Nymphomaniac : la promo m'a tuer

Simon Riaux | 27 janvier 2014
Simon Riaux | 27 janvier 2014

Malgré son aura de souffre auto-proclamée, Nymphomaniac n'aura ni provoqué de scandale, ni attiré les foules. Si le diptyque de Lars Von Trier s'annonce comme un échec retentissant, ce n'est peut-être pas tant dans les qualités intrinsèques du film qu'il faut chercher l'erreur (le réalisateur comptant encore nombre de soutiens et défenseurs acharnés) que dans la publicité qui en été faite, la stratégie de communication adoptée de longue date pour vendre au chaland ce récit interlope d'une descente aux enfers. Le réalisateur Danois est un fin communicant ou tout du moins un communicant aguerri et volontaire. C'est d'ailleurs l'un des principaux reproches que l'on pourra formuler au regard de sa filmographie post-Dogville : avoir petit à petit laissé la posture, l'attitude, le message (le plus souvent en forme de doigt d'honneur) parasiter l'œuvre qu'il était supposé servir.

 

On se souvient du personnage de Christ vengeur et impitoyable incarné par Nicole Kidman, de la fronde du metteur en scène contre la sacralisation de son métier (Le Direktor), du discours provocateur (mais en aucun cas raciste) de Manderlay, de l'ultra-violence stylisée d'Antichrist, de la misanthropie goguenarde – et largement pompée sur Festen – de Melancholia et enfin de la polémique imméritée et injuste autour des propos tenus par Von Trier à l'occasion d'une conférence de presse Cannoise où ses propos furent successivement tronqués puis déformés. Après avoir découvert Nymphomaniac, force est de constater que sont ces éléments de communication, ces frustrations et ces débats qui alimentent et structurent le dernier film de l'auteur, un postulat problématique, présent dès les premières bribes d'information données à la presse.

Dès décembre 2011, Variety révélait que Lars Von Trier préparait une « exploration explicite de la sexualité féminine », vouée à être exploitée dans une version dite soft et une autre hardcore, contenant « beaucoup de bites et de sodomie ». Projet qui devait rapidement se concrétiser et trouver sa forme actuelle, puisque le producteur Aalbaek Jensen déclarait  déjà en avril 2012 que le film sortirait en deux parties, lesquelles connaîtraient chacune un montage parallèle, une version longue au contenu sexuel bien plus important. Une solution finalement très proche de celle retenue, à la différence qu'il n'y aura donc qu'une seule et unique version longue de 5h30, présentée prochainement à Berlin.

On comprend donc mal la récente interrogation qui a parcouru la presse, s'interrogeant sur la supposée mutilation du film, tout comme le carton précédant le film en salles, qui fait état d'une œuvre censurée, à laquelle le réalisateur n'aurait pas pris part. Comment y croire, dès lors que le projet semble jamais n'avoir été envisagé autrement que sous sa forme actuelle ? Comment admettre que quiconque ait pu espérer exploiter Nymphomaniac autrement qu'à travers deux montages distincts ? Comment ne pas voir la présence au générique de Molly Marlene Stensgaard, monteuse historique du réalisateur, la preuve d'une collaboration apaisée et réfléchie ? Un flou qui est indiscutablement la marque du réalisateur, et peut à minima agacer le journaliste prié d'entretenir une polémique virtuelle autant que le spectateur otage de cette dernière.

 

Autre problème évident, celui de la représentation de la sexualité. Un flou a longtemps été entretenu autour de la réalité du métrage : sexe explicite ? Incrustations de doublures pornographiques ? Images floutées ? Que Nymphomaniac joue du souffre, du stupre et de l'interdit c'est son droit le plus absolu et toute démarche de ce type se voit accueillie dans ces colonnes avec une bienveillance certaine. Sauf que prétendre au scandale, quand on a été précédé par des palanquées d'œuvres autrement plus explicites et crues (I want your love, Chroniques sexuelles d'une famille d'aujourd'hui, Baise-moi, 9 songs, Short Bus), voilà qui ressemble singulièrement à de l'hypocrisie. Ou pire, à une relative ringardise, car à l'heure où des œuvres à très fortes charge sexuelle, telles que La Vie d'Adèle ou L'Inconnu du lac se font coqueluche internationales du Septième art, on ne voit pas bien quel terrain Lars prétend défricher, quel tabou il abattrait de sa salvatrice provocation.

Se pose alors la question de l'adéquation entre ce que le film raconte de lui avant sa découverte et son contenu. Rétrospectivement, il apparaît ravageur d'avoir à ce point joué la stratégie du choc frontal et de la provoc – la sex tape de Shia Labeouf, les multiples extraits lancés comme autant de comptes à rebours, jusqu'à la bande-annonce du film sur fond de Rammstein – quand il n'est ici question que le descente aux enfers d'un personnage, terriblement éprouvante mais finalement très conventionnelle.

 

On avancera enfin que si l'appauvrissement de la mise en scène de Von Trier le réduit à singer Haneke, Seidl, quand il ne se cite pas lui-même lourdement, il ne faut voir ici nul déficit de talent, mais bien encore une fois un positionnement de l'auteur en complet décalage avec la nature même de son projet. En témoignent les nombreuses séquences de justification, où les personnages de Nymphomaniac dévient du récit pour s'exprimer sur des points de détails qu'on imagine brûlant la langue du réalisateur. Défense de l'anti-sionisme, retournement facile des attaques contre une misogynie supposée, défense de la liberté d'expression sous toutes ses formes et attaque contre anti-racistes obsessionnels, métaphores filées sur les principes de mise en scène qui régissent chaque chapitre... LVT paraît vouloir intervenir sans cesse au sein de la narration, quitte à la déraciner totalement. Il en sera allé de même quant à la promotion du film, détournée par son propre auteur, qui aura voulu transformer un sujet difficile et courageux en tribune belliciste. 

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