Interview: Yannick Saillet Pascal Elbé pour Piégé

Guillaume Meral | 13 décembre 2013
Guillaume Meral | 13 décembre 2013

Quand un réalisateur choisit de sortir des sentiers battus de la production héxagonale avec son premier film, l'initiative mérite d'être salué, quand bien même le résultat ne sous aurait pas totalement convaincu. A l'occasion de la sortie de Piégé, rencontre avec Yannick Saillet et Pascal Elbé, respectivement réalisateur et acteur principal du film.

Au générique, vous êtes crédité comme la source de l'idée originale du film. Généralement, cela veut dire que le projet tient à cœur au réalisateur.

Yannick Saillet : Pour mon premier film, et je pense que ce sera la même chose pour mon deuxième et mon troisième, mon but était de faire quelque chose que j'avais envie de voir. Je suis un spectateur assez basique, je fais des choses que j'aime, que j'ai envie de partager avec les gens. Il y a des films par lesquels je suis attiré automatiquement et celui-là en ferait partie. C'est la raison première pour laquelle je fais ce métier. Après, il y a forcément quelque chose de personnel dans un premier film, mais je ne m'en suis pas aperçu tout de suite : six ou sept mois après avoir trouvé cette histoire avec l'autre personne créditée avec moi au générique, mon producteur, qui est italien, m'a annoncé qu'il pouvait peut-être obtenir un peu d'argent du CNC italien. Mais avant, il fallait leur présenter le projet. J'ai pris l'avion pour Rome, je me suis retrouvé dans une pièce comme celle-ci, seul avec 15 personnes autour de moi, et une m'a demandé « Pourquoi vous faites ce film là ? ». J'ai réfléchi un peu, et ça m'est venu d'un coup : mon père est militaire, j'ai passé toute ma vie sur des bases militaires, et j'ai réalisé qu'il y avait quelque chose de plus personnel auquel je n'avais pas fais attention pendant le processus d'écriture.

Pascal Elbé : T'as bien répondu. Tu leur en as mis plein les yeux là.

Le film renvoie à un genre qu'on pourrait qualifier de film concept à suspense, comme Buried, Phone Game, 127 Heures etc, genre qui implique généralement l'immobilisme contraint du personnage principal. Comment avez-vous pensé votre mise en scène en fonction de cette donnée?

YS : Alors... Pour moi au cinéma il y a sept histoires différentes, on retombe toujours sur les mêmes principes. Piégé fait partie du genre survival, la problématique étant, comme vous le dites : on a un gars qui va mettre le pied sur une mine et qui ne va l'enlever qu'environ dix secondes avant la fin. J'ai découpé le film en 20 séquences et décidé de faire ma mise en scène de façon différente sur ces 20 séquences, sans me répéter. Sur telle on avait de l'action, sur telle autre le rythme devait-être plus lent... Il fallait qu'il se forme comme un électrocardiogramme. C'est pour ça qu'après la grosse scène d'action du début - pour nous c'était une grosse scène, tout l'argent est passé dedans - ça se calme un peu, j'ai vraiment essayé de moduler... Par exemple, comme on est dans un désert, ce qui est flatteur à l'image, c'est de filmer avec le soleil dans la lentille et de faire des flares, c'est toujours très gratifiant. Mais pour ne pas ennuyer le spectateur, il fallait que je me pose le moment à quel moment il était le plus opportun de l'utiliser. Par conséquent, je ne l'ai utilisé que sur trois minutes de films, au moment ou le démineur explique à Pascal pourquoi il ne peut pas déminer lui-même : ça évoquait la trouille, l'explosion etc. J'espère ainsi que l'on ressent cet effet, j'ai vraiment essayé de ne pas ennuyer le spectateur avec les mêmes trois plans qui reviennent pendant tout le film.

 

 

 

Justement, est-ce que vous n'avez pas eu peur de vous priver d'un mécanisme narratif qui aurait pu emmener le film sur une autre voie, avec le personnage qui aurait essayé de déminer lui-même par exemple ?

