Crise : quand le cinéma banque

Simon Riaux | 30 avril 2012
Simon Riaux | 30 avril 2012
C'est la crise ma bonne dame ! C'est que rien ne va plus, la banque ferme ! Alors que la spéculation sur les dettes souveraines va bon train, l'imaginaire n'est pas en reste dès lors qu'il est question de croquer les grands argentiers de ce monde. Et l'excellent Margin Call qui sort ce mercredi 2 mai dans les salles est bien là pour le rappeler. Mais il n'est pas le seul. Puits de fantasmes, voués aux gémonies, victimes, bourreaux, la vox populi cinématographique peut-être en effet intarissable dès lors qu'il est question de représenter le monde de la finance. Voici donc un petit panorama de ses incarnations, qu'elles soient fantasques, engagées, à charge, symboliques ou symptomatiques.


Wall Street, de Oliver Stone, 1987

Les petits caïds de banlieue ont eu Scarface, les cadors de la titrisation ont Wall Street. Devenu emblématique des années de la croissance facile et de la finance reine, le personnage de Gordon Gecko aura quasiment permis au film d'atteindre le statut de culte. À l'instar du film de De Palma, on aurait tort d'y voire beaucoup plus qu'un catalogue de clichés et un scénario indéboulonnablement hollywoodien, tant sa saveur se trouve ailleurs que dans la construction d'un récit cousu de fil blanc. Ce qui fait encore aujourd'hui sa valeur demeure le personnage mythique de Seth Gecko, représentation ultime du grand vilain trader, que chacun adore détester. Tel Tony Montana, ses pourfendeurs voient en lui le symptôme d'une société gangrénée par une cupidité sans limite, tandis que d'autres l'admirent plus ou moins ouvertement pour son avidité décomplexée, et un retournement des valeurs qui fait de son vice une vertu.

 

 

Inside Job, de Charles Ferguson, 2010

Peut-être un des films les plus indispensables de la dernière décennie, pour qui entend comprendre la nature du cataclysme qui s'est abattu sur les économies occidentales. Loin des approximations ou attaques ad hominem d'un Michael Moore, Ferguson n'est pas là pour relayer ou combattre quelque idéologie que ce soit, mais bien pour donner à chacun les clefs nécessaires à la compréhension de la situation, un arsenal intellectuel en vue d'élaborer une solution. Rappelant avec intelligence qu'il s'agit ni plus ni moins que d'un délit d'initiés d'une ampleur et d'une gravité inédite, le film permet d'appréhender les dérives d'un système tout puissant, qui sera parvenu à faire croire aux gouvernants internationaux qu'ils devaient s'auto-réguler, et ne répondre de rien.

 

Ma Part du gâteau, de Cédric Klapisch, 2011

Devant la gravité de la crise, le cinéma français ne pouvait décemment pas demeurer en reste, et devait se faire l'étendard des valeurs sociales de notre beau pays. Cédric Klapisch l'a bien compris, et entend nous éclairer un peu mieux sur les ogres de la Défense. Car si nous les savions affamés de profits, adeptes des fusions-acquisitions crapuleuses et obsédés par les stock options, leur vie affective et sentimentale demeurait un mystère qu'il était grand temps d'éclaircir. Aussi découvrons-nous avec sidération, grâce à un scénario et une interprétation aussi subtils qu'une tribune de Jean-Luc Mélenchon un soir de révolte, que les traders sont de parfaits salauds. Prêts à tout pour culbuter d'innocentes top modèles, capables d'abuser jusqu'à la femme de ménage, leur appétence financière n'a d'égale qu'une cupidité sentimentale que même d'authentiques ch'tis ne pourront qu'écorner.

 

 

Limitless, de Neil Burger, 2011

Si le film de Neil Burger a pour le cinéphile averti à peu près autant d'intérêt qu'un remix de David Guetta pour le mélomane invétéré, il n'en demeure pas moins le témoin d'un basculement des symboles et de leur valeur, que la crise actuelle n'a modifié qu'à la marge. Car ce que nous apprend le long-métrage, c'est que lorsqu'un écrivain raté absorbe une drogue censée lui permettre de tirer pleinement parti des capacités de sa matière grise, il ne devient pas le maître de la prose, mais un courtier en bourse richissime. Qu'on se le dise, l'homme de ce monde n'est plus un artiste, sa réussite ne passe plus par l'élévation de l'âme, mais par l'engraissement du portefeuille, un costard taillé sur mesure, et une parfaite connaissance du taux de change. L'auteur, le poète, même en devenir, n'est qu'une scorie de la société, un marginal qu'elle ferait mieux de recracher à moins qu'il ne se conforme à ses exigences de productivité.

