Shah Rukh Khan - Le retour du roi de Bollywood

Marjolaine Gout | 20 novembre 2012
Marjolaine Gout | 20 novembre 2012

Dans le panthéon hindou, il y a un décapité devenu un centaure version 2.0.  Mi-homme mi-éléphant, il reste connu, de par le monde, par sa bouille sympathique : Ganesh. On y repère notamment Kali, une déesse pétrifiante, tirant la langue à tout va et ressemblant à s'y méprendre à un anachorète des sous-bois ; Sachin Tendulkar, un as du ricochet ; Krishna un expert en braconnage de prétendantes et au fin fond un musulman laïque ou Eyjafjallajökull indien, le potentat, King Khan, mammouth suprême de l'ère cinéphilique indienne : Shah Rukh Khan. Ce Khan a un pouvoir. Rabouilleur d'exception, il attrape dans ses filets nombre d'incrédules spectateurs réduits à jamais en disciples.

 

Shah Rukh Khan refait surface sur nos écrans avec la romance intemporelle Jusqu'à mon dernier souffle. Un portrait de son acteur principal s'impose donc.

Pour ceux qui auraient ainsi fait l'impasse sur le somptueux article sur Shah Rukh Khan, jadis libellé par notre versificateur, Patrick Antona, voici une esquisse de cet arpenteur rétinien, dominant l'empire cinématographique indien.

 

 

A quoi ressemble, donc, ce spécimen rare débardé à New Delhi, un 2 novembre 1965. Hominidé d'1m73, au garrot, possédant une chevelure de jais, dense et vivace, un nez aquilin, il est dépendant au calumet et est muni d'une option rarissime : des sourcils ultra mobiles défiant l'expressivité des oreilles de Yoda : un atout de charme majeur ! A son actif, il compte un répertoire de sobriquets, allant de King Khan, King of Bollywood, SRK à Jean-Pierre Foucault indien selon la presse française. Surnom beaucoup moins seyant et invraisemblable lorsqu'on connaît le parangon, Shah Rukh Khan. Ici, pour des commodités linguistiques, on se réfèrera parfois à SRK.

 

Lorsque l'on s'intéresse à Shah Rukh Khan. On s'aperçoit rapidement que celui-ci a de multiples facettes, allant d'un extrême à l'autre. Sensible, jovial, drôle mais aussi timide, parfois reclus...il est à la fois introverti et extraverti. Jouer est devenu une thérapie pour cet homme profondément touché par la mort de ses parents. Ainsi, être acteur fut pendant longtemps un refuge pour lui.

 

Pour ce qui est de tenter de percevoir une comparaison ou un lignage de SRK, en tant qu'acteur, il s'avère inclassable. On parle de Buster Keaton pour Johnny Depp, Dev Anand fut comparé à une variante indienne de Cary Grant, mais il en est tout autrement pour ce seigneur du box-office. Shah Rukh n'a tout simplement pas d'égal, même si son jeu peut trouver des résonances avec Dilip Kumar et bien d'autres.

 

Producteur, présentateur, animateur télé, imitateur, détenteur d'une équipe de cricket et d'un cortège d'adulateurs, il excelle dans l'interprétation, l'incarnation de personnages...en un mot la performance. Shah Rukh Khan est avant tout un acteur performeur. A l'instar de Lon Chaney, c'est un homme aux mille visages. Il fut assassin psychopathe dans Darr ou Baazigar, innocent dans Guddu, muet dans Koyla, dédoublé en personnage recto verso dans Duplicate, amoureux transit dans Dil Sé, pétulant et idéaliste dans Dilwale Dulhania Le Jayenge, historique dans Asoka, réaliste dans Swades, fantomatique dans Paheli ou encore réincarné dans Om Shanti Om.

 

Baladin pour les besoins d'un plan, tragédien pour une scène, travesti en sylphide si nécessaire, il perçoit la dynamique, la pulsation d'un film, via une analyse fine de l'ensemble du projet et peut ainsi injecter dans des scènes précises un jeu plus subtil, nuancé ou prononcé. Captant ainsi l'essence d'une séquence, il réussit à y insuffler avec panache les émotions.

Certes, l'exercice reste différent du jeu occidental. Il oscille de l'excès à la retenue, en incarnant avec ses tripes ses personnages. Il laisse choir les masques, la peur du ridicule en se démaillotant des conventions et va jusqu'à torturer son corps et s'abîmer physiquement. Pour My Name Is Khan, il  se déclencha des migraines et multiples douleurs dues à la posture adoptée pour le rôle.

Ainsi, pour attirail, il use de son corps et de son visage. Il adopte, tour à tour, maniérisme avec des tics prononcés, caricaturant parfois une époque comme dans Om Shanti Om ou use de la transparence en s'effaçant derrière une personnalité, abandonnant ainsi sa gestuelle, ses mimiques. Shah Rukh est ainsi un acteur hybride, un métissage surprenant entre Louis De Funès et James Dean, entre Raj Kapoor et Dilip Kumar.

 

Dans sa filmographie, on trouve du Veuve Clicquot comme de la piquette, mais chacun de ses films se targuent d'un intérêt : sa performance. (A noter : quelques raretés jonchent, tout de même, sa filmographie et sont à occulter, à l'instar de l'infâme Dil Aashna Hai).

