L'Etrange Festival 2012 - 2ème Partie

Aude Boutillon | 12 septembre 2012
Aude Boutillon | 12 septembre 2012

06/09/2012, Forum des Images. Dans le plus grand professionnalisme qui la caractérise, la Team Ecran Large feuillette fiévreusement le dense programme qui lui a été remis, et procède à une répartition méthodique et ordonnée des innombrables pellicules (car lorsqu'on lui projette un DVD, l'Antona fait vibrer de sa voix les murs du Forum) sur le point d'être visionnées. Ainsi, plutôt qu'un compte-rendu des jours suivants, nous vous proposons plutôt la revue des jours 1 à 4... bis.

 

 

Après nous être repus de l'excellent Citadel, nous avons d'abord pu nous entretenir avec Ciaran Foy, patronyme que nous ne pouvons que vous encourager à graver dans un coin de votre caboche de cinéphage aguerri, et dont les propos, tant humbles qu'édifiants, seront prochainement trouvables en ces lieux. La quête du cinéaste prometteur est en effet le Graal de tout festivalier méritant, et s'était trouvée récompensée l'an dernier par la découverte du travail tout singulier de Ben Wheatley, qui secouait l'Etrange de son iconoclaste Kill List (malgré un premier film inaperçu en nos contrées, une injustice qui pourra se voir réparée dans quelques jours). Le réjouissant Touristes ! prenait le pas de cette fournée 2012, après son passage par la case Quinzaine en contrée cannoise. Nous vous avons déjà communiqué tout le bien que nous pensions de cette comédie grinçante, mais pourquoi se priver de rajouter une couche d'éloges à la tartine de notre affection ? Plus léger que son prédécesseur, Touristes ! l'est, assurément, sans pour autant céder à un quelconque humour convenu, ni à des frasques inoffensives. Le gag est ici cinglant, littéralement sanglant, et teinté d'une bonne dose d'absurdité. Surtout, il sert une intrigue en premier lieu bâtie autour d'une romance mordante, poétique et tangible, dépouillée de toute fadaise, et servie par un couple d'acteurs désopilants... et désabusés. Si le choc assené à l'issue de la projection de Kill List fait ici défaut, le ton de son étrange auteur est identifiable en tous points, et le manifeste plaisir à la genèse du film résolument contagieux.

 

 

L'Etrange Festival ne manque par ailleurs pas de proposer à de nombreux courts-métrages de concourir pour deux prix distincts, à l'image de leurs aînés. A défaut de pouvoir assister aux cinq programmes (les quinze premiers jours de septembre se résumant systématiquement à une longue série de compromis, dilemmes et douloureuses renonciations), nous avons suivi la première programmation en guise d'échantillon. On retiendra, au terme d'une sélection relativement éclectique,  un improbable numéro musical cantique, aussi drôle que rythmé en diable (Music for one X-Mas and six drummers) ; une mise en scène futuriste de problématiques de call-center on ne peut plus contemporaines (Error 0036) ; enfin, un conte onirique et bouleversant relatif à la chasse, dont les animaux personnifiés ne sont pas sans rappeler un Mister Fox amer et toxique (Posledny Autobus).

 

 

Aux programmes courts aura succédé un événement musical auquel nous n'avons pu assister que partiellement (pour mieux dévorer la rareté sous-mentionnée). Le groupe français 7 Weeks accompagnait ainsi le célèbre Dead of Night (Le Mort-Vivant) de Bob Clarke de cordes agressives et de mélodies menaçantes. La grande salle du Forum des Images aura ainsi littéralement vibré, 90 minutes durant, au rythme de percussions tonitruantes, et d'une partition savamment ajustée au médium qu'elle accompagnait, cherchant à en retranscrire l'atmosphère, à en exacerber les pics de tension, et à en souligner la mélancolie.

 

 

Côté étrangetés, le festival proposait de (re)découvrir The Mutations, tout dernier méfait réalisé Jack Cardiff en 1974, le bonhomme devant davantage sa renommée à son travail de directeur photo, plutôt que de réalisateur (NDR/ Aude, tu es ce week-end de vision du Dernier train du Katanga). Enseignant le jour, savant fou la nuit (ce qui laisse, convenons-en, très peu de repos au pauvre homme), le professeur Nolter (Donald Pleasence mortifié par l'ennui) mène des expériences visant à aboutir à un être hybride, mi-homme mi-plante. Et quels sujets plus rêvés que ses propres étudiants, de préférence décérébrés et braillards ? Jusque-là, l'œil attentif aura instantanément fait le lien avec la mythologie de l'Ile du Docteur Moreau ; l'exécution ramènera également au Continent des hommes poissons de Sergio Martino, véritable orgie de latex dont l'outrance prête inévitablement à sourire. Le devenir des expériences avortées, voire purement défectueuses, en plus de constituer une idée inspirée, offre à Cardiff l'occasion de porter un hommage aux Freaks de Tod Browning (également projeté durant le festival ; comme les choses sont bien faites !), flirtant parfois dangereusement avec la redite. Le spectacle, s'il perd de son ton dramatique au rythme de l'invraisemblable transformation végétale de la dernière victime du savant fou, n'en reste pas moins profondément attachant.

