Walter Hill, à l'ombre des géants

Guillaume Meral | 1 mars 2013
Guillaume Meral | 1 mars 2013

Le style de Walter Hill, de retour après dix ans d'absence derrière les caméras avec Du plomb dans la tête, est traditionnellement assimilé à plusieurs adjectifs récurrents : sec, direct et sans fioritures, qualifiant ainsi des narrations filant droit au but sans prendre le détour de digressions inutiles, des personnages à la trajectoire résolument rectiligne et une absence totale de romantisme concernant la représentation de la violence. Mais là où la plupart des cinéastes-artisans bénéficiant d'une description voisine se posent davantage comme des réceptacles des normes esthétiques de l'époque dans ils évoluèrent, Walter Hill poussa l'exercice dans ses retranchements, comme s'il s'agissait d'achever ce que ses maîtres à penser (Sam Peckinpah et Sergio Leone en tête) avaient amorcé pour trouver son propre chemin.

La figure de l'épure

On a souvent parlé de simplicité cristalline et cinéma d'hommes concernant Walter Hill, qui tend à identifier très vite les fonctions de chacun de ses personnages, cers derniers étant souvent acquis à la cause d'une motivation unique et facilement assimilable. Une vérité qui ne saurait toutefois occulter le travail de déconstruction entrepris par Hill, qui forgea sa personnalité artistique en marchant sur les pas de Sergio Leone dans son aspiration à l'épure structurelle, et de Sam Peckinpah pour sa vision du rapport entretenu par l'individu avec le territoire dans lequel il évolue. Comme chez le réalisateur de Pour une poignée de dollars, il s'agit d'assécher le plus possible la représentation filmique de l'archétype pour lui rendre sa pureté évocatrice originelle, et le confronter aux enjeux existentiels inhérents à l'époque dans laquelle il évolue. Dés lors, il n'est guère étonnant qu'il engage des acteurs tels que Charles Bronson et James Coburn pour jouer dans son premier film, Le bagarreur, tout deux ayant joué par le passé les têtes d'affiches pour Leone (respectivement Il était une fois en Amérique et Il était une fois la révolution). Déjà, Hill dégraisse son récit de toute digression pour n'en conserver que l'ossature fondamentale, à commencer par tout ce qui concerne le personnage de Bronson, boxeur clandestin sillonnant les villes des Etats-Unis durant la Grande Dépression. L'acteur y évolue comme une présence spectrale et intemporelle, véritable figure fuyante revenant tirer momentanément le pays de sa léthargie avant de retourner dans les profondeurs du temps. Sorte de conte mélancolique racontant le quotidien d'outkasts transformé par le passage d'un personnage à l'aura quasi-surnaturelle, voire mythologique, Le bagarreur ne retient de sa structure que le strict nécessaire pour avancer d'un point A à un point B, à l'instar du héros, sorte d'âme errante avançant par automatisme sur un territoire sans jamais y appartenir. A la fin, il s'évapore dans l'espace, et laisse l'Histoire continuer sans lui.

Plus radical encore, Driver se pose rétrospectivement comme l'œuvre à la plus expérimentale de son réalisateur (en même temps qu'une sacrée source d'inspiration-le mot est faible-pour le Drive de Nicolas Winding Refn), qui pousse son exigence thématique à la lisière de l'abstraction visuelle et narrative. Hill hyperbolise à l'extrême la caractérisation de ses personnages (qui n'ont d'autres noms que la fonction qu'ils occupent dans le récit) et la structure, les premiers se fondant dans le théâtre antédiluvien des luttes archétypales  auxquelles ils prennent part ici. De fait, le film s'apparente presque à un opéra silencieux, dans lequel les scènes d'action portent à elles seules le point des (nombreux) non-dits sur leurs épaules, au point de presque assimiler les personnages à leur extension matérielle (le driver et la voiture). A la fin, les trois personnages principaux s'éloignent dans le cadre comme s'ils sortaient de scène : leur partition est jouée, la lutte est terminée et leur fonctionnalité achevée, ils doivent s'en retourner vers la matrice d'où ils sortent. Chez Hill, on est archétype avant d'être un personnage.

Dès lors, difficile d'envisager  un autre réalisateur aux commandes des Guerriers de la nuit, véritable comic-book movie avant l'heure, dans lequel les personnages sont avant tout caractérisés au détour de leur représentation graphique. Là encore, les références à la mythologie sont légions, et les héros doivent pour s'en sortir traverser un territoire dont les parcelles morcelées sont figées dans leurs habitudes plus ou moins délétères, qui chercheront à éliminer les intrus venant les arpenter. Il y a un lien quasiment organique chez Hill entre l'environnement et ceux qui l'occupent sur le long terme, les seconds se posant comme une excroissance aliénée du premier.

