Guillermo Del Toro - Une histoire (loin dêtre) inachevée
Qui aurait parié, lors du festival de Cannes 1993, que derrière le film Cronos se cachait un auteur-réalisateur aussi riche et vaste que son univers ? Personne ou presque. Le mexicain Guillermo Del Toro
débarque donc sur la Croisette avec un premier film sur le thème du
vampire mais qui, de prime abord, n'en est pas un. Originalité en soi
pour beaucoup, faiblesse pour certains, Cronos ouvrira
tout de même quelques portes du monde du cinéma à son auteur et sera le
début d'une carrière internationale non sans embûches, sous le signe du
fantastique. Pour découvrir et comprendre l'univers de Guillermo Del
Toro, un petit retour en arrière s'impose.
Né le 9 octobre 1964 à Guadalajara, Jalisco au Mexique, Guillermo
Del Toro voit le jour dans une famille où le catholicisme est
omniprésent et se retrouve vite dans un institut jésuite pour garçons.
Elevé en partie par sa grand-mère qu'il affectionne beaucoup et à qui
il rendra hommage dans son premier film, Del Toro sera finalement
introduit au monde du cinéma de genre par son oncle. Á huit ans, son
goût pour le cinéma, le fantastique en particulier, se précise déjà
avec le tournage d'un court-métrage Super 8 avec des figurines issues
de La planète des singes,
ketchup compris. Il va sans dire durant cette période que le jeune
mexicain nourrit son imaginaire avec une quantité incalculable de
films, d'icônes et d'images graphiques véhiculées entre autres par les
romans de H.P Lovecraft, les peintures de Goya et les bédés de Carlos
Gimenez et Jack Kirby. Comme bon nombre de metteurs en scène de cinéma
fantastique, Guillermo Del Toro parfait d'abord sa culture
cinématographique avec des films du genre (notamment les films de la
Hammer et de Mario Bava)
avant de l'étendre aux classiques. Naturellement, le jeune Guillermo
s'inscrit à des cours de cinéma et apprend le scénario entre autres aux
côtés de l'illustre réalisateur mexicain Jaíme Humberto Hermosillo et
participe déjà en tant qu'intervenant à des séminaires
cinématographiques à l'âge de 15 ans. Passionné par les effets
spéciaux, Del Toro s'envole pour les Etats-Unis où il apprendra les
ficelles du métier avec Dick Smith, légendaire spécialiste du
maquillage pour effets spéciaux qui débuta sa carrière sur Appelez nord 777 (1948) d'Henry Hathaway mais à qui on doit surtout les maquillages de L'Exorciste 1 et 2 ou encore Scanners de David Cronenberg.
Fort de cette expérience, il revient au Mexique où il projette de créer
sa propre société d'effets spéciaux baptisée Necropia en vue de la
réalisation de Cronos. Entre temps, son professeur J. Humberto Hermosillo lui propose de devenir le producteur de son film Dona Herlinda et son fils (1985). Après trois ans d'écriture et une recherche vaine de financements pour monter Cronos,
Guillermo Del Toro se tourne vers la production de courts métrages
ainsi qu'à la réalisation et à l'écriture pour la télévision. Une
période qui durera près de dix ans où il occupera également le poste de
maquilleur jusqu'en 1993 alors que son nom et celui de Necropia
commencent à résonner au Mexique grâce à la notoriété de ses courts
métrages acquise à travers quelques festivals internationaux ainsi qu'à
la participation de Necropia en 1986, à la série mexicaine Hora Marcada, variante locale des Contes de la crypte.
Assoiffé de cinéma et toujours partant pour partager sa passion (même
si lui-même déclare que c'est bien plus que cela), le jeune réalisateur
participe à l'élaboration de l'école de cinéma de Guadalajara ainsi
qu'au premier festival de la ville. Il voguera dans les eaux
journalistiques quelques temps également, ce qui lui permettra d'écrire
un livre sur un de ses réalisateurs préférés, Alfred Hitchcock.