 

 

L'Etrange s'illustre par ailleurs par sa volonté croissante de conférer aux documentaires leur place propre au sein de la programmation, une velléité confirmée par Frédéric Temps, qui ne manqua pas d'évoquer l'intention de bâtir à l'occasion de la prochaine édition une véritable section dédiée. L'expérimental Practical Electronica siégeait ainsi parmi ses 10 confrères éducatifs (à l'image de Marina Abramovic, découvert au Festival des Champs Elysées dernier), et proposait de disséquer le travail de Fred Judd, ingénieur britannique au rôle fondamental dans la naissance de la musique électronique. Ian Helliwell, réalisateur de ce bref documentaire, n'est pas tout à fait étranger à la manifestation qui reçoit son dernier travail, puisque les sélections de courts-métrages ont généralement abrité plusieurs de ses œuvres psychédéliques. Practical Electronica se veut ainsi ludique, sensitif, et combine diverses images d'archives à des collages et animations diverses. Si les parties explicatives -démonstrations à l'appui- quant aux premières expérimentations sonores de l'ingénieur suscitent indéniablement l'intérêt, les nombreux (voire prédominants) extraits de journaux et schémas variés perdent quant à eux en interactivité, l'exercice se révélant d'autant plus compliqué lorsque les articles en anglais doivent être déchiffrés en parallèle d'une voix-off sous-titrée. L'ensemble n'en reste pas moins instructif, mais aurait gagné à se montrer plus récréatif, souffrant de l'austérité de certains médias exposés.

 

 

De l'austérité, il n'en sera nullement question dans l'attendu, que dis-je, follement désiré Dead Sushi, issu de l'imaginaire prolifique et déglingué de Noboru Iguchi, illustre membre de la fratrie Sushi Typhoon, qu'on ne présente plus aux habitués de l'Etrange Festival. Ces derniers reconnaîtront sans encombre la patte de son géniteur dans la trame de Dead Sushi : les représentants d'une firme pharmaceutique envahissent une auberge, où officie la fille déchue d'un chef sushi d'excellence. La présence alentour d'un sans-abri revanchard à l'égard des pharmaciens et armé d'un sérum capable de donner vie au plus  flasque des sushis, amènera la jeune fille à combattre l'invasion envers et contre tous. Chaque composante de Dead Sushi imposera dès lors la conviction que Noboru Iguchi est habité par le cerveau déviant et pervers d'un enfant de 8 ans, blagues pétomanes à l'appui. On ne s'étonnera alors pas  de voir chaque idée aberrante portée telle quelle à l'écran (avec une mention très spéciale pour une danse robot pour le moins inattendue, ainsi qu'un vaisseau-sushi du plus bel effet), avec toute la générosité candide qui caractérise les fou furieux de la firme la plus déviante de l'archipel. Comme ses prédécesseurs, Dead Sushi s'essouffle sans surprise au terme de son deuxième tiers, sans toutefois se montrer avare en créations absurdes, qui affluent à l'écran à un rythme effréné. La perfection dans l'imbécillité n'était qu'à un petit quart d'heure près.

 

 

La journée du 10 septembre s'achevait enfin par la projection, à guichet fermé s'il-vous-plait, de Dead Shadows, dans une atmosphère joyeusement détendue. La moitié de l'équipe absente de la scène, où quelques rejetons se chargeaient de défendre le fruit de leur labeur, avait en effet pris possession d'une bonne partie de la salle, accompagnant les anecdotes et génériques d'exclamations enthousiastes. A cet instant précis, le lecteur attentif se voit assailli d'une question primordiale ; ledit enthousiasme a-t-il contaminé la team EL ? Le film de David Cholewa s'illustre, comme la complicité des échanges précédant la projection pouvait le laisser présager, par une générosité incontestable, irriguée d'un amour profond pour un cinéma horrifique qui a manifestement bercé la jeunesse de ses auteurs (Cholewa à la réalisation, Vincent Julé au scénario). On appréciera à ce titre des maquillages craspec à souhait signés David Scherer, contrebalançant des effets numériques plus inégaux, malgré de sacrées trouvailles (dont une femme-araignée inspirée). Il faudra par ailleurs se résoudre à faire preuve d'une certaine patience avant de discerner l'ombre d'un tentacule, les tenants et aboutissants de la contamination restant à ce titre particulièrement confus. Dommage, enfin, que la faible consistance des protagonistes (dont le convaincant trio de tête est pourtant campé avec justesse par ces messieurs Wolfrom, Sallé et Fallon) handicape l'implication émotionnelle d'un spectacle somme toute très sympathique, baigné d'une atmosphère soignée et référencielle, et moucheté ça et là d'idées réjouissantes. Nous ne pouvons par ailleurs que saluer l'aboutissement d'une entreprise que l'on ne sait que trop épineuse, voire chaotique, en ces temps de création dont le soutien se fait décidément trop timoré.

 

Crédit photo : Clémence Demesme

 

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