Son film suivant, Le gang des frères James, sans doute son hommage le plus vibrant à Sam Peckinpah, explore cette idée de manière plus explicite encore, puisque la bande des personnages éponymes, lors de leur dernier braquage, sont littéralement expulsés de l'espace par les habitants de la petite ville dans laquelle se trouve la bande qu'ils sont venus braquer. Quasiment dématérialisés et assimilés aux éléments de décors derrière lesquels ils se retranchent pour tirer sur le gang, ils expriment leur refus de laisser une mythologie contradictoire s'installer chez eux.

Le territoire se rebiffe, à l'image de Sans retour, sans doute le film le plus corrosif de son auteur, qui pose comme le film précédent la question de l'identité territoriale des Etats-Unis, entité étatique étrangère à son propre espace. Ici, les soldats de la Garde Nationale pris au piège du Bayou de Louisiane en viennent rapidement à projeter leurs fantasmes guerriers sur l'environnement dans lequel ils se trouvent. Transposition évidente du traumatisme vietnamien à l'intérieur du sol américain, Sans retour effrite les archétypes endossés par des personnages à la caractérisation une fois de plus taillée à la serpe (seuls survivront en définitif ceux qui échappent à cette chape de plomb) pour véhiculer l'inconscient collectif du pays, rongé par la culpabilité. Les « héros » ne sont plus ces figures spectrales, mais des individus rongés par la médiocrité et le désir de s'y hisser, métaphore de l'incapacité des Etats-Unis à reconstituer leur mythologie personnelle.

Au fond, les premiers films de Walter Hill esquisse un cinéma fondé sur le passage, confrontant des figures évoluant dans une temporalité plus ou moins fuyante à un territoire figé dans son quotidien ou sur le point de l'être (une des thématiques chère à Peckinpah, notamment sur Guet-apens, auquel Hill a participé en tant que scénariste). Les personnages qui finissent mal, comme dans Sans retourLe gang des frères James, sont précisément ceux qui ne comprennent pas cet ordre des choses. De fait, Walter Hill nous place du point de vue des itinérants pour mieux nous offrir un regard de l'extérieur à la violence des mœurs, le poids des coutumes et le mode de vie des personnes composant l'espace. Le territoire est immuable, l'homme non.

Mise au service du style

Au début, des années 80, Walter Hill est parvenu à s'approprier la figure de style de l'épure comme partie intégrante de son cinéma, qui se décline en autant de variations du thème. Sa personnalité artistique forgée une bonne fois pour toutes, Hill est suffisamment sûr de son fait pour mettre son style au service de chemins plus mainstream. Débute alors pour lui une phase inégale de sa carrière, durant laquelle le réalisateur va tout autant atteindre une forme de consécration publique que s'enliser dans certains automatismes appelés à être assimilés à sa marque de fabrique. Ce qui n'est pas encore le cas de 48 heures, estampillé premier buddy-movie officiel, dans lequel Hill confronte en définitif deux personnages dont l'unilatéralité des trajectoires respectives sont appelées à s'entrechoquer, d'où les nombreux affrontements verbaux (et physiques) émaillant leur collaboration.

 

Ainsi, la naissance d'un sous-genre qui n'était pas encore synonyme de gaudriole à tous les étages se retrouve intrinsèquement liée à une évolution thématique notable du cinéma de Hill, qui réduit plus l'espace au théâtre d'affrontement de ses personnages, mais comme un environnement sur lequel ces derniers sont appelés à laisser leur empreinte à long terme. A ce titre, l'hilarante réplique d'Eddie Murphy (« Il y a un nouveau shérif en ville ! »), résonne comme un aveu indirect de la part du réalisateur, en même temps que l'annonce d'un nouveau schéma narratif destiné à perdurer. Une idée placée beaucoup plus en retrait dans 48 heures de plus, une suite pas désagréable mais qui paye déjà le prix de l'autocaricature dans laquelle le genre était sur le point de tomber à l'époque, le film ressemblant par conséquent à une contingence que tout le monde s'est empressé de remplir.