Avec le succès de la série Hora Marcada
dont Del Toro signe trois épisodes, et grâce à son épouse et à quelques
membres de la famille de son chef opérateur Guillermo « Memo » Navarro,
Del Toro trouve un financement suffisant pour réaliser Cronos.
Après avoir absorbé une impressionnante quantité de films de genre,
c'est sans surprise que le jeune réalisateur mexicain choisit une
relecture du mythe du vampire pour son premier long métrage. Relations
oncle/grand-mère et fille, un « bad guy » humain comique face à un «
bad guy » inhumain, tous deux avides de pouvoir, insectes/monstres en
rapport avec le sang, le tout baigné dans une photo quadrichrome (bleu,
jaune doré, rouge et vert) malgré quelques effets de noirs et de blancs
; rares sont les premières uvres où un jeune cinéaste arrive à imposer
visuellement son univers avec une maîtrise digne d'un grand cinéaste.
Succès d'estime lors de sa sortie en France, Cronos
retentit dans le monde du fantastique au point de récolter bons nombres
de récompenses ; des neufs Ariels (césars mexicains) aux Saturn awards
en passant par les festivals fantastiques de Bruxelles et de Porto
(Fantasporto), le film va donc démarrer la carrière de Guillermo Del
Toro et le conduire aux portes de la Mecque du cinéma : Hollywood.
Pour tous réalisateurs de fantastique et d'horreur, Hollywood est le
lieu rêvé pour mettre en images ses visions horrifiques et fantastiques
mais il faut bien sûr avoir un moral en béton et s'armer de patience
face aux majors et autres « executives » pour imposer sa patte. C'est
donc dans la douleur que Guillermo Del Toro réalise en 1997 Mimic
avec la firme Miramax. Le résultat donne un film qui dévie
progressivement de son projet initial pour donner un pseudo film
fantastique d'action où les aliens ont été remplacés par des insectes.
Malgré un énorme succès au box office, Del Toro sort de cette
expérience, frustré et décide de rentrer au Mexique. Là-bas, il change
la structure de Necropia pour former le Tequila Gang avec les
productrices Bertha Navarro (Cronos) et Rosa Bosch (Buena vista social club), la scénariste et romancière Laura Esquivel (Like water for chocolate), et le réalisateur Alfonso Cuarón (Y tu mama tambien, Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban). Ils vont produire Under a spell de Carlos Carrera (futur réalisateur du célèbre film qui révéla l'acteur Gael Garcia Bernal, Le crime du père Amaro) en 1997 avant de se joindre à Pedro et Agustin Almodovar pour le prochain projet de Guillermo Del Toro, L'échine du diable.
Rencontrés une première fois lors du festival de Los Angeles de 1993, les frères fondateurs de la production El Deseo
vont enfin donner toute la latitude à Del Toro pour mettre en images sa
foisonnante créativité. Cette opportunité va lui permettre de
travailler sur un projet de longue date qui lui tient à coeur et dont
il avait déjà parlé aux frères Almodovar depuis 1993. C'est alors qu'il
est contacté par New Line Cinéma pour donner suite à la série du
chasseur de vampire Blade. Après la mésaventure Mimic,
Guillermo Del Toro assure ses arrières en imposant quelques conditions
: Il filmerait tous les plans du film (pas de real de seconde ou de
troisième équipe donc) et il tournerait le film qu'une fois L'échine du diable
mis en boîte. Conscient du potentiel du réalisateur mexicain, New Line
n'a pu qu'attendre son retour
Del Toro s'installe donc en Espagne pour
tourner L'échine du diable son film le plus personnel depuis ses débuts grâce à un budget bien plus confortable que Cronos,
une plus grosse équipe de production à son écoute et un carnet de notes
des plus fournis puisque, au fil des ans, Del Toro y annotait toutes
les idées qu'il avait en tête. Le mythe du vampire se transforme pour
celui du fantôme et implique des enfants dans un orphelinat sur fond de
guerre d'Espagne. En ressort un film maîtrisé de bout de bout où le
fantastique est au second plan pour mieux approfondir les relations
entre les personnages. Les éléments qui étaient dans son premier film
et qui ont bâti son univers sont ici décuplés et comblent les fans de
la première heure. Sorti en 2001, L'échine du diable fut nominée à de nombreux festivals (le film reçu trois prix à Gérardmer) et cérémonies dont les Goya (césar espagnols).
