Festival de Valenciennes (4ème édition) : Dolan, Claudia et l'Afrique

Laurent Pécha | 24 mars 2014
Laurent Pécha | 24 mars 2014

Valenciennes le retour. Cela faisait huit ans qu’Ecran Large n’avait pas remis les pieds dans cette belle ville du nord de la France. Un sacré bail. Il était donc temps de remettre le couvert. Seulement, depuis 2006, il s’en est passé des choses, à commencer par la fin du festival du film d’aventures. Désormais, Valenciennes accueille une toute autre programmation de films, plus exigeante avec la ferme intention de proposer un panel de ce que le cinéma d’auteur peut proposer de meilleur tout en n’oubliant pas de mettre en avant les documentaires. L’association Atmosphères en charge du festival de Valenciennes, organise ainsi deux compétitions (6 films pour la section documentaires, 9 films pour la section fictions) et pour ce faire invite une multitude d’artistes pour décerner les différents prix. Un défilé de personnalités absolument impressionnant : 12 membres pour le jury compétition fictions, présidé par Etienne Chatiliez, 7 pour la section documentaires avec comme président Jean-Jacques Beineix. Sans oublier les jurys critiques (5 membres de la presse pour chaque compétition). Bref, à Valenciennes, un prix, cela se mérite et ça se débat surtout !

 


Mais non content d’être une manifestation riche en projections de films (outre les compétitions, cette année, on a pu (re)découvrir notamment 12 films mettant en avant la Grande Guerre comme La Grande illusion ou encore Les sentiers de la gloire, sans oublier le best of des filmographies des invités d’honneur que furent Claudia Cardinale et Agnès Varda), le festival de Valenciennes propose aussi d’en savoir plus sur les coulisses des métiers du cinéma. Cette année, les cascades et les trucages étaient à l’honneur avec notamment une conférence-débat où d’éminents spécialistes ont pu éclairer les lycéens et étudiants sur la conception complexe d’un film. On a pu ainsi entendre Patrick Cauderlier (coordinateur de cascades de légende qui a commencé sa carrière du temps de Bébel), le réalisateur Gérard Krawczyk ou encore Cyril « Banlieue 13 » Raffaelli (interview plus détaillée à venir) revenir sur les diverses expériences de tournage. Mais, à Valenciennes, la théorie, c’est bien mais la pratique, c’est encore mieux. Et là, les organisateurs ont fait fort en proposant sur le parvis de la mairie une animation câblage avec treuils et fond vert. L’occasion de se transformer de façon éphémère en héros de film d’action. Prudent le journaliste d’EL a préféré garder intact ce qui lui reste de dos et s’est donc contenté de prendre en photo le plus téméraire des jurés, le tout frais césarisé, Pierre Deladonchamps, un ex-inconnu du lac qui visiblement a pris son pied à être envoyé en l’air.

 

Le grand moment de cette édition fut toutefois sans conteste possible l’hommage rendu à Claudia Cardinale. L’occasion de démontrer que les gens de l’association Atmosphères ont nettement plus de savoir-vivre cinéphile que les décideurs des César. Car, oser remettre un César d’honneur à Scarlett Johansson alors que l’interprète de 8 ½, Le Guépard et Il était une fois dans l’ouest n’a jamais eu le droit d’en recevoir un, c’est comment dire…Pas besoin d’insister entre gens de bon goût.


On a pu rencontrer la légende du cinéma et l’occasion de l’écouter parler d’un des films les plus mythiques de l’histoire du cinéma, Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone. Et de savoir si cela lui arrivait de se faire taper sur les fesses par des hommes.

« Ah Jason (Robards). C’était vraiment mon meilleur ami. On avait une amitié extraordinaire. On avait déjà tourné ensemble avant de tourner pour Leone. C’est lui qui devait jouer le rôle de Fitzcarraldo dans le film de Herzog. Le problème, c’est qu’il y avait rien à manger sur le tournage et Jason ne le supportait pas. Un jour, il est monté tout en haut d’un arbre et il a dit qu’il ne descendrait plus de là tant qu’on ne lui aurait pas apporté un New York steak. On a du interrompre le tournage et quand on l’a repris, c’est Klaus Kinski qui a repris le rôle. Donc, vous imaginez bien que sur le tournage de Il était une fois dans l’ouest, on s’entendait bien et qu’on s’est bien amusé lorsqu’il devait me mettre la claque sur les fesses

