Guillermo Del Toro - Une histoire (loin d’être) inachevée…

Flavien Bellevue | 6 novembre 2006
Flavien Bellevue | 6 novembre 2006

Qui aurait parié, lors du festival de Cannes 1993, que derrière le film Cronos se cachait un auteur-réalisateur aussi riche et vaste que son univers ? Personne ou presque. Le mexicain Guillermo Del Toro débarque donc sur la Croisette avec un premier film sur le thème du vampire mais qui, de prime abord, n'en est pas un. Originalité en soi pour beaucoup, faiblesse pour certains, Cronos ouvrira tout de même quelques portes du monde du cinéma à son auteur et sera le début d'une carrière internationale non sans embûches, sous le signe du fantastique. Pour découvrir et comprendre l'univers de Guillermo Del Toro, un petit retour en arrière s'impose.

Né le 9 octobre 1964 à Guadalajara, Jalisco au Mexique, Guillermo Del Toro voit le jour dans une famille où le catholicisme est omniprésent et se retrouve vite dans un institut jésuite pour garçons. Elevé en partie par sa grand-mère qu'il affectionne beaucoup et à qui il rendra hommage dans son premier film, Del Toro sera finalement introduit au monde du cinéma de genre par son oncle. Á huit ans, son goût pour le cinéma, le fantastique en particulier, se précise déjà avec le tournage d'un court-métrage Super 8 avec des figurines issues de La planète des singes, ketchup compris. Il va sans dire durant cette période que le jeune mexicain nourrit son imaginaire avec une quantité incalculable de films, d'icônes et d'images graphiques véhiculées entre autres par les romans de H.P Lovecraft, les peintures de Goya et les bédés de Carlos Gimenez et Jack Kirby. Comme bon nombre de metteurs en scène de cinéma fantastique, Guillermo Del Toro parfait d'abord sa culture cinématographique avec des films du genre (notamment les films de la Hammer et de Mario Bava) avant de l'étendre aux classiques. Naturellement, le jeune Guillermo s'inscrit à des cours de cinéma et apprend le scénario entre autres aux côtés de l'illustre réalisateur mexicain Jaíme Humberto Hermosillo et participe déjà en tant qu'intervenant à des séminaires cinématographiques à l'âge de 15 ans. Passionné par les effets spéciaux, Del Toro s'envole pour les Etats-Unis où il apprendra les ficelles du métier avec Dick Smith, légendaire spécialiste du maquillage pour effets spéciaux qui débuta sa carrière sur Appelez nord 777 (1948) d'Henry Hathaway mais à qui on doit surtout les maquillages de L'Exorciste 1 et 2 ou encore Scanners de David Cronenberg.

Fort de cette expérience, il revient au Mexique où il projette de créer sa propre société d'effets spéciaux baptisée Necropia en vue de la réalisation de Cronos. Entre temps, son professeur J. Humberto Hermosillo lui propose de devenir le producteur de son film Dona Herlinda et son fils (1985). Après trois ans d'écriture et une recherche vaine de financements pour monter Cronos, Guillermo Del Toro se tourne vers la production de courts métrages ainsi qu'à la réalisation et à l'écriture pour la télévision. Une période qui durera près de dix ans où il occupera également le poste de maquilleur jusqu'en 1993 alors que son nom et celui de Necropia commencent à résonner au Mexique grâce à la notoriété de ses courts métrages acquise à travers quelques festivals internationaux ainsi qu'à la participation de Necropia en 1986, à la série mexicaine Hora Marcada, variante locale des Contes de la crypte. Assoiffé de cinéma et toujours partant pour partager sa passion (même si lui-même déclare que c'est bien plus que cela), le jeune réalisateur participe à l'élaboration de l'école de cinéma de Guadalajara ainsi qu'au premier festival de la ville. Il voguera dans les eaux journalistiques quelques temps également, ce qui lui permettra d'écrire un livre sur un de ses réalisateurs préférés, Alfred Hitchcock.

