Christian Duguay : L'interview carrière

Laurent Pécha | 15 juillet 2013
Laurent Pécha | 15 juillet 2013

Prévue lors de la sortie de Jappeloup, l’interview carrière de Christian Duguay, a pris plus de temps que prévu à se concrétiser. On avait même abandonné l'idée après de multiples tentatives jusqu'à ce que l'on nous la propose sur un plateau pour la sortie vidéo de son dernier film, et gros succès en salles (1 807 043 entrées). Nous allions enfin pouvoir essayer de comprendre le parcours hétéroclite de ce réalisateur canadien, véritable globe-trotteur de la caméra, capable de se mouvoir aussi bien dans des séries B de SF (l'excellent Planète hurlante) que dans des mini séries ambitieuses (Hitler : La naissance du mal). Des productions américaines aux projets européens, entretien avec un cinéaste couteau suisse, partagé entre le grand et le petit écran.

 

 

A quel moment êtes-vous passé de technicien à réalisateur ?

Je suis parti faire mes débuts de mise en scène sur Guillaume Tell. Jusque-là, je me spécialisais sur la steadicam tout en étant directeur de la photo. J'avais fait de la pub en tant que metteur en scène et sur Guillaume Tell on m’a proposé de faire réalisateur de seconde équipe. Puis, pendant deux ans, je suis devenu metteur en scène de la série. Quand je suis retourné au Québec, j’avais à mon actif pas mal de choses à montrer, et c’est comme cela que j’ai eu ma première offre de mise en scène (cinéma), qui était Scanners 2. Alors évidemment, de prendre le relais du film de Cronenberg, c’était quelque chose de gratifiant, d’autant plus que j’étais encore jeune. Mes deux Scanners ne sont pas éblouissants, parce que ce sont des commandes. Comme je trouvais que le Cronenberg nous avait amené dans un univers trop série B horreur, j'ai voulu dans le numéro 2 apporter un côté plus fun. Mais, c'est tombé un peu entre deux chaises... C’est pour moi la raison pour laquelle ce ne fut pas un énorme succès. On sent que j’étais à la recherche de quelque chose. C’est uniquement des erreurs de jeune metteur en scène qui débute. Si on m’offrait aujourd’hui des films d’horreur de ce genre, je ne les ferais jamais.

 

Avez-vous réalisé les Scanners 2 et 3 en mêmte temps ?

Non, le 3 a été fait une année après le 2, qui fût plutôt bien reçu à l'époque. Mais entre nous, le Scanners de Cronenberg n’est pas le plus habile de ses films. Je suis un grand fan de Cronenberg mais je préfère, et de loin, Le Festin nu, là, c'est du grand Cronenberg. Si vous voyez une grande différence entre le 2 et le 3, c’est parce que dans le 3, j’ai tenté d’y amener un peu d’humour. Tant qu’a en refaire un, ne pas tomber dans la formule. Mais je me suis planté et ça n’a pas été très contrôlé. Maintenant je m’applique beaucoup plus. Vous voyez, même Explosion immédiate (Live wire) que j’ai fait avec Pierce Brosnan, on sent qu’il n’y a pas encore de maturité. On est face à un metteur en scène qui se cherche et à qui on impose des scénarios. Après l’échec (d'un point de vue personnel) des Scanners et Explosion immédiate, j’ai arrêté, et je suis retourné faire de la télé où j’ai pu m’impliquer beaucoup plus au niveau de l'écriture des scénarios. J’ai alors fait des téléfilms pour CBS (Cauchemar en haute mer et L'Enfer blanc) qui ont eu de gros succès et qui m’ont redonné de la motivation. A partir de là, j’ai refait un ou deux films de genre, dont Planète hurlante où j’ai pu m’impliquer dans le scénario.

 

 Scanners 2

 

Comment caractérisez-vous ce manque de maturité dont vous parlez concernant la mise en scène de vos débuts ?