Or, là réside le problème que va rencontrer Walter Hill à ce moment, celui d'intégrer sa position d'artisan-formaliste à Hollywood et de réduire de plus en plus son style à un ensemble de gimmicks qui tendent à s'annuler plutôt qu'à se compléter. C'est ce style qui survient lorsqu'il se contente de mettre en scène (sans être impliqué dans le processus d'écriture ou de production, ce qui est rare pour lui) des commandes hautement improbables (Johnny belle Gueule, avec Mickey Rourke en plein complexe d'Elephant man), ou de s'impliquer dans le prototype de l'assèchement créatif du cinéma d'action de l'époque (Double détente), en passe de revêtir un nouveau visage avec l'arrivée de Piège de cristal. Pourtant, sous sa caméra, un buddy-movie sous fond de rencontre Est-Ouest formulait des promesses sommes toutes excitantes, mais mis à part le personnage de Schwarzenegger, au  monolithisme  hillien en diable, les élans arthritiques d'une formule sur le déclin se met en travers du choc des cultures tant attendu. Subsiste néanmoins quelques moments de grâce durant lesquels le cinéaste reprend la main, telle cette baston d'ouverture mémorable dans un sauna. Mais, même lorsqu'il s'investit dans un projet de prime abord très personnel (Wild Bill), le réalisateur ne semble plus maître de ses effets, comme si son projet narratif (confronter l'empreinte d'une légende-le wild Bill Hickox éponyme- à son empreinte dans le quotidien) avait du mal à s'accorder à un langage qui ne savait vers quels cieux se vouer (le montage assez chaotique). Auparavant, les protagonistes de Hill étaient déterminés par un travail d'épure qui leur faisait atteindre une forme de pureté archétypale, d'où découlait la puissance d'évocation du schéma rectiligne dans lequel ils s'engageaient (survivre, venir à bout de son ennemi, gagner ce combat etc.).  A la sublimation du rectiligne se substitue des schémas narratifs éculés.

De l'épure à l'esbroufe

Preuve en est de la propension de plus en plus marquée de Walter Hill à fondre son style dans des automatismes ampoulés, son désir de rendre hommage de manière explicite aux cinéastes qui ont conditionné sa carrière.  De fait, si ses premiers films tiraient avec intelligence leur déférence à Leone et Peckinpah, les exercices de relecture auxquels Hill va s'attaquer vont permettre de mesurer la déchéance de son cinéma à l'aune de sa propension à pasticher sans vergogne ses modèles. Si, lorsqu'il refait Pour une poignée de dollars avec Dernier recours, le résultat demeure acceptable, tant que l'on est prêt à oublier sa patine d'exercice de style boursouflée, ses hommages à Peckinpah sont plus problématiques. Dans la mesure où le remake de Guet-apens peut toujours se réfugier derrière ses soucis de production (Hill est remplacé par Roger Donalson en cours de route) pour expliquer la médiocrité du résultat, photocopie paresseuse du film de Bloody Sam, on se concentrera davantage sur Extrême Préjudice. Visiblement pensé et conçu comme si Peckinpah s'y était lui-même attelé, Extrême préjudice souffre de l'absence de recul et de la fascination quasi-fétichiste pour le modèle que suppose ce genre de démarche, le final pastiche de La horde sauvage condensant assez bien les problématiques du film. D'où, l'abondance des dialogues au bon mot forcé, de figures viriles qui en font des tonnes pour montrer qu'ils en ont une grosse, et de violence hypertrophiée ne parvenant jamais à dissimuler la minceur des enjeux. Du cinéaste qui était parvenu à intérioriser l'héritage de ses modèles dans la contenance visuelle et narrative de ses premiers films, Hill étale désormais ses influences avec la finesse d'un pilier de  comptoir.

De cette période de somnolence artistique prolongée, deux films sont néanmoins à réhabiliter. D'abord Les pilleurs, film de siège dont l'argument minimaliste (deux pompiers à la recherche d'un trésor vont se retrancher dans un appartement d'un immeuble desaffecté après avoir vu des gangsters commettre un meurtre) sied à merveille au style de Walter Hill qui, pour le coup, renoue avec la sécheresse de ses premiers travaux, et surtout Un seul deviendra invincible. Véritable baroud d'honneur en forme résurrection artistique flamboyante, le film lie dans un dialogue constant entre la forme et le fond les particularismes de Hill au formalisme atypique convoqué pour les déployer. De fait, toute l'intelligence du film est de concentrer la contenance archétypale en granit brut de ses personnages (Hill retrouve ici enfin la grâce épurée de ses premiers films, notamment à travers le personnage presque spectral de Wesley Snipes) au sein de la dialectique véhiculée par ses différents régimes d'images (noir et blanc, reportages TV,  fiches judiciaires), qui confronte une micro société de parias à la vulgarité arriviste du monde extérieur (le protagoniste incarné par Ving Rhames), tout deux se disputant en fin de compte le droit de disposer du monopole d'un héritage mythologique (la production du champion invaincu).

Un film aux allures d'autoportrait pour le réalisateur, qui semble faire le bilan de sa propre dichotomie à travers les deux belligérants (épure vs esbroufe en somme), comme pour gagner le droit, comme le suggère l'ultime plan, de se retirer au Walhalla où siègent les légendes qui l'ont influencé. La trajectoire de Hill a beau ne pas avoir été  aussi rectiligne que celle de ses personnages, sa place lui est réservée.  

 

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