Par contre, ce fut nettement plus compliqué avec Henry Fonda. La scène d’amour avec lui, ce fut la première séquence que l’on a tourné à Cinecittà. Et sa femme était sur le plateau, juste à côté de la caméra. Fonda était un vrai cow-boy, il n’avait encore jamais tourné de scène d’amour. Alors, entre lui qui n’avait pas l’habitude de ce genre de séquence et sa femme qui était là pour épier le moindre de mes gestes, je peux vous promettre que la scène ne fut pas simple et agréable à mettre en boite…


Quant à Charles Bronson, il ne parlait presque jamais. Il était toujours dans son coin, en train de jouer avec sa balle, à la faire rebondir. Il était totalement dans son personnage.

Le luxe absolu sur ce film, c’était d’avoir la musique d’Ennio Morricone avant de jouer. Leone avait demandé à Ennio de composer la musique avant le tournage. Comme ça, à chaque fois que l’on avait une scène à jouer, Sergio nous faisait écouter notre musique avant que la caméra ne se mette à tourner. On était totalement dans l’ambiance. Et puis, le sens du détail de Sergio, son incroyable façon de filmer les corps et les visages au ralenti. C’était extraordinaire.

Concernant la programmation des films en compétition, on ne pourra pas trop disserter sur les prix remis par le jury documentaires puisque nous sommes arrivés au dernier jour de la compétition et n’avons pu voir qu’un seul film. Il s’agit d’African Safari 3D et il ne fait pas partie des 3 films primés par les différents jurys ou le public.

On les comprend tant le film de Ben Stassen se montre incroyablement frustrant. Et l’on sait de quoi on parle à EL puisque l’auteur de ces lignes vient juste de faire un safari en Tanzanie. A la vision des images proposées, on ne peut vous conseiller que d’y aller par vous-mêmes tant le film n’arrive presque jamais à capturer l’incroyable beauté et démesure d’un tel voyage. Bien sûr, certains passages sont techniquement impressionnants comme ces moments où une caméra parvient à s’immiscer au milieu d’un groupe de fauves ou quand l’on assiste grâce à une vision nocturne  à un remake de Paranormal activity avec des lions attaquant les tentes. Mais, pour ces quelques moments vraiment forts, on doit subir une narration d’une rare indigence, des séquences plus que superflues (on se fout totalement des atterrissages compliqués en ballon surtout quand en plus, on nous les montre plusieurs fois) et une absence totale de continuité dans l’effort (on ne compte plus le nombre de fois où la séquence s’arrête au moment où elle devient vraiment intéressante). Pour preuve de l’échec narratif de ce documentaire, mêmes les nombreux enfants présents lors de la projection, ont eu bien du mal à rester captivés jusqu’au bout. Et ne pas réussir à passionner des mioches avec de la 3D et des animaux sauvages, c’est un peu mission pas accomplie du tout !

Concernant la sélection des œuvres de fiction, nous avons pu en découvrir 5 sur 9. Et pour une fois, nous avons pu faire mentir l’adage à EL qui veut que l’on se fait une spécialité en festival de rater le film vainqueur. Car, en dehors du prix du public remis à D’une vie à l’autre et le prix d’interprétation féminine à Valeria Golino dans Comme le vent, nous avons VU tous les films primés.

Si le film que nous avons préféré, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, n’a rien obtenu, on ne peut que saluer le jury présidé par Etienne Chatiliez pour avoir décerné le grand prix à My sweet pepper land. Entre la beauté inouïe de Golshifteh Farahani et l’ambiance western du récit, le film de Hiner Saleem avait de solides atouts. Son grand prix est en tout cas une bien belle vitrine pour les ambitions du festival : mettre en avant une œuvre difficile qui aborde de front des faits sociétaux (la place de la femme dans la société iranienne, la corruption, la nécessité de la transmission de la connaissance,…) par l’intermédiaire de codes narratifs plus grand public (plus le film avance et plus les figures imposés du western prennent le dessus).


L’autre film que le jury a voulu mettre en avant (prix du jury à l’appui), Eastern boys nous a laissé bien plus dubitatif. Non pas que le film de Robin Campillo soit dépourvu de qualités mais son final est d’une telle incohérence qu’il finit par gâcher l’élan positif que l’on avait pour cette histoire « d’amour » entre un cadre et un jeune sans-papier ukrainien faisant le trottoir. Si la relation entre les deux hommes est d’une belle justesse et créatrice de vraies émotions fortes, l’intrigue autour de la bande dont fait partie le jeune Marek est d’une rare indigence et totalement déconnectée de la réalité.