Je tâtonnais, je tournais vraiment ce qu’il y avait sur la page. Ma perception de la mise en scène était de faire ce qu’on me donnait. J’étais peut-être encore plus technicien que réalisateur. C’est ce que je dis aux jeunes maintenant quand je fais des séminaires, faites vraiment l’histoire que vous voulez raconter. Si vous faites de la mise en scène, la technique va venir. Moi, cela m’a beaucoup servi (la technique) car mon aisance technique m’a justement permis d’avoir ma propre interprétation, et de pouvoir ainsi me passer de techniciens sur ce que je faisais. Je peux être ainsi beaucoup plus proche de mes créations car j’ai un apport très précis. Les chefs op que j’engage font vraiment ce que je leur demande, ils n’appliquent pas leur propre interprétation. Souvent, le manque d’amalgame vient du fait que les metteurs en scène s’impliquent beaucoup au niveau des scénarios, du jeu des acteurs, mais l’interprétation visuelle n’est pas assez contrôlée.

 

 Pierce Brosnan dans  Explosion immédiate


Comment passe-t-on de productions canadiennes et américaines à des productions européennes ?

Après avoir travaillé longtemps sur des productions nord-américaines, j’ai voulu vraiment élargir mon champ de connaissance. Dans le milieu européen, il y a une sensibilité que je partage, qui m’attire. C’est en Europe que j’ai rencontré des producteurs italiens, espagnols, allemands, avec lesquels j’ai fait d’emblée des productions qui ont très bien fonctionné. St Augustin, Pie XII, Cendrillon, et la je vais terminer Anna Karenine, qui est probablement une des meilleures séries que j’ai faites, dont je suis très, très fier.


Puisque vous parlez de séries TV, The Beautiful Life (série située dans le monde de la mode), dont vous avez notamment signé le pilote, a été abandonnée...

C’était plutôt pas mal comme série. Ils l'ont arrêté effectivement mais il y avait un potentiel. J’étais content de ce que j’avais fait. On m’avait proposé de continuer en tant que metteur en scène et producteur, mais c’est une vie impossible car on devient complètement pris. Jour et nuit. Le sujet ne m'intéressait pas assez pour m'investir autant. Je devais également faire la série XIII mais cela ne s’est pas fait car on m’imposait des choses qui ne me plaisaient pas.

 

 The Beautiful Life

 

Comme quoi ?

Il y a 200 000 personnes derrière, qui donnent beaucoup d’argent et qui comptent dessus pour la suite. Dans le cas de The Beautiful Life, je ne me suis pas du tout entendu avec le show runner, quelqu’un de très mégalo qui était partout. Il y a même une partie du pilote qui a été terminé par eux. Souvent, le pilote fait 40 minutes, ce qui est assez pour donner la teneur et l’ambiance du récit. Il y a donc 20 minutes là dedans qui n’ont rien à avoir avec ce que j'ai fait. Je suis certain que vous seriez capable de dire ce qui est de moi ou pas dans cet épisode !


Sur les mini-séries, contrairement au cinéma, vous avez l’opportunité de développer des projets historiques très ambitieux au niveau de l’écriture.

J’adore faire ça. Maintenant, on arrive à en faire. J’ai toujours été intéressé par le cinéma épique avec des rapports humains. J’ai un peu mis de côté ma carrière au cinéma car en faisant Jeanne d’Arc, Hitler : La naissance du mal, Coco Chanel, je m’y retrouve. Dans ces histoires, il y a un parcours humain et une dimension épique que j'apprécie énormement. Et j’ai pu y déployer le talent que je crois avoir pour ce genre de films. Au cinéma, les propositions étaient d’une toute autre nature. Quelque part, je me suis retrouvé propulser contre mon gré dans ce monde des films d’action et d’horreur. C’est la raison pour laquelle ces films ne sont pas particulièrement bons. On y voit une certaine vision, mais ils ne sont pas aussi accomplis que les autres qui ont un rapport plus direct avec ma sensibilité.

 


Est-ce frustrant de se dire que vous auriez tout aussi bien pu faire quelque chose de formidable au cinéma avec ces mini séries ?

Oui, tout à fait, il y a toujours cette frustration là. Sauf que la télé prend maintenant beaucoup d’essor. Les gens regardent les films sur des téléviseurs beaucoup plus grands qu'auparavant, on sait qu’il y a un public qui va regarder. Les gens se font leur cinéma à la maison, les données ont changé.