L'année suivante Del Toro enchaîne donc avec Blade 2 bien qu'auparavant il occupe le poste de producteur exécutif sur le film d'Antonio Urrutia I murder seriously. Sur le tournage de Blade 2, Del Toro quitte son acteur fétiche Federico Luppi avec qui il vient de tourner L'échine du diable pour en retrouver un autre, Ron Perlman.
Bien que ce dernier joue ici les seconds couteaux du côté vampire, son
imposante silhouette sera tout de même remarqué par les inconditionnels
de l'acteur notamment grâce à un jeu humoristique. Adaptation du comic
book éponyme, Blade 2 sera pour Guillermo Del Toro
l'occasion de retrouver dans le tandem Whisler / Blade, la filiation
père ou oncle / fils qu'il aime explorer tandis que Nomak et son père
forment le tandem que formaient déjà Ron Perlman et Claudio Brook dans Cronos. Del Toro embarque une fois de plus son fidèle chef opérateur G. Navarro qui lui avait fait défaut pour Mimic (il était remplacé par Dan Laustsen)
pour travailler, avec brio, ses quatre couleurs de prédilection. Ravi
de l'expérience avec un succès à la clé, Guillermo Del Toro reste
confiant pour travailler de nouveau avec un studio américain. Il
réitère donc l'adaptation de comic book, cette fois ci avec les studios
Sony Columbia Pictures avec qui Hellboy
prend vie en 2004. Cela lui permet de mettre Ron Perlman dans la peau
du personnage écarlate et par là d'exposer tout le potentiel
insoupçonné de l'acteur et de travailler avec le célèbre Rick Baker pour les fabuleux maquillages du film. Sensiblement différent de Blade 2, Hellboy
comblera les fans du comic book autant que les fans du réalisateur où
il explore un peu plus profondément que d'habitude le thème de la
romance. Nouveau succès pour le réalisateur mexicain qui semble, là,
trouver sa voie dans la jungle hollywoodienne. Que cela ne tienne, le
réalisateur s'éloigne des collines d'Hollywood pour retourner en
Espagne pour y signer une nouvelle histoire ancrée autour de la guerre
d'Espagne, Le Labyrinthe de Pan.
Avec ce film, Guillermo Del Toro prend le risque de marier le monde
des contes de fées et le fascisme pour mieux réfléchir sur le pouvoir
et sa fascination. Politiquement engagé, Del Toro donne naissance à un
« bestiaire » unique (une ordure fasciste des plus coriaces face aux
montres féeriques fantasmés par la jeune Ofélia) à son univers. Un
univers qui se retrouve scindé en deux et qui peut en dérouter plus
d'un ; preuve que le réalisateur peut encore surprendre tant on pense
connaître les méandres de son univers. De ce fait, Guillermo Del Toro
est bel et bien un auteur qui a su imposer son style, quasiment sa
marque de fabrique. Une marque qu'il inscrit une fois de plus à
Hollywood puisqu'en ce moment, le réalisateur mexicain s'attelle à Hellboy 2 : The Golden army suite du premier film
signé chez Sony mais qui, pour l'occasion, passe chez Universal
Pictures suite à un désaccord ; preuve d'une forte intégrité de
l'auteur... Bien qu'il prépare Hellboy 2, Del Toro pense déjà à un troisième film autour de la guerre d'Espagne dont le projet s'intitulerait 3993.
Si ce projet se concrétise, nul doute qu'il constituerait une
formidable trilogie sur la guerre d'Espagne dont l'auteur aura eu
l'audace d'y mêler le fantastique. Avec des multiples projets en
gestation dont une adaptation du Comte de Monte Cristo, Guillermo Del Toro possède définitivement une histoire loin d'être inachevée