Cosmopolis, le cinéma en voiture

Simon Riaux | 31 mai 2012
Simon Riaux | 31 mai 2012
Il y a fort à parier que l'on se souviendra longtemps de la Limousine de Cosmopolis. Son nécessaire de proctologie, ses toilettes rétractables et ses écrans tactiles en font le parfait bunker capitalistique, à même de diriger le monde depuis les rues enflammées d'une crise éruptive, sans renverser une goutte de whisky. À lui seul, le véhicule contient une grande partie du long-métrage et de son message, l'occasion de revenir sur ses véhicules qui cristallisent souvent à eux seuls une œuvre, une période ou un pan du cinéma. En route pour une virée nostalgique, entre tôle froissée, anecdotes et carambolages.

 

 


Ford Falcon Interceptor : Mad Max 2, de George Miller, 1982

La trilogie Mad Max se sera un peu plus enfoncée dans la science-fiction à chaque épisode, comme en témoignent les transformations des véhicules film après film. C'est sans doute le véhicule du deuxième, et meilleur, épisode, qui témoigne le mieux de l'ambiance particulière du long-métrage, et du paysage post-apocalyptique (maintes fois copié) qu'il esquisse avec brio. La Ford Interceptor est devenue un hybride improbable, un monstre d'acier et d'essence, dont l'aspect et la puissance laissent à penser qu'elle consomme cette rare denrée en grande quantité. Et si le monde s'est écroulé pour cause de pénurie généralisée, le solitaire Max semble n'en avoir cure, au volant de son bolide lancé à pleine vitesse. Depuis le premier épisode, la voiture a changé, et sa performance ne repose plus uniquement sur la vitesse, elle est plus lourde, sale et bruyante, comme si le moteur Weyland qui en brise ici et là les formes harmonieuses s'était mis au diapason réduite à un état de fureur entropique.

 

DeLorean DMC-12 : Retour Vers le Futur, de Robert Zemeckis, 1985

Voiture doublement culte et geek, elle connut un destin tragique. Petit bébé de monsieur DeLorean, qui quitta la General Motor et son poste de vice-président du groupe pour fonder sa propre société automobile, basée en Irlande. Une décennie plus tard, des soucis techniques et des affaires de mœurs eurent raison de la firme, qui ne put produire qu'un peu moins de 10 000 véhicules. À ce jour, quelques 6 000 DeLorean seraient encore en circulation. Zemeckis avait-il conscience de l'objet de collection qu'allait devenir son prototype de machine à remonter le temps ? On peut se le demander, tant la communauté des teenagers de l'époque et des geeks d'aujourd'hui a fait de la bagnole trafiquotée du Doc un emblème de la sous-culture populaire. Peut-être pas idéale pour attraper de la cagole esseulée un soir de Croisette effrénée, mais l'assurance d'un démarrage tout feu tout flamme.

 

 

Plymouth Fury 51 : Christine, de John Carpenter, 1984

La belle Christine et sa carrosserie vermeille symbolisent chez Stephen King (modèle 51) et John Carpenter (modèle 58) tout un pan de la mythologie américaine. Celle d'une industrie automobile toute puissante, qui donna du travail à des milliers d'américains, objet d'une passion partagée entre le pilote et son bolide. Qu'on ne s'y trompe pas, si la Plymouth est une furie, ce n'est là le fruit ni d'une possession, ou d'un quelconque fantôme mal intentionné, c'est bien l'amour de l'Amérique pour ses voitures qui fait de Christine une véritable personne. Son fuselage digne d'un vaisseau spatial des années 50 est celui de la voiture reine des routes, princesse des Drive-in, elle est aussi maîtresse d'une classe populaire qui voit son univers se déliter et ses prérogatives lui échapper. Elle est cette impératrice du bal de promo que son jeune propriétaire, Arnie, ne supportera pas de voir lui échapper, celle qui vengera sans pitié les affronts subits par ce petit homme cantonné à la misère, moralement et physiquement;

 

 

Mustang GT 390 : Bullit, de Peter Yates, 1969

La poursuite parfaite, pour un film qui n'est pas loin de l'être. Quand on sait que la fameuse séquence filmée dans les rues de San Francisco a nécessité deux semaines de tournage, effectuées pendant le mois de mai 1968, on saisit un peu plus la portée symbolique du véhicule, et de l'œuvre où elle sévit. Steve McQueen y incarne une sorte d'instantané de la virilité telle que représentée durant la plus grande partie du XXème siècle, avant que cette dernière n'entame un long vacillement puis une remise en question générale. La mythique Mustang, à la fois féline et volcanique, n'est que le prolongement de cette figure du flic intègre, courageux, capable de passer en un instant de la détente à la gravité, espèce en voie de disparition, dont il ne reste guère plus d'avatar à l'écran.