Concernant votre carrière cinématographique, comment choisissez-vous vos films ? De Scanners 2 à Jappeloup, il y a un chemin particulier !

L’aventure de Jappeloup vient rejoindre le genre de films que j’aime faire. Mais comme je suis connu pour être un peu en avance sur mon temps, autant dans l’utilisation des effets spéciaux que dans le cadrage, on m’a toujours proposé ces films d’action qui avaient cette ambition de nouvelles techniques. Scanners 2 en est un bon exemple, avec le début des gros effets techniques. Dans les Scanners, on a vu ce que j’étais capable de faire, et on y a vu un potentiel commercial. Là ou il y a eu un mauvais mariage, c’est que j’ai pris un certain plaisir à les faire mais jamais une satisfaction personnelle à m’investir dans ces films tant je ne m’y retrouvais pas.


Jappeloup vous a ouvert d’autres portes ?

Avec le succès de Jappeloup, j’ai reçu beaucoup d’offres pour des gros films d’action. Mais à moins que le scénario ait beaucoup de substance au niveau des rapports humains, je n’ai pas très envie de faire ça. The Extremists (Extreme Ops) a été, par exemple, une aventure assez déchirante. J’avais écrit le scénario original, et il y a eu une série d’incidents très graves. J’ai rencontré un producteur allemand qui adorait le scénario, avec qui je me suis très bien entendu. Il s’était embarqué dans cette aventure, et pendant les repérages, il est mort dans une avalanche. Sous mes yeux ! La Paramount nous a ensuite fait part de sa volonté de continuer à faire le film, mais ils ont fait appel à des jeunes scénaristes pour réécrire le scénario. Cela a donné un tournage où je me retrouvais à appeler les producteurs en leur disant « je ne sais même pas ce que je filme, je ne comprends rien au scénario ». Mais, eux, ils n'arrêtaient pas de me répondre, enthousiastes au possible, : « les images sont extraordinaires, continue, c’est bien ce que tu fais, cela va cartonner ». Les gens de Paramount m’ont dit ça jusqu’au premier montage, et moi je n’ai jamais compris. Et le film a été un énorme four commercial. Il y avait dedans de belles images, des séquences d'action jamais vues jusqu'ici, car j'étais capable de les shooter moi-même, pratiquant le ski extrême, mais pour ce qui était de l'histoire, c'était complétement idiot.  

 

The Extremists

 

Dans Jappeloup, on retrouve dans les scènes de courses, l’authenticité de vos films d’action. Guillaume Canet a fait en grande partie les cascades du film, je suppose que cela permet de ne pas tricher.

Exactement. Il y a eu une belle complicité, même au niveau de l’écriture. On s’est compris à merveille. Guillaume a pris les critiques et a accepté ma prise en main du film. Il s’est rendu compte que mes inspirations et intuitions allaient dans le même sens que les siennes, alors ça a été un vrai bonheur.


Guillaume Canet dit qu’il voulait faire un film à la Rocky, vous êtes d’accord avec cela ?

Oui, tout à fait. Un film populaire, où les obstacles qui s’opposent à une ascension font qu’il y a une remise en question. Là ou l’écriture de Guillaume m’a beaucoup plu, et je lui avais dit au démarrage, c’est qu’il n’a pas eu peur d’emmener son personnage dans des zones plus négatives, qu’on puisse voir les mauvais côtés de ce personnage. Il n’a pas besoin d’être héroïque partout.


Justement, comment avez-vous vécu les réactions de Pierre Durand, dont le personnage s’inspire ?

