The Leftovers : retour réussi du créateur de Lost, Damon Lindelof ?

Simon Riaux | 30 juin 2014
Simon Riaux | 30 juin 2014

Quatre ans après Lost, Damon Lindelof revient au format qui l'a fait connaître avec une série produite en grande pompe par HBO : The Leftovers. Mystères, personnages déboussolées et Amérique au bord du gouffre sont les ingrédients de cette fiction qui entend bien s'imposer après True Detective comme l'autre trouvaille de la chaîne cryptée. À quelques heures de la diffusion du pilote en France, nous revenons sur le show, qui pourrait bien être l'évènement de l'été. Attention, le texte qui suit contient de (petits) spoilers.

 

Alors que seul le public américain et les pirates les plus pressés ont déjà découvert les 70 premières minutes de The Leftovers, la série fait d'ores et déjà figure d'évènement majeur de l'année télévisuelle. Porté aux nues ou haï suite à la conclusion gentiment bidon de LostDamon Lindelof ne s'est pas fait que des amis au cours des quatre dernières années. Appelé en renfort sur les scénarios de Prometheus ou encore World War Z, le scénariste est un objet de détestation sur les réseaux sociaux, une sorte de pinata facile pour tous les trolls des Internets. On aurait vite fait d'assassiner le fringant quadragénaire, en oubliant qu'il aura su fédérer autour de son travail des millions de fans, ou en le tenant pour responsable d'échecs dus à la logique des studios plus qu'à ses carences supposées. La preuve, même HBO lui fait confiance.

Il faut dire que la chaîne câblée s'est donné les moyens d'assoir son nouveau programme. Promotion importante et intrigante, pilote long de plus d'une heure, réalisation signée Peter Berg (qui s'octroie même un petit rôle), bande originale soignée et casting pertinent, rien ne manque pour attirer le spectateur orphelin de Game of thrones. Lindelof paraît même avoir digéré le tollé provoqué par la conclusion de Lost et compare plus volontiers son nouveau bébé à un certain Friday night lights... La série s'inspirant d'un roman éponyme de Tom Perrotta qui a fait le bonheur de Stephen King, les compliments du maître de l'horreur ont été abondamment cités pour paver l'arrivée du show. Mais de quoi est-il question au juste ?

 

 

 

 

Dans la petite ville de Mapleton, 2% de la population a subitement disparu un beau matin. Comme dans le reste du monde, où se sont au total des dizaines de millions de personnes qui se sont brusquement volatilisées. Détresse, anarchie, choc économique, cet événement en apparence surnaturel pose d'innombrables questions et traumatise durablement une Amérique en perte de repères. Trois ans plus tard, chacun tente de reconstruire son existence à Mapleton, notamment le chef de la police, qui ne sait plus où donner de la tête entre sa fille mutique, son fils engagé aux côtés d'un mystérieux personnage et son épouse, qui a rejoint un groupuscule religieux des plus inquiétant, où la parole est proscrite. Alors qu'approche la commémoration des disparitions, les tensions s'exacerbent, tandis que les animaux agissent de plus en plus bizarrement.

Voilà pour le pitch, très bien servi par Justin Theroux, Liv Tyler, Christopher Eccleston et Amy Brenneman. Les 70 premières minutes de The Leftovers ne nous en apprendront pas beaucoup plus, se contentant de cartographier la détresse d'une petite ville ainsi que les relations complexes qui (dés)unissent la famille de Justin Theroux. La réalisation de Peter Berg se veut dénuée d'emphase ou d'effets de style trop voyants, concentrée sur les corps et leur gestion de l'espace, comme pour mieux consacrer les subtiles dissonances d'une société en proie à une angoisse existentielle généralisée. La bande-son, parfois un poil trop systémique, fait le job comme on dit, grâce à un thème principal entêtant. La photographie est efficace et discrète, le ton de l'ensemble se voulant mature et crédible. Bref, la patte HBO se fait sentir, pas question que ce nouveau show ressemble en quoi que ce soit aux divers échecs de science-fiction post-Lost (Revolution ? Vous avez dit Revolution ?).