 


Dodge Challenger : Point limite zéro, de Richard Sarafian, 1971

Autre prolongement charnel du héros, la Dodge Challenger est ici la monture de Barry Newman. Car c'est bien de la figure de la frontière, et donc du lonely cowboy qui est convoquée ici. Tel un Clint Eastwood solitaire et préoccupé par le voyage plus que sa destination, le héros file vers l'horizon, à la poursuite d'un temps qu'il ne pourra rattraper, condamné à relever un défi à l'issue aussi certaine que fatale. La Dodge est ici le compagnon de route, au premier sens du terme, celui que le voyageur peut plier à sa volonté, exigeant de lui les plus grands sacrifices. Une attitude qui se retrouva jusque dans le tournage, qui ne vit survivre aucun des véhicules utilisés devant la caméra, puisque huit Challengers furent ruinés au fur et à mesure des cascades, et la dernière volée à la toute fin du tournage.

 


Cadillac Eldorado 72 : Highwaymen, de Matt Harmon, 2004

Plusieurs décennies après son cultissime Hitcher, qui ne s'intéressait pas tant aux bolides qu'aux corps qui les pilotait, Matt Harmon pousse plus loin sa pyscho-érotisation du conducteur, dans un film dont la portée demeure, hélas, bien moindre. Finie l'ambiguité sexuelle entre le bourreau et sa victime, ici le manichéisme le plus grand public règne, et il ne fait nul doute que le diabolique Fargo est ici un émissaire du mal face au christique Caviezel et la sculpturale Rhona Mitra. On pourra y voir une continuité avec le sublime Crash de David Cronenberg, où des hommes déshumanisés s'enlacent par carrosserie interposée, où les chairs et l'acier fusionnent et se complètement. C'est le cas de notre serial killer handicapé, corps mutilé et exsangue, qui retrouve sa pleine puissance, et sa capacité de jouissance, au volant d'un engin de mort qui paraît soudain doué de vie.

 

Cadillac 1959 Break : S.O.S Fantômes, d'Ivan Reitman, 1984

Autre emblème des eighties triomphantes, on se gardera bien de voir dans le look ou l'utilisation de cette voiture bourrée ras la gueule de gadgets un sens ou une signification particulière. La seule symbolique à l'œuvre ici est celle d'un humour décomplexé, d'une générosité visuelle et conceptuelle qui s'embêtait alors ni de la hype, ni d'aucune limite de vraisemblance ou de suspension d'incrédulité, et précipitait avec joie son récit dans le grand magma du n'importe quoi iconographique. Soit un grand souvenir de cinéma de divertissement.

 

Batmobile : Batman et Batman Returns, de Tim Burton 1989, 1992

Parmi les maintes versions qui ont ravi nos mirettes sur petits et grands écrans, une seule mérite de tout à fait retenir notre attention, celle conçue pour Tim Burton par Anton Furst. Robuste, puissante et racée, elle s'insère parfaitement dans l'arsenal de gadgets du caped cruisader et s'avère d'une cohérence admirable avec le film dont elle est issue. Logiquement, elle est restée indissociable du héros pour de nombreux fans, ce qui explique que son apparence ait été reprise ou légèrement modifiée dans de nombreux dessins animés ou comics, tels que Batman : The Animated series. Dotée d'un faible nombre d'armes et autres pièges, elle vaut pour sa résistance, son système de bouclier classieux, ses commandes vocales et (ce qui était le must à l'époque) pour son lecteur CD.

 

Volkswagen Coccinelle (Choupette) : Un Amour de Coccinelle, de Robert Stevenson, 1969

Non, tous les véhicules ne servent pas à écraser d'innocentes victimes, ni à se tirer la bourre comme des acharnés, ou à attraper des quarterons de gangsters qui ne manqueront pas de vous trouver la portière au passage. Il y a aussi de ces petites bagnoles charmantes, auxquelles on s'attache, et qui deviendraient presque nos meilleures amies. C'est le cas de Choupette, que tous les plus de sept ans ont tendance à oublier, mais qui fit le bonheur des gamins du monde entier à travers une série de films, jusqu'à la récente resucée avec Lyndsay Lohan, dont les lèvres n'étaient pas encore sponsorisées par un fabriquant de pneus.