Pierre, je l’ai rencontré au début pour parler. Il a pris un vrai coup sur la gueule. Il ne s’est pas remis du fait qu’on trouve qu’il n’était pas à la hauteur de son cheval. Je pense que c’est la complicité entre le cheval et son cavalier qui a fait qu’ils ont été propulsés au zénith. Et il faut dire que Pierre Durand a quand même beaucoup d’égo. Le fait qu’on romance son histoire, qu’on prête à son personnage des états d’âmes éloignés de ce qu’il aimerait incarner, cela a été très difficile à accepter pour lui. Mais c’est normal. Les gens ont tendance à attribuer les caractéristiques du personnage à Pierre Durand. Après ça, il y a eu d’autres aspects qui sont plus de l’ordre des droits d’auteur, mais ça je n’y ai pas été mêlé. Mais sinon nos rapports ont été très cordiaux. Il m’a beaucoup aidé au début, et je suis resté très authentique à l’univers, du fait que j’ai fait de la compétition à un très haut niveau. Je connaissais donc bien ça, et nous voulions rester fidèles au parcours sportif.

 

 

J’ai été étonné que vous changiez cinématographiquement la fin. Vous lui faites lever les bras lors du parcours final...

Il y a deux facteurs très importants. La première est que la victoire de Pierre Durand a été attribuée au fait que son concurrent était le dernier à passer. Et si celui-ci faisait un sans faute, Pierre Durand terminait second. Et en faisant une barre tout de suite, cela faisait gagner Pierre Durand. Ce n’était pas très cinématographique de faire gagner notre personnage en misant sur l’échec d’un adversaire. C’est la raison pour laquelle on a changé cela. Et les mains en l’air, j’en ai parlé à Guillaume car j’ai vu une allemande le faire à Aix la Chapelle, et ça m’a influencé. J’ai trouvé cela magnifique de lâcher les rênes et lever les mains au-dessus de l’obstacle. Il y a une réaction de la foule incroyable.

 

Le fait de faire mourir le père de Pierre Durand au milieu du film, avant même qu'il ne sache que son fils allait être champion olympique, c’est aussi une vraie construction cinématographique ?

Oui, ça c’est de la vraie dramaturgie. Il y a un souffle spirituel apporté par cet évènement qui fait qu’il y a une remise en question du personnage. Les moments avec son père sont, je trouve, assez touchants.


Le film a eu une production longue et coûteuse, et on pouvait se demander comment vous alliez réussir à amortir tout ça. Finalement, le succès a peut-être été au-delà des espérances de Pathé (plus de 1,8 million de spectateurs en salles).

Oui et non. Pathé a tellement aimé le film en amont, qu’ils voyaient peut-être un plus grand succès que ça. On a eu tellement de belles réactions. Il y avait un potentiel, je crois, pour avoir un succès un peu à la Rocky en France (NDR/ Rocky III avait fait plus de 3 millions de spectateurs et Rocky IV a frôlé les 5 millions). Mais pour un film de chevaux, nous sommes très contents.

 

 

Planète hurlante (Screamers) est un film très culte. Pour beaucoup, il est l’exemple typique de l’excellente série B SF. Quel souvenir en gardez-vous ?


Génial. J’ai eu des retours ponctuels au cinéma. Screamers en fait partie. J’ai aimé la nouvelle de Philip K. Dick et le scénario que Dan O'Bannon en a tiré. Je me suis impliqué dans ce dernier  et notre entente a bien fonctionné.


Vous arrivez dans ce film à donner beaucoup visuellement et narrativement alors qu'on ne vous a pas donné de gros moyens pour le faire.

Il fallait déjà trouver un univers judicieux. Le casting a beaucoup aidé, et je pense que c’est un des meilleurs rôles de Peter Weller avec bien sûr, en tête de liste, son incroyable performance dans Robocop. Planète hurlante va au-delà d’un film d’horreur classique basé sur un suspense gratuit. Et encore une fois, si à la base il y a vraiment matière à pouvoir exploiter le potentiel dramatique, je m’éclate. C’était la même chose pour Hitler : La naissance du mal, que CBS avait très peur de faire, en étant dans le champ de mire des journalistes juifs new-yorkais. On a développé le personnage du reporter juif, on a su créé un peu de souffle humain qui nous a fait passer au-delà du docu-drame, qui est dangereux à réaliser. Plus qu'un biopic pur et dur, c’est plus, selon moi, une histoire un peu romancée, basée tout de même sur un certain nombre de faits réels.