 

 

 

 

Quoiqu'il en soit, la signature de Lindelof est évidente. On retrouve le goût de l'auteur pour les flash-backs intempestifs et sa science du décalage, qui permit à Lost de nous tenir en haleine malgré ses carences narratives. De même, la série nous fait rapidement profiter du talent de son showrunner pour brouiller les pistes. Ainsi, si la piste religieuse se dessine et peut sembler logique, les évènements décrits dans The Leftovers paraissent bien différent des évènements bibliques annoncés dans l'Apocalypse ou la littérature de la fin des temps en général. De ce tableau chaotique naît une certaine angoisse, doublée d'un sentiment de trouble palpable, au fur et à mesure que se brouillent les pistes et que le spectateur se demande qui sont les plus perdus ou dangereux des citoyens de Mapleton. Faut-il se méfier de cet homme patibulaire, tueur de chiens à ses heures perdues, les fous sont-ils ceux qui luttent pour retrouver une vie normale, ou les étranges croyants qui hantent la ville, murés dans le silence et la cigarette au bec ? L'inquiétante étrangeté qui se dégage de ce pilote est une belle réussite, que l'on a clairement envie de découvrir plus avant.

 

 

 

Pour un peu, on serait presque tenté de se lancer déjà dans une exégèse délirante. Et si la population traumatisée de The Leftovers n'était autre que nous, le public, désemparé après un drame semblable à l'épilogue de Lost ? Au-delà du clin d'œil pernicieux, ce parallèle peut amuser mais aussi enrichir une œuvre dont on ne peut qu'essayer de deviner les tenants et aboutissants pour le moment, uen œuvre susceptible de parler au spectateur en lui présentant des protagonistes en suspend, victime d'angoisse et de manque. Une situation qui effectivement, n'est pas sans rappeler la condition même du spectateur de série, dont la quête perpétuelle de réponses ne peut que déboucher sur une frustration. 

 

Néanmoins, cette première incursion dans le monde chamboulé de The Leftovers n'est pas une réussite à tous les niveaux. On a ainsi l'impression que ce ne sont pas 2%, mais bien 10 ou 15% des habitants qui se sont volatilisés, tant le nombre de personnages touchés par l'étrange phénomène est important. De même, on a encore un peu de mal à croire au traumatisme général provoqué par le phénomène. En effet (et comme le rappelle maladroitement le pilote) des cataclysmes tels que la grippe espagnole ou la peste ont provoqué des baisses de population comparables, sans provoquer nécessairement les troubles que l'on devine dans la série. On est également circonspect sur l'intrigue, loin d'avoir démarré après 70 minutes. Bien sûr, il reste encore 9 épisodes à Lindelof pour nous accrocher, et le bougre devait bien commencer par nous présenter ses personnages. Mais, si comme il le dit ici et là, il entend ne pas résoudre les principaux mystères posés par l'intrigue, on se demande bien dans quelle direction tout cela va nous emmener.

 

 

 

 

Enfin, on ne manquera pas de remarquer certains traits particuliers peut-être trop marqués. On a mentionné les nombreux flash-backs (au demeurant très bien exécutés), le rôle tenus par les animaux, ou encore la « débauche » d'une certaine jeunesse désœuvrée. Ces ingrédients sont très (trop) typiques de l'auteur de la série, ou de la chaîne derrière lui. Attention donc à ne pas s'enfermer dans une version pompière et arty de Lost. Les attentes du public ont changé, on ne lui refera plus le coup de l'écriture automatique, ni des rebondissements anarchiques et encore moins celui de la conclusion en queue de poisson.

 

Ce premier épisode remplit incontestablement son but et sait nous réserver son lot d'interrogations et de scènes marquantes, mais HBO doit désormais donner un coup d'accélérateur au spectacle, que The Leftovers dévoile son identité propre et offre à ses personnages en déshérence un terrain de jeu véritable.  

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