Northwest : rencontre avec Michael Noer

Simon Riaux | 8 octobre 2013
Simon Riaux | 8 octobre 2013

Michael Noer est à l'image de son premier film. D'un abord des plus communs, poli et réservé, il évoque ces garçons trop timides pour imprégner la mémoire, ceux que l'on regrette de n'avoir pas pris le temps de sonder après une soirée trop brillante. Et comme Northwest, sa première réalisation, (sortie ce mercredi 9 octobre) c'est sous ce vernis banal que se révèle un cœur palpitant, un caractère bien trempé, une volonté inflexible, qui ne se dépare cependant jamais de son sourire. Quand on lui demande pourquoi sa première œuvre de fiction ressemble tant à un documentaire, Michael sourit. « Après mon école de cinéma, dans la section documentaire justement, c'est cette voix que j'ai explorée. Mais je n'avais pas envie de suivre l'école danoise qui se veut extrêmement factuelle, très journalistique. Moi j'avais envie de mettre dans mes documentaires de l'humain, de l'émotionnel. J'ai donc suivi de véritables personnages. Ils n'étaient pas écrits bien sûr, on filmait tout sur le vif, mais je prenais soin de trouver une personne que j'aurais envie de suivre avant de commencer à filmer. »

 

C'est donc tout naturellement que lorsqu'il s'est attaqué à la fiction, le jeune metteur en scène a décidé d'y injecter une dose de réalisme, issue de ses précédentes expériences, qu'il théorise avec pertinence. « Ma méthode d'écriture est simple mais assez exigeante. Il s'agit de se focaliser en premier lieu sur les faits tangibles. Dans mon histoire que se passerait-il dans la réalité ? Appellerait-on la police ? Comment réagirait-elle ? À quelle vitesse se déroule telle ou telle procédure ? Je ne m'autorise pas à transformer tout ce qui a trait au réel, au fonctionnement du monde, du contexte, à la véracité psychologique des personnages. Une fois que j'ai écrit le squelette « réaliste » de mon histoire, un canevas, je peux m'autoriser à inventer des personnages, qui s'y greffent comme autant d'organes, de muscles. »

Quand Michael Noer parle d'inventer des personnages, le terme est à prendre avec des pincettes. En effet, tous les acteurs de Northwest sont des comédiens non professionnels (à l'exception du second rôle de la mère du héros), certains entretenant même un rapport extrêmement étroit avec leur rôle. « Je me suis rendu à Northwest, le quartier où se déroule le scénario, exactement comme si j'allais tourner un documentaire, avec mon carnet de note et une petite caméra. Tout seul. J'ai interrogé longuement tout ceux qui ont accepté de parler avec moi, pour expliquer ma démarche et m'inspirer de ces caractères. Si je n'avais pas procédé ainsi, je n'aurais pas eu la matière nécessaire à la rédaction du script, je n'aurais pas trouvé l'inspiration et surtout, nous n'aurions jamais eu la possibilité de venir filmer sur place. C'est un lieu très fermé, on tout se sait, où tout le monde surveille ce qui se passe, ce qui se dit, qui fait quoi. »

 

C'est ainsi que le réalisateur s'est trouvé quelques comédiens-consultants ad-hoc, et pas piqués des vers... « L'homme qui interprète Bjørn a lui aussi été un criminel, emprisonné quatre ans pour voies de faits, il est devenu membre émérite d'un gang très violent derrière les barreaux. Même si tout cela est derrière lui, qu'il commence à se considérer comme un ex-gangster, il m'a dit plusieurs fois « Michael, on devrait plutôt faire comme ça... Mon personnage devrait réagir comme ça ». Je me suis toujours adapté, toujours pour coller le plus possible à la réalité. Lorsque les chefs du gang sont réunis dans le film pour féliciter le personnage de Casper, autour de Bjørn, il n'y a quasiment que des ex-criminels, je les ai laissés diriger la séquence et les intentions du scénario selon ce qui leur semblait le plus naturel. »

On comprend mieux dès lors l'étonnante puissance de Northwest, dont le réalisme n'affadit jamais la mise en scène, dont l'esthétique jamais ne diminue l'impact. Une méthode, un état d'esprit chevillé au corps de Michael Noer, soucieux de délivrer quelques fragments de vérité, certainement pas d'imposer un quelconque message aux spectateurs. « Je ne suis pas allé juger les personnages ou ceux qui me les inspirent, je ne propose pas de solution, je ne plaide pas non plus pour une quelconque forme d'absolution. J'essaie juste de me plonger dans une situation problématique qui me passionne et que je connais. » C'est le moins que l'on puisse dire. Le père du metteur en scène est lui-même policier et doit régulièrement faire face aux primo-délinquants issus du quartier dont traite le métrage. « Il est impuissant. Exactement comme les policiers du film. Le lien s'est cassé. Dès qu'un uniforme apparaît, le dialogue est impossible. Pour les habitants, les forces de l'ordre ont déserté les lieux, ils n'existent pas. Moi je vois que c'est plus compliqué, ils ne savent pas comment faire, et ce n'est pas faute d'essayer. »

 

Si la criminalité aura occupé la majeure partie de sa carrière naissante, Michael Noer ne compte pas s'y cantonner. Son prochain film s'annonce radicalement différent de l'univers déployé par Northwest, tout en partageant l'énergie, ainsi que les principes fondateurs. « J'ai envie de raconter le quotidien d'une femme sensuelle de plus de soixante-dix ans, dans une maison de retraite. Pas évident. J'ai donc d'abord dû trouver une femme de cet âge, qui soit véritablement sensuelle, toujours parce que j'ai besoin de partir d'une réalité, que je vais ensuite travailler. Il a fallu que je la rencontre pour que j'envisage de broder un personnage autour de sa propre personnalité. C'est l'occasion de se focaliser sur un très beau personnage, mais aussi d'aborder des questions fondamentales, comme ce que nous faisons de nos aînés, comment et pourquoi des lieux sensés les accueillir et leur offrir un espace de vie serein peuvent-ils être perçus, devenir des sortes de prisons. »

Michael nous expose le projet avec un semblant de zen presque convaincant. Tel le héros de Northwest, Casper, on sent poindre sous le vernis de son anglais d'écolier, derrière le sourire affable et poli une pulsation violente, une envie dévorante. Le désir simple et irrévocable d'un artiste d'en découdre avec le monde.

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