Beaucoup de critiques, dont je fais partie, trouvent que Contrat sur un terroriste (The Assignment) est votre meilleur film. La théorie est étonnante mais tient très bien debout, le casting est formidable et les scènes d’action possèdent une efficacité folle.

Je ne peux être que d'accord avec vous. Contrat sur un terroriste est le film que je préfère. Il a tout ce que j'aime. Je me suis très bien entendu avec le scénariste, et on m’a laissé faire le film que je voulais faire. Personne n’était derrière moi pour me mettre des bâtons dans les roues. Malheureusement, le film était entre les mains d’une compagnie satellite de la Columbia. Au même moment, il y a eu un changement d’administrateurs à la Columbia et ils ont décidé de fermer ces compagnies satellites. Ils n’avaient donc pas intérêt à ce qu’il y ait un carton qui sorte d’une de ces sociétés. Et en plus, le film avait le même titre à l’époque que celui de Bruce Willis (Le Chacal en français), même s’ils n’ont rien en commun. Voilà pourquoi le film n'a pas eu le droit à une sortie salles aux USA.



Contrat sur un terroriste mélange avec bonheur votre aisance technique et l’exploitation d’un sujet assez fort entre réalité et fiction.

Le film m’a permis de rencontrer beaucoup de gens. J’ai alors commencé à chercher à monter des films dans le même esprit et je me suis retrouvé pendant des années à développer des projets pour la Paramount, Universal, avec des gros producteurs. Mais comme vous savez, ce sont des montages compliqués. Au point que pendant une longue période, je n'ai rien tourné. Et c’est là qu’on m’a proposé Jeanne d’Arc. Le défi m’a intéressé et l’aventure fût superbe. Cela m’a permis de retravailler avec Mario Luraschi (cascadeur et metteur en scène). On s’était rencontré à mes débuts, lorsque j’ai fait mes premiers pas de metteur en scène de cascades en France. Il a d'ailleurs collaboré avec moi sur Jappeloup !


En revoyant Contrat sur un terroriste, on se dit tout de même qu’il a plutôt bien vieilli, par rapport à ce qu’on peut voir aujourd’hui en terme de films d’action.

Les scènes de cascades ont été considérées comme parmi les plus dangereuses jamais faites. Comme à mon habitude, je suis allé à fond dans toutes les cascades. Quant à l’histoire... j’ai fait ce qu’on m’avait dit de faire.

 



Au fil des ans, vous arrivez toujours à faire comme avant ?

Oui, rien n'a changé. Ma caméra est guidée par le jeu, c’est ce qui m'intéresse. Je pense qu’on sent à travers mon travail que c’est le jeu qui me guide. Je ne sais pas ce que vous avez pensé de Jappeloup, mais j’en suis satisfait.


Quel souvenir gardez-vous de  L’Art de la guerre ?

Je voulais faire quelque chose de politique, dans la veine des thrillers des 70's, comme Les Hommes du Président. Si vous regardez l’histoire, elle est vraiment intéressante. Mais nous avons eu à la base de gros conflits avec Wesley Snipes, des problèmes quotidiens. Il voulait à tout prix faire des scènes d’action. J’aurais eu un autre comédien pour jouer ça, le résultat aurait été tout à fait différent.


A l’époque, Wesley Snipes ne faisait que des films d’action, vous auriez pu vous douter que le film serait très axé «action» ?

On m’a dit qu’il y avait un projet avec Wesley Snipes qui s'appelait L’Art de la guerre. Bon, j’ai lu le scénario, j’ai accepté, et le script a été retravaillé avec un scénariste. Wesley Snipes l’a lu, et a accepté. Mais je ne savais pas à quel point il voulait que cela soit un film d'action. J’avais la prétention de l’emmener à faire quelque chose qui allait surprendre les gens. Parce que c’est un comédien qui a beaucoup de potentiel. Cela a donné ce que ça a donné... même si le film a été un gros succès commercial.


