Walter Hill, de Charles Bronson à Sylvester Stallone (partie 2)

Simon Riaux | 25 avril 2014
Simon Riaux | 25 avril 2014

La sixième édition du Festival du film policier de Beaune fut l'occasion d'une rencontre exceptionnelle avec Walter Hill. Réalisateur du récent Bullet to the head avec Sylvester, il est surtout un des scénaristes et producteurs d'Alien, le metteur en scène d'œuvres inoubliables telles que 48 heures, Southern Comfort, Warriors ou encore Extreme Prejudice. Cet américain nourri aussi bien par l'héritage de Ford ou Raoul Walsh que celui de Claude Chabrol ou Melville est un des créateurs de formes les plus sous-estimés de sa génération. L'artiste incarne ce parcours éclectique et singulier avec une énergie sulfureuse, une capacité de synthèse et une volonté impressionnantes. À 72 ans, Walter Hill n'a rien perdu de sa force et du magnétisme qui le caractérisaient déjà quand il fut le jeune assistant de Peckinpah, comme en témoigne la première partie de cet entretien que nous a accordé le légendaire franc-tireur.

 

 

Si Du plomb dans la tête avec Stallone fonctionne, c'est justement parce que vous ne l'avez pas du tout envisagé comme un come-back.

On m'a accusé de le faire juste pour l'argent. Mais on m'a accusé d'à peu près tout. C'est Sly qui m'a appelé en réalité. Je n'ai pas développé le projet comme je le fais d'habitude. Avec Stallone, on a toujours voulu travailler ensemble, sans en avoir l'opportunité. Je l'ai toujours apprécié. On me demande souvent pourquoi. Arnold Schwarzenegger est un phénomène : c'est un business man, un politicien, une star, un body builder... Qu'est-ce que voulez faire d'un type comme ça ? Sly est un acteur.

Il a toujours voulu être un acteur. C'était un jeune homme, il a choisi, il a étudié, il a échoué, n'a pas eu de rôle, il a connu la faim. Pas très longtemps, il est devenu célèbre jeune, mais après une vraie période de vaches maigres. Quand vous crevez de faim le temps passe très lentement. Il est passé au travers de ces auditions où on vous dit : « ne revenez pas », « vous n'êtes pas fait pour ça ». Et il a choisi de faire un certain type de films. On pourrait d'ailleurs remettre en question ce choix, mais il a cette capacité exceptionnelle à émouvoir les gens, grâce à son visage, ses yeux, son cœur.


Il incarne vraiment une certaine Amérique...

Oui. Je l'ai trouvé très bon dans le film. Il a fait un super boulot. Je lui ai dit que je ne voulais pas qu'il en fasse des tonnes. Je voulais qu'il dégage ce qu'il dégage quand on discute tous les deux. Il s'y est tenu. Je dis toujours, quand on me parle de mon talent pour les séquences d'action (ce qui est une bonne chose ceci dit, surtout quand on réalise des films d'action), que j'ai toujours accordé beaucoup d'importance aux performances des acteurs dans mes films. Je ne les apprécie pas tous bien sûr, mais par exemple, Charles Bronson est très bon dans Le Bagarreur. Personne ne le considérait alors comme un excellent acteur et il est formidable dans le film. De la même manière que Sly est très bon dans Du plomb dans la tête.

 

 

En parlant avec mes collgèues et d'autres journalistes qui vous ont interviewé, je me suis rendu compte que nous avions tous beaucoup de questions à vous poser sur Alien. N'êtes-vous pas surpris, des décennies après la sortie du film, que l'on vous interroge encore à ce sujet ?

Et bien oui, ça me surprend de voir comme tout cela dure ! C'est un excellent film, et c'était tout aussi excellent d'y participer, de bien des manières. Ridley a fait un boulot incroyable, je pense que c'est son meilleur film. Le script sur lequel j'ai travaillé s'est avéré un très bon script. Sigourney... Ça a été un de nos principaux combats. Les studios, surtout à l'époque, n'aiment pas faire ce genre de films sans star, nous leur avons dit, le film marchera infiniment mieux avec une inconnue. La menace sera beaucoup plus forte et globale. Remporter cette bataille a été difficile. Mais parfois les studios acceptent. La plupart ne l'auraient pas fait, mais cette fois ça a été le cas.

Ils y sont allés à reculons, ils hésitaient, mais ils y sont allés.

On se disait que c'était grâce à l'assistante. Une assistante qui était toujours avec les exécutifs des studios et qu'ils écoutaient. Quand on leur a montré un test avec Sigourney Weaver, ils se sont tournés vers leur assistante qui a dit : « Je l'adore, on dirait Jane Fonda ! » C'était gagné, et on a pu faire le film.