YS : Non, parce que dans ce cas, le spectateur se serait demandé pourquoi il n'essaie pas de le déminer à partir de la dixième minute. Je ne voulais pas d'une histoire à  la Mac Guyver, il fallait que l'on soit plus humain, plus véridique. Je pense que si à 10 minutes de la fin, il trouve la solution pour le déminer tt seul, le public m'aurait accusé de me foutre de sa gueule. A partir du moment où on lui dit qu'il n'y a aucune solution, j'ai l'impression qu'on ne lui ment pas, on lui dit pas il aurait pu s'en tirer avant, c'était juste pour vous prendre en haleine pendant une heure et demie et prendre vos euros. Il s'agit surtout une question de respect envers le spectateur.

Les premiers jours, un des auteurs a proposé que le sniper abattu par Pascal le soit par un drone américain. « NON !» (rires). On basculait du mauvais côté, mais on a rapidement appris à pondérer les choses pour que ça reste humain, ce qui était le plus important pour que l'histoire fonctionne. On ne faisait pas McGuyver, ce sont de vraies personnes qui jouent le scénario.

Dans cet esprit là, comment avez-vous travaillé le réalisme militaire du film ?

On a tourné au Maroc, et l'avantage étant que la France fournit le pays en matériel militaire (heureusement, parce que je crois qu'aucune autorisation gouvernementale ne nous aurait permis d'emmener du matériel militaire par bateau). Nous avons fait aussi quelques recherches au niveau de l'équipement pour être sur d'utiliser le bon matériel, mais on n'a pas effectué de grandes préparations pour autant. Le truc avec l'uniforme, c'est que dés que vous l'enfilez, vous devenez presque intuitivement militaire : avec ça, la coupe de cheveux et un sac à dos de 20 kilos, on les lâche dans la nature et les acteurs sont dedans. L'uniforme fait le moine.

Une question pour Pascal. En tant qu'acteur, et ce que ça a représenté un défi particulier pour vous, dans la mesure où votre immobilisme contraint vous prive d'un certain langage corporel ?

PE : Le tournage était éprouvant. Déjà il faisait froid, et c'est difficile de simuler la chaleur qui s'abat sur vous. Ensuite, quand on choisit un scénar, on se dit pas « ça va être un challenge », on se demande ce que ça raconte, si il y a quelque chose qui va tenir le spectateur en haleine... Après une fois sur place on est dans le combat, et j'ai demandé à Yannick de ne pas dormir avec l'équipe à l'hôtel, d'être seul. Dans un magnifique 5 étoiles avec piscine quand même, ne vous inquiétez pas, on s'est pas mis dans une tente pour faire actor's studio, ça reste un travail de clown.

C'était un besoin de vous isoler?

PE: Oui, comme je le disais à Yannick, je ne me voyais pas plaisanter le matin au petit dejeuner avec mes camarades. C'est pour ça qu'il y a des scènes où j'ai la voix cassée, où on a vraiment  l'impression que je n'ai pas parlé pendant longtemps...Il y a donc eu un travail en amont que je n'effectue pas sur tous mes films, qui ne le nécessitent simplement pas. Après au niveau du travail de préparation je ne me suis pas documenté, on a vu avec Yannick quelques  documentaires, des petits films fait par les soldats avec des caméras gopro embarquées...Je n'ai pas spécialement appris, j'avais déjà vu Le soldat Ryan. Depuis Stanley Kubrick et Oliver Stone, on sait ce que c'est au cinéma de ressentir cette déflagration quand on est spectateur, de se projeter un peu dans ce que les mecs doivent ressentir sur place. Restait la préparation sur le terrain, et là Yannick a milles fois raisons : vous arrivez on vous tond la tête, on vous met un treillis, quelques jours après on nous envoie crapahuter sur la colline, et là vous comprenez qu'il faut tenir...