D’où est venu Suffer island (Boot Camp, 2007) avec Mila Kunis, qui est passé assez inaperçu ?
J’aimais bien Boot Camp. Là où l'on s’est planté, c’est sur toute la fin. Et le casting des médecins n’était pas bon. Peter Stormare n’était pas le bon acteur pour le rôle. Si j'avais mis, par exemple, Peter Weller pour jouer le médecin, le film aurait pris une toute autre tournure. Mila Kunis était très bien, c’est d’ailleurs grâce à Boot Camp que sa carrière (ciné) a décollé et qu'elle s'est fait remarquer pour obtenir les rôles qu'elle a aujourd'hui.


A Hollywood, les projets vont souvent de paire. Qu’en pensez vous ?

Jeanne d’Arc, il y avait 3 projets simultanés, Hitler, 3 également, Coco Chanel, 3 aussi. On fait avec ! Si les gens pensent qu’il y a une compétition... Autant, j’ai beaucoup de respect pour Luc Besson, autant je trouve que dans son Jeanne d’Arc il n’y avait pas ce côté authentique. Moi ce que j’ai voulu faire, c’est amener les gens à vivre cette époque, et comprendre les enjeux sociaux, politiques, s’investir dans les personnages qui font que les choses changent. Hitler, c’est la même chose, il s’agit de parler d’un homme qui part de rien et devient chancelier, sans en faire un héros, ce dont les gens avaient peur.


Parmi les curiosités de votre filmographie, j'aimerai que l'on évoque Model by Day (Mannequin le jour) tourné en 1993 avec Famke Janssen. Un pitch de revenge movie super séduisant, proche de l'univers des super-héros mais visuellement, c'est hyper pauvre. On ne retrouve pas votre vista visuelle.

Oh mon dieu ! Il n’y avait pas un sou. C’était de la télévision basique avec peu de temps et d’argent. C’est typiquement le type de production américaine où l'avis du réalisateur ne compte quasiment pas. On ne peut rien dire, par exemple, sur les costumes ou les décors. Ce sont les producteurs qui dirigent tout et le réalisateur est présent pour tenir la caméra, pas plus. Quand les gens parlent de yes man, on est ici tout à fait dedans. N'importe quel technicien avec un peu d'expérience, peut faire le job.


Vous avez dirigé plusieurs fois Donald Sutherland. Et même sur un projet français comme Jappeloup, vous arrivez à lui trouver un rôle. 

On a beaucoup d’affinités, il y a une affection profonde. Je le connais bien, j’aime la façon dont on travaille ensemble, c’est donc un plaisir de se retrouver à chaque fois.


 
Y-a-t-il un film que vous avez vraiment envie d’écrire ?

J’ai écrit un film, que j’ai envoyé à beaucoup de gens, qui m’a pris 5 ans d’écriture. C’est l’histoire (vraie) d’un ancien motard de Montréal qui n’a pas accepté son passé où il fut le plus souvent placé dans des maisons d’adoption, et qui se retrouve à l’âge de 25 ans dans l’ouest canadien pour se désintoxiquer. Il va sur un terrain de camping et se menotte les mains pour s’empêcher de prendre des substances. Sauf qu’il voit un petit garçon entrain de se noyer et réussit à se défaire des menottes en s’arrachant le pouce. Alors le père arrive, voit du sang partout et se rend compte que le type vient de sauver son fils. Il est médecin, il décide de soigner le jeune homme, et lui propose de venir l’aider aux frontières des zones de combats. On va suivre à partir de là, le parcours jusqu’au Malawi, à la première guerre d’Irak, en Bosnie, de cet homme qui n’a pratiquement aucune éducation, qui ne connait rien, et qui va devenir très important dans le monde humanitaire. Il va être envoyé dans les endroits les plus compliqués pour réorganiser toute la logistique. Il a fait la Thaïlande lors du Tsunami, Haïti. Voilà, il y a d'énormes possibilités narratives et les retours sur le scénario sont extraordinaires. Je suis donc très confiant et excité par ce projet qui me tient énormement à coeur. La passion pour son sujet, c'est vraiment désormais le seul moteur qui me fait fonctionner. 

 
 
Retrouvez le test du blu-ray de Jappeloup en cliquant sur la jaquette
 

 
 
 
Retranscription Matthieu Leniau
Remerciements à Emilie Imbert
Un grand merci à Christian Duguay pour sa disponibilité.
 
 
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