Ainsi, on décèle dans l'escarcelle du Shah un sacré fatras. On a Anjaam avec une Madhuri Dixit déchaînée qui, touchant le fond, va se rebeller et faucher des bras. Un film hors norme, sanguinaire, sous forme de vendetta à voir d'urgence pour les amateurs de sensations fortes et d'hémoglobines. Shah Rukh Khan y incarne un fada du bocal. Dans la section sanguinaire, mais en catégorie poids peluche, on détecte Baazigar où SRK joue pour la première fois aux côtés de Kajol, avec qui il formera le couple phare du cinéma hindi puis Darr, mémorable pour sa diction de « Kiran ». Suit Ram Jaane et sa mélodie entêtante ou encore Oh Darling Yeh hai India et son final cartoonesque digne des gags mémorables d'Itchy et Scratchy.

Des films « marbrés », à la fois comiques et dramatiques, égayent de même sa filmographie. Les notables restent ceux qu'il partage à l'affiche avec sa grande amie, Juhi Chawla : Phir Bhi Dil Hai Hindustani et One 2 Ka 4. Un cran au dessus, dans le royaume du film décalé, on le retrouve sous la caméra décomplexée et hilare de Farah Khan avec Main Hoon Na et le brillant Om shanti Om, pour public averti. Pour ce qui est des récits lacrymaux devenus mythiques, il faut s'aventurer du côté des réalisations de Karan Johar, Yash Chopra & fils & CO. Des films de la veine du cinéma d'évasion pour beaucoup néo-traditionalistes avec : Dilwale Dulhania Le Jayenge, Kuch kuch hota hai, Mohabbatein, Kal Ho Naa Ho, Veer-Zaara, Kabhi alvida naa kehna...

A 180°, on le retrouve dans des productions à mille lieux de cette flambée de romantisme. Il s'essaye au film « (semi-)expérimental » avec Gaja Gamini, à l'art et essai, où il tente de s'embraser dans Maya (Memsab), à la romance réaliste avec Chalte Chalte, au film historique  dans Asoka, au social avec Swades, au western spaghetti dans Shakti : the power ou au thriller avec Don.

L'apophtegme de Shah Rukh résume parfaitement ses choix artistiques : « Je préfère couler en essayant d'être différent plutôt que de rester en surface comme tout le monde. »

Quitte à sombrer, Shah Rukh sait s'entourer. Rakesh Roshan, Yash Chopra, Aziz Mirza, Aditya Chopra, Subhash Ghai, Karan Johar, Abbas-Mustan, Kamal Hassan, Santosh Sivan, Farah Khan, Farhan Akhtar, Priyadarshan, Ashutosh Gowariker, Sanjay Leela Bhansali ou encore Mani Ratman sont quelques- uns des grands noms du cinéma indien à l'avoir fait tourner dans des œuvres tentant d'innover voire de transgresser les codes ancestraux d'un cinéma parfois dionysiaque et sybarite.

S'il est bien accompagné avec des réalisateurs phares, il en va de même pour ces co-stars. Avec cinq d'entre elles, il forme des couples mémorables dont la fusion et l'alchimie sont à l'origine de la réussite de certains de ses films. On trouve ainsi le couple mythique du cinéma hindi des années 1990/2000 avec Kajol (Karan Arjun, Dilwale Dulhania Le Jayenge, Kuch Kuch Hota Hai, Kabhi Khushi Kabhie Gham), le duo burlesque avec Juhi Chawla (Duplicate, Phir Bhi Dil Hai Hindustani, One 2 Ka 4), le tandem tourmenté avec Preity Zinta (Dil Sé, Kal Ho Naa Ho, Veer-Zaara), la paire fatale avec Aishwarya Rai (Josh, Mohabbatein, Devdas) et le couple idyllique avec Rani Mukherjee (Kuch Kuch Hota Hai, Chalte Chalte, Paheli, Kabhi Alvida Naa Kehna). Dernièrement, Shah Rukh Khan vivote entre les nouveaux talents et reines du Box Office à l'instar de Deepika Padukone dans Om Shanti Om, de Priyanka Chopra (Don 2) ou d'Anushka Sharma et Katrina Kaif dans Jusqu'à mon dernier souffle (Jab Tak Hai Jaan).

 

Les derniers films de Shah Rukh, Chak De India ! , Om Shanti OmRab Ne Bana Di Jodi, Billu, My Name Is Khan, Don 2, Ra. One témoignent d'une envie continuelle de se réinventer. Avec Jusqu'à mon dernier souffle, il retourne aux sources en campant un héros romantique, moderne, mais laisse présager avec ses films en production qu'il saura nous surprendre une énième fois !

 

Pour ceux qui souhaiteraient voir ces films incontournables, nous vous suggérons de piocher parmi ceux-ci : Dil sé, Devdas, Paheli, Asoka, Dilwale Dulhania Le jayenge, Om Shanti Om, Swades, Veer-Zaara, Kal Ho Naa Ho, Kabhi Kushi Kabhie Gham  ou encore Kuch Kuch Hota Hai.

 

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