 

Dodge Monaco Sedan 1974 : Les Blues Brothers, de John Landis, 1980

Le film a détenu longtemps le record du plus gros carambolage cinématographique, grâce à sa parodie de la poursuite de French Connection, il aura fallu pas moins de 60 véhicules pour emballer la scène. Ce sommet de burlesque destructeur qu'il serait probablement impossible à mettre en scène de nos jours, pour cause d'hégémonie de l'image de synthèse rutilante. Le film est parsemé de morceaux de bravoures et de tôle froissée comme s'il en pleuvait, sorte de partition parallèle à celle des frères du titre, qui compose une mélodie délirante, témoignage d'une époque où ces excès étaient de purs gags, et où abondance et gâchis étaient deux notions sans antinomie aucune.

 

 

AMC Pacers 1975 : Thelma et Louise, de Ridley Scott, 1991

Quand on évoque la filmographie de Ridley Scott, il faut parfois rappeler à l'interlocuteur goguenard que non, le maître n'a pas mis en scène que Blade Runner et Alien, pour s'enfoncer dans les limbes du film commercial de pubard, jusqu'à Gladiator et le virage des années 2000, avant de replonger dans les tréfonds du septième art pour Une Grande Année. Cette vision sarcastique d'une carrière irrégulière minore non seulement l'importance de travaux dont l'esthétisme frappa de plein fouet l'imagination du public, et contribue à passer sous silence quelques films essentiels, à l'image de Thelma et Louise. On oublierait presque aujourd'hui combien le film est proche de la perfection, sa mécanique huilée avec une précision diabolique, et ses personnages de formidables moteurs pour le récit. Film emblème de « l'empowerment » féminin des années 90, il témoigne à lui seul d'une bascule fondamentale, d'une prise de pouvoir en cours quoiqu'inaboutie. En effet, ici, ce sont bien Thelma et Louise qui ont le pouvoir, le volant et le pognon. Un état de fait que le film ne remet pas en cause, au contraire, tant les personnages qui gravitent autour d'elles s'avèrent presque tous des ruffiats, voleurs, imbéciles ou phallocrates. Ces dames prennent le pouvoir, et donc logiquement la bagnole, et si on leur refuse, elles ne rentreront pas sagement au bercail, mais précipiteront tout le monde vers l'abîme.

 

 

VRP contre big bad truck : Duel de Steven Spielberg, 1971

Le rouge éclatant de la voiture de notre héros ne représente pas tant ici le danger ou l'agresssivité, qu'une piqûre chromatique vouée à nous rappeler sa vulnérabilité dans le vaste espace où elle s'aventure suivie de (trop) près par un impavide et agressif camion. Ce ne sont pas seulement deux individualités qui s'affrontent ici, mais deux conceptions de l'Amérique, deux classes qui se jaugent, s'affrontent, tentent de s'écraser mutuellement, avant qu'un seul ne survive. D'un côté le VRP, le yuppie (futur golden boy ?) et de l'autre le routier, l'ouvrier dont les raisins ne sont plus seulement de colère, mais aussi de gazoline. C'est une Amérique profonde qui s'échine ici à écraser littéralement une nouvelle, plus souple, rapide et supposément moderne. Pour un peu, le film symboliserait presque la carrière future de Spielberg, ou comment un cinéaste amorça à lui seul la fin du Nouvel Hollywood, empêtré dans ses lourdeurs et tropismes, une conception dont la force objective ne saura faire échec à la malice et la réactivité des studios.

 

 

 

On remarquera que la pure fascination pour le monstre automobile s'estompe au fur et à mesure des années pour laisser place à une créature hybride, mi tôle mi animale, affamée et désireuse de dévorer l'humain. La voiture toute puissante n'est plus un symbole de conquête et de liberté, mais une mécanique de l'effroi, un ressort de l'horreur, ou comme dans Cosmopolis, le symptôme d'un pourrissement généralisé. Les derniers métrages à mettre encore en avant les véhicules le font avec la finesse d'un Michael Bay exhibant des pétoires phalliques, et renvoient les moteurs vrombissant à de simplistes prolongements de l'ego de leurs personnages (Fast Five).

 

 

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commentaires
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