Enfin, le troisième film vu et récompensé lors de la cérémonie, fut le film d’ouverture de cette 4ème édition : Tom à la ferme. Soit le nouveau film de Xavier « je m’aime à la folie » Dolan. Le Robert Rodriguez du cinéma d’auteur branché (dans celui-là, il est réal, acteur, producteur, monteur, costumier,…) nous revient, après la pause Laurence anyways, plus en forme que jamais dans sa capacité à se faire beau à l’écran. Tom, c’est bien sûr lui et les tiraillements occasionnés par la mort de son amant dont la mère ne connaissait pas le passé homosexuel, sont prétexte à une multitude de gros plans sur son visage tourmenté mais angélique. A la droite de l’ange blond, on trouve la brute brune en la personne du frère du défunt (Pierre-Yves Cardinal, très impressionnant dans la violence presque contenue) et l’occasion pour Dolan de dresser une relation ambigüe dont il a le secret. Si le film ne met malheureusement  pas assez en avant un personnage phare (la mère, perdue qui ne comprend et n’accepte pas le destin funeste de son fils, admirablement interprétée par Lise Roy), il parvient à utiliser certains codes narratifs du thriller fantastique, créant ainsi une ambiance lourde parfois captivante. Ceux qui n’avaient pas été convaincus par la dernière sortie du cinéaste, pourraient d’ailleurs bien y trouver leur compte.


Si le dernier film de Kelly Reichardt, Night moves, avait su séduire le jury du dernier festival du cinéma américain de Deauville qui lui avait remis son grand prix, il est reparti bredouille de Valenciennes. Et l’on ne s’en offusquera pas tant on est resté hermétique à cette pourtant intéressante tentative de relecture du thriller social. Traité par quelqu’un d’autre que Reichardt, cette mission d’un trio d’activistes écologiques bien décidé à faire sauter un barrage, aurait pu faire montre d’un suspense haletant mais la cinéaste s’intéresse essentiellement à l’affect psychologique qu’ont de tels agissements sur ceux qui les commettent. En résulte un récit d’une rare lenteur où les acteurs font leur joli numéro savant (il serait temps que Jesse Eisenberg fasse évoluer son registre d’expression(s) faciale(s)) pour finalement perdre pied dans une conclusion expédiée difficilement crédible. Et le spectateur de sortir de sa torpeur avec un « tout ça pour ça » en guise de soupir poli.

De torpeur il n’en fut pas question pour le moment de détente du festival, à savoir la projection de Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire. Doté d’un scénario à tiroirs désopilant, cette comédie suédoise, tirée du best-seller de Jonas Jonasson, possède une sacré faculté à mettre à mal nos zygomatiques. Il faut dire qu’il y a de quoi se tordre de rire devant les tribulations de notre héros centenaire lorsqu’on découvre au fil de flashbacks hilarants à quel point il a involontairement changé le cours de l’Histoire. Toute la partie en mode Forrest Gump offre ainsi de vrais morceaux de bravoure. Malgré un rythme plus faible dans sa partie contemporaine, la réussite de l’entreprise demeure totale, bien aidée par des rebondissements abracadabrants et des personnages tous plus hauts en couleurs les uns que les autres. A n’en pas douter l’une des comédies (intelligentes) de l’année.

 

Palmarès

Compétition documentaires

Grand Prix du documentaire : Les Chèvres de ma mère de Sophie Audier

Mention spéciale à L’Irrésistible ascension de Moïse Katumbi de Thierry Michel

Prix de la critique : L’Irrésistible ascension de Moïse Katumbi de Thierry Michel

Prix du public : Dancing in Jaffa de Hila Medalia

 

Compétition fictions

Grand Prix : My sweet pepper land de Hiner Saleem

Prix du jury : Eastern boys de Robin Campillo

Double prix d’interprétation masculine : Xavier Dolan et Pierre-Yves Cardinal pour Tom à la ferme

Prix d’interprétation féminine : Valeria Golino pour Comme le vent

Prix de la critique : Tom à la ferme de Xavie Dolan

Mention spéciale à Eastern boys de Robin Campillo

Prix du public : D’une vie à l’autre de Georg Mass

 

Un grand merci à tous les gens qui ont rendu notre venue possible et notre séjour aussi agréable.

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