 

 

J'évoquais ça aussi par rapport au trauma porté par votre personnage, que vous deviez véhiculer  au fur et à mesure avec une sorte d'économie forcée dans votre jeu

YS: Déjà, ce qui nous a aidé, c'est de tourner dans l'ordre chronologique, chose rendue possible par l'unicité du décor. Après, c'est cette espèce de solitude voulue et volontaire qui m'a aidé à appréhender chaque étape de l'histoire. Pour la première phase où on crapahute dans tous les  sens, on joue aux cowboys, j'ai adoré même si c'était violent. D'ailleurs, pour la première fois de ma carrière, j'ai eu du mal à quitter le costume  après la fin du tournage. On était tout les jours dehors, y a de la crasse, et pourtant ça devient une seconde peau. Que quelqu'un d'antimilitariste comme moi à la base vous dise ça, c'est assez étonnant !

Peut-être est-ce la solitude dans laquelle vous vous étiez plongés qui a aussi causé cela...

PE : Peut-être...

YS : Laurent (Lucas, ndrl) a eu la même sensation que toi, et il n'a eu que neuf jours de tournage. En plus il s'était rasé la tête et tout...

PE : Y'a un truc de mec quoi, on se prend au jeu.

YS : Surtout quand l'actrice est arrivée les derniers jours de tournage, elle a vu la différence. Quarante mecs, une seule fille.

PE : Et un chat. Il a pris cher (rires).

Yannick, vous vous êtes fait connaître avec vos courts-métrages et votre travail  dans le vidéo-clip...

YS : La première chose que j'ai faite sur le tournage, c'est d'oublier que je savais. La mise en scène d'un clip vidéo n'a rien à voir avec celle d'un film. D'abord, on a des acteurs, pas des chanteurs, qui sont souvent les plus mauvais comédiens.

PE : C'est vrai qu'ils sont assez ingrats les chanteurs. En même temps, si tu m'entends chanter, tu ne vas pas être déçu (rires).

YS : Sur 200 clips, j'ai du en tomber sur trois bon. Pour moi, la mise en scène d'un long-métrage tout plan doit raconter quelque chose par rapport à l'histoire, on ne fait pas un beau plan pour faire un beau plan comme dans les publicités ou les clips vidéos. Il faut donner que ça fasse avancer l'histoire, que ça véhicule une émotion...Et il y a le rapport avec l'acteur. C'était la première fois ou j'avais vraiment un échange. Les trois premiers jours étaient compliqués : j'étais plus derrière la technique que derrière les comédiens. En plus, ils étaient dans le blindé, moi à l'extérieur, ça ne facilitait pas les choses...Puis, j'ai réussi à me libérer à me libérer de la technique. A peu près quand tu as posé le pied sur la mine en fait (rires). Mais après Pascal a fait beaucoup de propositions, il y a des scènes qu'on a retravaillé complètement, notamment la scène du « suicide ». On avait prévu autre chose, on l'a mis de côté trois à quatre jours, et il arrivé sur le plateau et a dit un militaire qui se suicide, il n'enlève pas le pied de la mine, se tire une balle dans la tête. C'est là...

PE : Que vous avez mis une vraie balle (rires). Vous en aviez marre de mes caprices.

YS : Si je n'avais pas un acteur qui était scénariste, metteur en scène, écrivain et impliqué...On n'aurait  pas eu ce que je trouve être une des scènes les plus fortes du film.

A peu près à mi-métrage, vous commencez à entrecoupez votre mise en scène de contr-jour aux contrastes très prononcés, entre l'obscurité dans laquelle est noyée le perso de Pascal et la luminosité du désert... Etait-ce une façon d'introduire une tonalité crépusculaire pour annoncer l'issue du film ?

YS : Pas du tout, non... Mais maintenant que vous me le dites je vais peut-être dire ça à l'avenir. (rires).Si vous le lisez dans un journal, c'est pas parce que vous aviez raison mais parce que vous avez donné l'idée. Mais c'est pour ça que c'est intéressant de discuter avec vous, ça donne un autre degré lecture du film...

PE : Mais tout a fait, c'était voulu, on a travaillé dans ce sens. 

YS : Le film a toujours été en évolution perpétuelle. La seule chose qui n'a jamais bougé, c'est la fin.

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