Avec le succès de la série Hora Marcada dont Del Toro signe trois épisodes, et grâce à son épouse et à quelques membres de la famille de son chef opérateur Guillermo « Memo » Navarro, Del Toro trouve un financement suffisant pour réaliser Cronos. Après avoir absorbé une impressionnante quantité de films de genre, c'est sans surprise que le jeune réalisateur mexicain choisit une relecture du mythe du vampire pour son premier long métrage. Relations oncle/grand-mère et fille, un « bad guy » humain comique face à un « bad guy » inhumain, tous deux avides de pouvoir, insectes/monstres en rapport avec le sang, le tout baigné dans une photo quadrichrome (bleu, jaune doré, rouge et vert) malgré quelques effets de noirs et de blancs ; rares sont les premières œuvres où un jeune cinéaste arrive à imposer visuellement son univers avec une maîtrise digne d'un grand cinéaste. Succès d'estime lors de sa sortie en France, Cronos retentit dans le monde du fantastique au point de récolter bons nombres de récompenses ; des neufs Ariels (césars mexicains) aux Saturn awards en passant par les festivals fantastiques de Bruxelles et de Porto (Fantasporto), le film va donc démarrer la carrière de Guillermo Del Toro et le conduire aux portes de la Mecque du cinéma : Hollywood.

Pour tous réalisateurs de fantastique et d'horreur, Hollywood est le lieu rêvé pour mettre en images ses visions horrifiques et fantastiques mais il faut bien sûr avoir un moral en béton et s'armer de patience face aux majors et autres « executives » pour imposer sa patte. C'est donc dans la douleur que Guillermo Del Toro réalise en 1997 Mimic avec la firme Miramax. Le résultat donne un film qui dévie progressivement de son projet initial pour donner un pseudo film fantastique d'action où les aliens ont été remplacés par des insectes. Malgré un énorme succès au box office, Del Toro sort de cette expérience, frustré et décide de rentrer au Mexique. Là-bas, il change la structure de Necropia pour former le Tequila Gang avec les productrices Bertha Navarro (Cronos) et Rosa Bosch (Buena vista social club), la scénariste et romancière Laura Esquivel (Like water for chocolate), et le réalisateur Alfonso Cuarón (Y tu mama tambien, Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban). Ils vont produire Under a spell de Carlos Carrera (futur réalisateur du célèbre film qui révéla l'acteur Gael Garcia Bernal, Le crime du père Amaro) en 1997 avant de se joindre à Pedro et Agustin Almodovar pour le prochain projet de Guillermo Del Toro, L'échine du diable.

Rencontrés une première fois lors du festival de Los Angeles de 1993, les frères fondateurs de la production El Deseo vont enfin donner toute la latitude à Del Toro pour mettre en images sa foisonnante créativité. Cette opportunité va lui permettre de travailler sur un projet de longue date qui lui tient à coeur et dont il avait déjà parlé aux frères Almodovar depuis 1993. C'est alors qu'il est contacté par New Line Cinéma pour donner suite à la série du chasseur de vampire Blade. Après la mésaventure Mimic, Guillermo Del Toro assure ses arrières en imposant quelques conditions : Il filmerait tous les plans du film (pas de real de seconde ou de troisième équipe donc) et il tournerait le film qu'une fois L'échine du diable mis en boîte. Conscient du potentiel du réalisateur mexicain, New Line n'a pu qu'attendre son retour… Del Toro s'installe donc en Espagne pour tourner L'échine du diable son film le plus personnel depuis ses débuts grâce à un budget bien plus confortable que Cronos, une plus grosse équipe de production à son écoute et un carnet de notes des plus fournis puisque, au fil des ans, Del Toro y annotait toutes les idées qu'il avait en tête. Le mythe du vampire se transforme pour celui du fantôme et implique des enfants dans un orphelinat sur fond de guerre d'Espagne. En ressort un film maîtrisé de bout de bout où le fantastique est au second plan pour mieux approfondir les relations entre les personnages. Les éléments qui étaient dans son premier film et qui ont bâti son univers sont ici décuplés et comblent les fans de la première heure. Sorti en 2001, L'échine du diable fut nominée à de nombreux festivals (le film reçu trois prix à Gérardmer) et cérémonies dont les Goya (césar espagnols).