 

 

 

Un Fauteuil pour deux, de John Landis, 1983

Le papa du Loup-garou de Londres et des Blues Brothers s'attaque ici à la satire sociale, mais sans oublier son sens du burlesque et des situations énormes. Un pari qui aurait pu nuire au film, mais qui lui confère avec les années une teinte visionnaire, à l'heure où le cynisme et la volatilité des marchés semblent devoir contaminer chaque jour un peu plus nos vies quotidiennes. Ainsi la farce amère emmenée par Dan Aykroyd et Eddie Murphy, qui voient leurs situations sociales et professionnelles s'inverser totalement, nous dit quelque chose de l'absurde à venir, et c'est avec un certain frisson que l'on redécouvre que les excès comiques d'hier font étrangement écho aux dérives communes d'aujourd'hui.

 

 

Une grande année, de Ridley Scott, 2007

Il est quand même fort ce Ridley. Un an avant que le monde ne bascule, l'artiste pressentait la catastrophe, et nous offrait un élégiaque portrait du trader en héraut du terroir retrouvé. Parce que les eurovores de la City ont un petit cœur qui bat, n'en déplaise aux myriades de gauchistes qui voudraient les diaboliser sans vergogne, c'est là la substantifique moelle de la carte postale signée tonton Ridley. Inutile de revenir sur le ridicule achevé de la chose, les outrances grotesques de Didier Bourdon et Russel Crowe, ou la photographie de carte postale faisandée, qui ferait passer Jean-Pierre Jeunet pour un intégriste de la modernité. Véritable préquelle à Alien, Une Grande année explique enfin aux cinéphiles interrogatifs comment et pourquoi de cruels extra-terrestres ont conçus des xénomorphes capables de nous annihiler. Car une civilisation où un horrible banquier londonien peut mettre la main sur un vignoble de provence et Marion Cotillard mérite le pire des châtiments.

 

 

Roger et moi, de Michael Moore, 1990

À l'époque, Michael Moore ne faisait pas encore rimer passion et compromission, engagement et détournement. Il avait pourtant déjà tout du frondeur populiste (dans le bon sens du terme), attaché aux idéaux américains, décidé à mettre son pays face à ses contradictions et vicissitudes. Avec une sincérité désarmante, il se fait le porte-voix d'une population atterrée, dépassée par des enjeux économiques supposés lui apporter la plénitude, mais qui auront abouti à sa ruine. Un documentaire résolument engagé, à l'énergie salvatrice, qui rappelle avec intelligence que les décisions les plus arbitraires et destructrices sont prises par des hommes, et qu'il appartient au peuple de leur demander des comptes. À l'époque, Moore faisait les questions, pas les réponses, donnait la parole plus qu'il ne la prenait. À (re)voir de toute urgence.

 

 

Krach, de Fabrice Genestal, 2010

Un des enseignements les plus problématiques de la crise de 2008 fut la découverte de l'incurie généralisée concernant le mode de fonctionnement de la finance actuelle. Incurie visiblement partagée par Fabrice Genestal, qui n'a pas la plus petite idée de ce qu'il raconte, avec son invraisemblable histoire de traders basant leurs coups de poker sur des prévisions météorologiques. En l'état, le film est la preuve qu'il ne suffit pas de mettre Michael Madsen à l'écran pour nous fasciner, mais qu'affubler Lellouche et Berling de répliques tout droit sorties du petit Kerviel illustré possède un potentiel comique certain. « On va leur faire prendre tellement de pognon qu'ils vont fermer les yeux en nous suçant la bite, » prononce un des personnages principaux. Tout indique aujourd'hui qu'il ne parlait pas des spectateurs.

 

 

De bon matin, de Jean-Marc Moutou, 2011

Et si le banquier d'affaire n'était pas l'horloger de la mécanique délirante qui aura précipité le monde au bord du gouffre, mais bien un rouage comme un autre ? C'est le postulat de départ de ce drame qui voit le traditionnel bouc émissaire lui aussi broyé par une règle du jeu dont personne ne comprend ni les tenants, ni les aboutissants. On pardonnera à l'ensemble sa dramaturgie un peu forcée et sa construction contre-productive (un comble !), pour se focaliser sur la banalité du mal qu'il décrit, lequel a atteint toutes les strates de la société, jusqu'à ceux supposés profiteurs du chaos actuel. On se souviendra de ce terrible constat d'échec, qui pousse l'impeccable Jean-Pierre Darroussin, incapable de freiner la machine ni d'assumer ses actes, à commettre l'irréparable.

 

 


The Company Men, de John Wells, 2010

Que voilà un flop instructif. Exemple type du savoir faire à l'américaine, The Company Men est l'archétype du film social engagé mais pas trop, propre sur lui et droit dans ses bottes. Son constat est à la fois juste et terriblement anachronique (la société est injuste mais inamovible, les hommes sont broyés mais peuvent/doivent trouver un salut individuel en se recentrant sur les “vraies“ valeurs), et son casting trop classieux pour être honnête. En vérité le public ne s'est pas trompé et a boudé cette chronique sociale convenue voire paresseuse. Alors que l'économie paraît plus que jamais devoir se réinventer, le septième art ne devrait-il pas faire de même pour espérer capter cette drôle d'époque ?

 

 

 


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