n'est plus simplement bankable, mais également un acteur respectable, qui peut décemment envisager de piquer des rôles à Tom Cruise (c'était déjà le cas pour Ennemi d'état).

 

 

À cette époque, parce qu'il ne souhaite pas tourner sans cesse, Smith refuse Deux en un, Snake eyes (pour le rôle de Gary Sinise), Phone game, et même…Matrix. « Je ne me sentais pas très à l'aise face aux frères Wachowski, alors passer six mois avec eux… et puis je ne regrette rien, le rôle était fait pour Keanu ». Beau joueur. Mais parce qu'il faut bien manger, Will remet le couvert avec Barry Sonnenfeld et Tommy Lee Jones. Auréolé du succès de MiB, Men in black II (2002) cartonne, même si le film est mille fois moins bon que le premier volet. Moins de fun, effet de surprise envolé, le film sonne surtout comme un gros coup commercial. C'est l'occasion pour lui de réaliser qu'à force d'enregistrer un single par film, il risque d'être perçu comme le Michaël Youn français (étiquette bien difficile à décoller). D'où sa décision de séparer désormais le rap du cinéma pour ne pas risquer l'amalgame.

 

 

Grand gamin, avide de films un peu bourrins, Smith retrouve ensuite ses potes Bay et Lawrence pour Bad boys II (2003), sommet de démesure, buddy-movie de deux heures et demie qui réalise des scores astronomiques aux USA. Les jeunes adorent, les autres sont divisés : certains y voient le film de trop dans la courte carrière de Will Smith, accusant le film de prôner les discriminations en tous genres et de faire l'apologie de la drogue, quand les autres s'éclatent en se livrant à des analyses psychanalytiques d'un film qui en dit plus que ce qu'il semble. Ce sera ensuite I, robot (2004), où Alex Proyas le préfère à Tom Cruise (encore). Réaliste, Smith considère que le fait d'être noir est sans doute un atout : « C'est génial d'être noir à Hollywood. Quand un acteur noir fait quelque chose, ça a forcément l'air nouveau et différent, juste parce qu'il est noir. En ce sens, c'est beaucoup plus facile pour moi que pour Pitt ou Cruise ». En tout cas, dans I, robot, il est parfait, apportant une décontraction bienvenue à un film de SF relativement sombre.

 

 

Après avoir prêté sa voix (et son visage) au héros de Gang de requins (2004), il joue à nouveau les beaux gosses dans Hitch (2005), où il donne des cours de drague mais ne sait pas s'y prendre avec la bombesque Eva Mendes. Succès interplanétaire pour cette comédie sympathique, qui l'impose encore un peu plus comme le grand frère idéal de tous les spectateurs de moins de 20 ans. Un statut qui lui convient plutôt bien, même si À la recherche du bonheur lui permet de jouer enfin les adultes. Aux côtés de son fils Jaden, Will incarne un chef de famille avec de vrais problèmes sérieux : trouver un job et assurer ainsi à son fils un avenir décent. Quoi que l'on pense du film, il faut bien reconnaître que l'acteur Smith a pris une nouvelle dimension, élargissant sa palette et se montrant prêt à incarner des personnages plus sages, moins extravagants (sans arrêter cependant de faire le clown de temps en temps). Bientôt quadragénaire, le Prince est devenu grand. « À trente ans, ça a été le déclic. Je suis devenu plus mûr. Et meilleur au lit ». On ne changera jamais mister Cool.

 

Mais la coolitude seule ne nourrit pas un homme : et Smith d'enchaîner les succès avec une précision de métronome. D'abord avec le carton Je suis une légende (2007), qui confirme sa prédisposition à jouer des personnages graves et pas forcément écrits pour un acteur noir. Ensuite avec cet Hancock réjouissant de mauvaise humeur et d'énergie plus ou moins positive. L'air de rien, ce rôle de super-héros marginal montre lui aussi que Will Smith a évolué, dans dans sa propre condition de comédien que dans le regard du public : les gens se ruent dans les salles pour le voir évoluer, plus attirant que les cargaisons d'effets spéciaux qui l'entourent. Smith a trouvé son style et sa voie, et tout le monde s'y retrouve. On n'a pas fini d'entendre parler de ce grand black aux oreilles décollées.

 

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