L'année suivante Del Toro enchaîne donc avec Blade 2 bien qu'auparavant il occupe le poste de producteur exécutif sur le film d'Antonio Urrutia I murder seriously. Sur le tournage de Blade 2, Del Toro quitte son acteur fétiche Federico Luppi avec qui il vient de tourner L'échine du diable pour en retrouver un autre, Ron Perlman. Bien que ce dernier joue ici les seconds couteaux du côté vampire, son imposante silhouette sera tout de même remarqué par les inconditionnels de l'acteur notamment grâce à un jeu humoristique. Adaptation du comic book éponyme, Blade 2 sera pour Guillermo Del Toro l'occasion de retrouver dans le tandem Whisler / Blade, la filiation père ou oncle / fils qu'il aime explorer tandis que Nomak et son père forment le tandem que formaient déjà Ron Perlman et Claudio Brook dans Cronos. Del Toro embarque une fois de plus son fidèle chef opérateur G. Navarro qui lui avait fait défaut pour Mimic (il était remplacé par Dan Laustsen) pour travailler, avec brio, ses quatre couleurs de prédilection. Ravi de l'expérience avec un succès à la clé, Guillermo Del Toro reste confiant pour travailler de nouveau avec un studio américain. Il réitère donc l'adaptation de comic book, cette fois ci avec les studios Sony Columbia Pictures avec qui Hellboy prend vie en 2004. Cela lui permet de mettre Ron Perlman dans la peau du personnage écarlate et par là d'exposer tout le potentiel insoupçonné de l'acteur et de travailler avec le célèbre Rick Baker pour les fabuleux maquillages du film. Sensiblement différent de Blade 2, Hellboy comblera les fans du comic book autant que les fans du réalisateur où il explore un peu plus profondément que d'habitude le thème de la romance. Nouveau succès pour le réalisateur mexicain qui semble, là, trouver sa voie dans la jungle hollywoodienne. Que cela ne tienne, le réalisateur s'éloigne des collines d'Hollywood pour retourner en Espagne pour y signer une nouvelle histoire ancrée autour de la guerre d'Espagne, Le Labyrinthe de Pan.

Avec ce film, Guillermo Del Toro prend le risque de marier le monde des contes de fées et le fascisme pour mieux réfléchir sur le pouvoir et sa fascination. Politiquement engagé, Del Toro donne naissance à un « bestiaire » unique (une ordure fasciste des plus coriaces face aux montres féeriques fantasmés par la jeune Ofélia) à son univers. Un univers qui se retrouve scindé en deux et qui peut en dérouter plus d'un ; preuve que le réalisateur peut encore surprendre tant on pense connaître les méandres de son univers. De ce fait, Guillermo Del Toro est bel et bien un auteur qui a su imposer son style, quasiment sa marque de fabrique. Une marque qu'il inscrit une fois de plus à Hollywood puisqu'en ce moment, le réalisateur mexicain s'attelle à Hellboy 2 : The Golden army suite du premier film signé chez Sony mais qui, pour l'occasion, passe chez Universal Pictures suite à un désaccord ; preuve d'une forte intégrité de l'auteur... Bien qu'il prépare Hellboy 2, Del Toro pense déjà à un troisième film autour de la guerre d'Espagne dont le projet s'intitulerait 3993. Si ce projet se concrétise, nul doute qu'il constituerait une formidable trilogie sur la guerre d'Espagne dont l'auteur aura eu l'audace d'y mêler le fantastique. Avec des multiples projets en gestation dont une adaptation du Comte de Monte Cristo, Guillermo Del Toro possède définitivement une histoire loin d'être inachevée…

Tout savoir sur Le labyrinthe de Pan

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