Je garde de bons souvenirs de tout ça, pas comme O'Bannon, qui a vécu ça... Son script est en ligne, si vous voulez vous faire une idée, il suffit d'aller le lire. Que les gens le lisent et arrêtent de tourner en boucle les mêmes citations... Je ne veux pas dire du mal de lui de toute façon. Il est mort. Il a fait quelques déclarations malvenues et... Il a eu des moments difficiles, ce n'était pas quelqu'un d'heureux. Il était un peu perdu.

Récemment, quels sont les films qui vous ont marqué ?

J'aime énormément La Grande Bellezza, j'y retrouve l'esprit des maîtres italiens du début des années 60. Certains ont pensé que ça allait trop loin dans ce sens là. Mais j'aime ça, j'aime ces films et j'aime en retrouver un peu l'esprit. Sinon... Voyons voir... Il n'y a pas grand chose. Je crois pourtant avoir vu un ou deux trucs qui m'ont plus ces derniers temps, mais j'arrive à l'âge où on a un peu de mal. Quels étaient les Oscars cette année ?


Gravity...

Physiquement, j'ai trouvé que c'était un incroyable accomplissement. La caractérisation des personnages, nécessitait peut-être un peu plus de boulot, mais je nierai vous avoir dit ça. Vous ne préférez pas qu'on parle d'autre chose ?


Si. Il y a quelques semaines, Paramount a annoncé qu'ils passaient définitivement au tout numérique et abandonnaient la pellicule. Je me demandais ce que ce genre d'évènement faussement anodin vous évoquait.

Le numérique a incroyablement progressé, on est désormais très proche de ce que permet la pellicule. Ce que j'en pense ? J'en pense que je suis devenu un vieux con nostalgique, comme tous les vieux. Je regrette un peu l'époque où il nous était possible de pratiquement toucher nos ancêtres cinématographiques, où nous avions un lien direct avec les pionniers comme Griffith. Ils faisaient la même chose que nous, ils chargeaient la caméra de pellicule, c'est ce que nous faisions aussi, avec des formats différents, de meilleures lentilles, et des caméras plus performantes. Mais c'était le même mouvement, on mettait le celluloïd dans le magasin, c'était la même mécanique, et cela nous connectait à nos origines. Je suis nostalgique de cette dimension organique.

Un copain cameraman me disait quelque chose qui illustre bien cela. Je peux aller au Steakhouse, je commande un steak, on me donne un steak. Et avec j'ai de bons couverts pour le découper, le manger et l'apprécier. Si je prends l'avion et que je commande un steak, on me donne un steak, il est tout aussi bon. Mais avec j'ai des couverts en plastique et même s'ils ne cassent pas et tranchent parfaitement la viande, l'expérience n'est pas la même.

Mais le numérique est là. En 1927, des réalisateurs qui faisaient des choses merveilleuses se sont trouvés restreints parce qu'on leur a dit : « vous ne pouvez plus faire ça, on va mettre un micro pour le son ». Ça a changé beaucoup de choses, altéré bien des films. On peut être nostalgique du muet, ils avaient atteint une maîtrise incroyable. Mais ça s'est achevé et il a fallu passer à autre chose, se dépasser.

Cette période a été essentielle, elle nous a appris à raconter sans mots, sans paroles, à inventer un langage visuel.

En effet. Nous avons eu beaucoup de chance que le cinéma naisse dénué de son. Attention, je suis ravi que les films actuels soient parlants ! Mais c'est une très bonne chose que ce soit arrivé dans un deuxième temps. Le muet nous a appris à trouver la grandeur du cinéma. Le glamour. À travers les plans larges, les mouvements, les plans de réaction, les contrechamps, les gros plans. Tous les grands principes sont nés très vite, avant l'arrivée du cinéma parlant. Des réalisateurs brillants ont défriché tout cela pour nous. En quinze ou vingt ans on est passé d'une narration très primitive à une narration incroyablement sophistiquée.

Tout le monde a compris quand le son est arrivé que l'art s'en retrouverait dans un premier temps diminué. Ils le savaient tous. Qu'il leur faudrait se battre pour retrouver le niveau de qualité des derniers films muets. Quand le cinéma parlant a débarqué, les studios se sont dit qu'ils leur fallait de nouveaux metteurs en scène pour un nouveau cinéma. Les anciens réalisateurs ont été très nombreux à disparaître. Mais les meilleurs ont continué et se sont encore améliorés, les Ford, les Walsh, les Hawks, qui ont réalisé quelques films incroyables, avaient été formés à l'école du muet. Ce n'est pas un hasard, ils étaient devenus de véritables artisans de la narration et ont apporté ça au parlant.

L'absence de son nous a permis d'apprendre très vite comment raconter des histoires au cinéma. Si le son était arrivé simultanément avec l'image animée, on en serait resté beaucoup plus longtemps au stade du théâtre filmé. La question de transmettre les émotions et de transporter le spectateur se serait faite moins évidente.


 

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